Discours xénophobe au Sénégal : faillite et décadence morale de la presse (par François Mendy)

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Un discours xénophobe délétère se répand insidieusement au Sénégal, cautionné par une presse avide de sensationnalisme. Faut-il pour autant se résigner à sombrer dans les affres d’un Sénégal aux relents nauséabonds d’une Allemagne nazie ? François Mendy, journaliste et politiste, dévoile dans cette contribution perspicace les ravages de cette dérive et appelle à un sursaut civique salvateur.

Depuis quelques temps, je vois avec inquiétude, la presse de mon pays se faire embarquer dans une entreprise dangereuse de propagation d’un discours xénophobe porté par un cassos en quête de revanche sociale. Ce débat ethnicise ne devait pas avoir lieu dans un Etat civilisé. La presse, de façon consciente ou inconsciente, est en train de plonger le Sénégal dans l’Allemagne de la fin de la République de Weimar, en braquant ses projeteurs sur un Hitler des tropiques.

Ce monstre, adepte de la rhétorique de la « faute aux étrangers », est un inculte doublé d’un danger pour la République. Mais son discours répugnant semble plaire à certains top-managers de la presse qui lui déroulent le tapis rouge dans leurs rédactions. Ces managers ont certainement trouvé l’idiot sans filtre qui exprime le fond de leurs pensées. Parce que leur honorabilité leur impose de ne pas afficher leur xénophobie. Et c’est là où ils sont très dangereux. Car toute entreprise politique, même mortifère, a besoin de soutien pour réussir. Donc, en offrant une tribune au porteur de ce discours abject, les journalistes participent à la propagation du venin dans la société sénégalaise.

L’apprenti hitlérien des tropiques veut faire jouer à la presse sénégalaise le rôle que la presse allemande a joué dans l’accession au pouvoir d’Hitler en 1933. En effet, sous la houlette du cynique Joseph Goebbels, théoricien de la propagande nazie et architecte de l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne, les journalistes ont été pour certains malgré eux, acteurs de la mainmise des nazis au pays de Goethe. D’ailleurs, notre fanatique semble avoir le même vécu que les responsables nazis avant leur arrivée au pouvoir. En effet, leurs échecs sociaux les ont poussés à trouver des bouc-émissaires. Si pour Hitler et ses compagnons, ce sont les Juifs, pour l’Hitler sénégalais, ce sont les étrangers, et plus particulièrement les Peulhs. Ces types qui n’ont pas le nez épaté comme le sien. Qui ne sont pas noirs comme lui. Qui ne portent pas le même patronyme que lui. Qui ne sont pas oisifs comme lui. Ces types dont les parents ne viennent pas de la même contrée que les siens. Ces gens qui ne parlent bien le wolof comme lui. Ces gens qui ne parlent pas français comme lui. Ces gens qui n’ont pas le même accent que lui.

Les discours xénophobes et ethnicises ne doivent pas être banalisés. C’est une boite à pandore à ne pas ouvrir. Les journalistes prétextant la liberté d’expression et d’opinion pour dérouler le tapis rouge à ce monstre, sont à la fois complices et acteurs des conflits xénophobes en gestation. C’est pourquoi ces discours doivent être combattus par tous les Républicains. Ce d’autant plus que certains influenceurs établis à l’étrangers ont décidé de porter ce combat. Et quand on sait que certains compatriotes gobent tout ce que disent ces influenceurs, pourtant « étrangers » dans leurs pays de résidence, on prend conscience du danger qui guette la cohésion nationale.

Attention au scénario nazi sur la République de Weimar

En effet, le discours terre-à-terre servi par l’un de ces influenceurs pour soutenir la haine contre la communauté peule est affligeant. Sa thèse est que le vendeur de charbon est un Peulh, le boutiquier du coin est un Peulh, le vendeur de fruits est un Peulh… et que tout l’argent qu’ils amassent est envoyé en Guinée au nez et à la barbe du Sénégal. Dans son raisonnement, le malheur des Sénégalais a un coupable bien identifié : les Peulhs. Car pour lui, ces derniers ont volé le pain des Sénégalais. C’est ce genre de discours que les nazis ont pendant des années, servi aux Allemands qui ont fini, à force d’entendre les mêmes conneries, de croire à ces absurdités. Donc, prendre à la légère cet apprenti hitlérien serait un suicide pour la République.

Car il a la caractéristique du boucher de Berlin. Parce que Hitler était un minable type dont personne ne prêtait attention. Mais ayant pris conscience de la puissante de la propagande qui selon lui « vise à imposer une doctrine à tout un peuple (…) en agissant sur l’opinion publique à partir d’une idée et la rend mûre pour la victoire de cette idée », il a mis le paquet dans la propagande avec le concours du cynique Joseph Goebbels et a fini par faire main basse sur le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP). Méthodique et aidé par des hommes de médias et de la culture, Hitler, à partir d’un discours haineux contre les Juifs, va gagner les élections en 1933. L’arrivée des nazis au pouvoir va signer l’arrêt de mort de la République de Weimar et la naissance du Troisième Reich.

Si je fais ce parallélisme avec le régime nazi, c’est qu’au début de la carrière politique de Hitler et de son discours haineux, peu de gens le prenait au sérieux en Allemagne. Pour les Autorités de la République de Weimar, Hitler était un amuseur public. Mais le temps qu’elles ne se rendent compte de leur laxisme à son égard, il était déjà trop tard. Hitler avait déjà lancé son OPA hostile sur l’Allemagne. Donc, ceux qui aujourd’hui au Sénégal estiment que le discours politique sur la haine contre nos frères Africains ne peut prospérer, se trompent lourdement. C’est d’autant plus vrai que l’avènement des réseaux sociaux a bousculé tous les codes en communication politique. Donc, combattre ce monstre est un devoir pour tout citoyen qui rêve d’un Sénégal uni et prospère. Se taire, c’est être complice de cette xénophobie ambiante et décomplexée.

Un cassos à combattre sans répit

Certains diront que les Sénégalais sont assez intelligents pour savoir que ce qu’il dit n’est pas vrai. C’est la même chose que les Allemands avaient dit avant l’accession de Hitler au pouvoir en 1933. La presse qui donne la tribune à ce cassos, contribue à conditionner l’opinion sénégalaise contre les étrangers. Parce que le cerveau humain, à force d’entendre la même chose, finit par l’épouser. Il faut un travail de déconstruction pour anéantir ce poison. A ce que je sache, toutes les maisons du Sénégal n’appartiennent pas aux Peulhs. Donc, les propriétaires peuvent en faire des boutiques à leurs comptes. Aussi, le Gouvernement n’interdit pas aux Sénégalais de vendre des fruits, tout comme il ne leur interdit pas de vendre du charbon ou travailler comme des manœuvres ou des ouvriers dans les marchés. Donc, en quoi les Guinéens privent-ils les Sénégalais de leur pain ?

Le drame de la presse sénégalaise est qu’elle laisse les invités dérouler leur stratégie de communication. Or, ce n’est pas cela le principe d’une émission. Pour des sujets aussi sensibles qui risquent de disloquer la vie nationale, la presse devait se faire l’honneur de refuser d’ouvrir leurs colonnes, studios et plateaux aux racistes. Mais comble du malheur, elle invite en prime time ce porteur d’un discours séditieux et antirépublicain. Ce qui est triste avec quelques-uns de nos compatriotes, c’est qu’ils croient qu’il n’y a que l’autre qui a des tares. Si seulement ils savaient les tares que nos voisins de la sous-région nous trouvent, ils se calmeraient. La découverte du pétrole et du gaz a fait perdre la tête à certains en croyant que les Sénégalais ne migrent pas dans la sous-région pour des raisons économiques. Quelle ignorance.

La tragédie avec les incultes, c’est qu’ils ne savent pas ce qui se passe au-delà de leurs murs. Pour le cas d’espèce, si seulement ce monstre savait que nos voisins nous trouvent aussi des vices, il rangerait son discours xénophobe dans un tiroir de son cerveau. Pour la gouverne des Sénégalais qui sont tentés de croire qu’ils sont les meilleurs et les plus vertueux, faites un tour dans les pays de la sous-région et vous comprendrez que nous traînons les imperfections que nous touvons aux autres. Mais comme dit approximativement l’adage d’Érasme, quand le poisson pourrit, il commence par la tête. Ce cas est valable pour le Sénégal. Parce que notre élite a démissionné du débat public en laissant la place aux imposteurs et à la racaille.

La tragédie de la presse sénégalaise

Car nos plateaux télés et nos studios sont devenus les lieux d’exhibition de toute sorte d’âneries. L’oisif du quartier dont toutes les portes sont fermées, trouvera facilement une télévision prête à lui ouvrir son plateau pour raconter des énormités et espérer ainsi prendre sa revanche sociale. L’ingénieur qui du fait de son statut honorable, trouvera un plateau qui lui permettra non pas de faire étalage de son savoir, mais du fait de son désir ardent de sortir de l’anonymat, il enchaînera des absurdités pour faire le bad-buzz et sortir ainsi de son trou où il n’était connu que de ses parents et amis du quartier. Ces discours haineux qui sont aujourd’hui décomplexés n’ont qu’un seul coupable : la presse de mon pays. Elle est devenue si laid que même le diable n’en voudrait pas. Le journalisme est certes un métier noble, mais il est prostitué aujourd’hui par les top-managers des entreprises de presse.

C’est vrai que la presse est en crise au niveau mondial. Mais ce n’est pas une raison de vendre notre âme au diable. Vouloir systématiquement dupliquer ce qui se passe dans les pays occidentaux est une pente dangereuse qui va conduire, si on n’y prend garde, à la dislocation de nos Etats. Parce que dans les pays occidentaux, il y a la presse de droite et de gauche. Pour la France et les Etats Unis, ce clivage médiatique est très marqué. En France par exemple, Le Figaro et les organes du Groupe Bolloré sont les médias de droite qui suscitent le plus de débat sur les sujets polémiques concernant l’immigration en offrant une tribune aux racistes de toutes l’Hexagone. Hors, le contexte français du débat sur les étrangers n’a rien à voir avec le cancer sénégalais que la presse veut nous imposer.

En effet, la rhétorique de l’extrême droite française de « c’est la faute aux étrangers », ne concerne pas, ou ne concerne que très peu, les ressortissants de l’Union européenne. Leurs discours haineux sont centrés sur les Noirs et les Arabes. Or au Sénégal, on s’attaque aux ressortissants de l’UEMOA et de la CEDEAO. Et chose plus grave, les journalistes semblent avoir du plaisir à les écouter. Ce discours dégueulasse n’a pas sa place dans notre espace public. La liberté d’expression et d’opinion ne saurait se faire au détriment de la cohésion nationale et de la politique de bon voisinage avec les pays frontaliers avec lesquels nous partageons les mêmes communautés politiques et économiques. Aussi, la liberté d’expression et d’opinion ne saurait se faire en violation de la loi.

Sursaut à la mémoire des pionniers

C’est pourquoi je salue les communiqués du Conseil pour l’Observation des Règles d’Éthique et de Déontologie dans les médias (CORED) et du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA). Cependant, ces instances auraient dû aller plus loin en sanctionnant les médias concernés au regard de la gravité du sujet. Parce que les responsables de ces médias savent le discours que tient ce monstre, et que c’est pour cela qu’il a été invité. Il faut que les instances judiciaires, les acteurs de la société civile et la classe politique prennent leurs responsabilités. Car si la presse n’est pas consciente de son rôle, il faudra alors lui taper sur les doigts. Et pour ce cas, elle n’a pas joué son rôle. Puisqu’elle sait très bien que ce paumé veut par son discours bestial, se faire un nom et le monnayer en utilisant la presse comme marchepied.

Le Sénégal est le pays de la téranga. C’est cette téranga ou devoir d’accueil qui a poussé le Président Abdoulaye Wade à accueillir les étudiants haïtiens en 2010 après le terrible tremblement de terre. Cette tradition d’hospitalité perdurera et ne laissons pas un va-nu-pieds semer la discorde entre communautés nationales ou avec les pays voisins. Si la presse continue de lui dérouler le tapis rouge, elle sera comptable de tout ce qu’il adviendra et répondra de ses actes devant l’histoire comme la Radio-Télévision Libre des Mille Collines au Rwanda. Et ça, ce sera le pire service que l’on aura rendu aux pionniers qui ont répondu à l’appel du Seigneur.

Journaliste-Politiste

François MENDY

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