La loi interprétative : une aubaine pour les FDS ? (Dr Doudou Sall)

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La controverse entre les tenants du pouvoir et l’opposition sur la loi interprétative de la loi portant amnistie votée en 2024 est de bon aloi. Elle fait partie du jeu démocratique. Certains opposants sont allés jusqu’à dire que cette interprétation visait à absoudre les politiques et à charger les FDS.
Des militaires à la retraite, sans doute convaincus par cette thèse, ont cru bon de faire des sorties pour montrer leur opposition à cette loi interprétative.

Pour eux, cette loi, malgré les dénégations des tenants du pouvoir, vise effectivement à ne sanctionner que des FDS. Rappelons que selon un rapport indépendant, de mars 2021 et février 2024 dans le cadre des violences au Sénégal, 65 personnes ont été tuées dont 51 par balle. Mon sentiment est que l’écrasante majorité des FDS a fait correctement son travail durant ces événements. Les exactions et bavures constatées ne peuvent provenir que de dysfonctionnements dans l’emploi de la Force par une infime minorité.

Aussi, du fait de cette minorité, qu’elle soit partie intégrante des FDS ou des éléments extérieurs, la culture républicaine et le professionnalisme qui font leur fierté et l’estime des populations ont été mis à rude épreuve. Dans cette perspective, l’opportunité d’une loi, quand bien même, elle ne concernerait que les FDS, pour aider à comprendre et corriger ces dysfonctionnements n’est pas discutable. Un rappel théorique et historique de l’emploi de la Force par les FDS permet de le démontrer.

1. Rappel théorique

Le professionnalisme et le caractère républicain des FDS au Sénégal, repose sur une doctrine d’emploi de la Force, mettant en avant un encadrement strict du droit d’usage des armes. Cette doctrine est supportée entre autres, par deux textes fondamentaux : la loi 70-37 du 13 octobre 1970 relative à l’usage des armes (…) par les militaires de la gendarmerie et les membres des forces de polices et l’Instruction N° 20 relative à la participation des Forces Armées au Maintien de l’Ordre.

La loi précitée consacre la subordination de l’autorité militaire à l’autorité civile dans l’emploi de la Force. Seuls quatre cas sont exceptionnels sont prévus pour un usage de la Force à l’initiative exclusive des FDS. Ainsi, « en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative et hors l’état de siège ou l’état d’urgence », les membres des FDS quand ils n’ont aucune autre alternative, peuvent faire usage des armes, pour se défendre, pour défendre les lieux dont ils ont la garde, pour dégager les autorités susceptibles de les requérir, pour stopper les personnes ou les moyens de transport invités à s’arrêter par des appels de « Halte Gendarmerie » ou de « Halte Police ».

L’instruction 20 ci-dessus évoquée opérationnalise cette doctrine dans le domaine du maintien de l’ordre. Elle souligne en son article 22 : « La troupe et particulièrement les cadres doivent s’employer à éviter tout usage des armes en faisant preuve jusqu’aux dernières limites de calme et de sang-froid ». En son article 18, elle précise que les éléments des forces armées ne doivent être employés qu’en unités constituées de l’effectif minimum d’une section ou d’un peloton, sous les ordres d’un officier, sauf impossibilité absolue. Toute troupe appelée à marcher pour l’exécution d’une réquisition doit disposer d’un appareil haut-parleur, d’un clairon (trompette) ou, à défaut, d’un tambour.
Dans cette perspective, sur le plan doctrinaire et opérationnel, la moindre place à des abus n’est laissée pour un usage excessif de la Force. 
2. Rappel historique

L’appropriation de cette doctrine par les FDS mais également par les autorités politiques explique leur professionnalisme et leur caractère républicain. Aussi, à l’exception de crises comme celles de juin 2011 et de mars 2021, l’histoire de la gestion des crises au Sénégal est marquée par une absence de compromis avec l’usage abusif de la Force,  Les gestions de crises, comme celles de 1968, de la grève des policiers de 1987, du 16 février 2014, peuvent être données en exemple. 
D’abord, la crise de 1968 : elle a éclaté à la suite d’une intervention musclée de la Police le 29 mai, pour dégager l’université occupée par des étudiants mécontents. Cette intervention provoque des bavures, notamment la mort de l’étudiant Salomon Khoury et fait des dizaines de blessés. Dans le remaniement opéré par le président Senghor, suite de ces événements, Amadou Cissé Dia le ministre de l’Intérieur est remplacé par Amadou Clédor Sall.

Cette décision, même si son caractère politique, est indéniable, était aussi, une mesure remettant en cause le comportement des FDS dans cette crise. Ensuite, dans la grève des policiers de 1987, le régime du Président Diouf a réagi avec une extrême sévérité par la suspension de 6000 policiers et la radiation d’un millier  d’entre eux. Cette réaction excessive faisait suite à « un mouvement d’humeur d’une poignée de policiers ».

Ceux-ci protestaient en fait, contre la condamnation par la justice de leurs collègues, à qui, il était reproché des exactions sur un délinquant : Baba Ndiaye mort, en garde à vue, en 1982, et dont l’autopsie avait conclu à une crise cardiaque. C’est dire qu’une bavure policière non avérée sur un délinquant notoire faisait l’objet d’un traitement intransigeant des autorités, même si d’autres motivations ne peuvent pas être écartées.
Enfin, dans la crise du 16 février 1994, la violence des manifestants a entrainé la mort de six policiers, simplement en faction devant la RTS. Autant dire, qu’ils n’étaient pas en service de maintien de l’ordre et pourtant ils ont subi la folie meurtrière qui caractérise les foules.

Toutefois, cette violence gratuite n’a pas suscité chez les FDS, du fait de leur caractère républicain et leur professionnalisme, plus de brutalités ou d’exactions dans la gestion des foules et des manifestations des populations.
En revanche, dans les manifestations de juin 2011 et de mars 2021, l’absence de décisions politiques fortes pour montrer la détermination des autorités à sanctionner les auteurs d’usage excessif de la Force n’a pas été notée, malgré le nombre important de victimes. En juin 2011, 11 décès ont été enregistrés. En mars, en cinq jours, du 3 au 8 mars, pas moins de 13 manifestants ont été tués.

Pour cette crise, cette absence de volonté est plus évidente. Le PR dans son discours du 8 mars sur ces événements estime que les FDS « ont fait preuve de professionnalisme ». Les résultats de l’enquête de la commission « indépendante et impartiale pour situer les responsabilités » dont la création est annoncée le 8 avril 2021 ne sont pas à ce jour publiés. Cela n’explique-t-il pas la cinquantaine de morts enregistrés plus tard ?  Pour conclure cette contribution, nous pouvons dire que l’appropriation de la doctrine au niveau opérationnel est avérée. La gestion des crises jusqu’en juin 2011 l’atteste.

Cependant, à travers la gestion des crises de juin 2011 et mars 2021, nous nous rendons compte que des options au niveau politique peuvent remettre en cause cette appropriation. Dans cette perspective, l’opportunité d’une loi, pour la reddition des comptes par la minorité de membres des FDS qui se serait adonnée à des abus réside dans le fait qu’elle pourrait être une aubaine pour les FDS.

En effet, dans ses aspects liés à la reddition des comptes, elle sera une une vraie occasion pour réfléchir sur la mainmise du leadership politique sur le leadership militaire. Cette mainmise, par le biais des pouvoirs discrétionnaires du PR de nomination, de révocation et de modification de l’organisation structurelle et fonctionnelle des FDS comporte un caractère véritablement crisogène, qui fait que les crises politiques deviennent des crises sécuritaires. Dans cette optique, l’encadrement de ces pouvoirs par l’opérationnalisation du concept de renforcement des droits et obligations despersonnels de sécurité devient une nécessité. 
Par le Dr (PhD) Doudou SallColonel de gendarmerie à la retraite

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