Ma voix, en ce lieu de ténèbres et de lumières, n’est pas celle isolée d’un humble poète venu seul interroger le mystère de la mort et rendre hommage à un moment unique à une femme discrète et fascinante, une épouse aimée de tous et qui laisse dans nos mémoires un souvenir attendrissant.
Ma voix, je la veux également porteuse, avec respect, d’un témoignage, celui de l’immense affection d’un homme d’État qui porte Senghor dans son cœur et j’en ai mesuré le poids : le Président Macky Sall qui, à la seule évocation de son prédécesseur, vous ouvre ses bras. Votre présence ici parmi nous, Monsieur le président de la République malgré vos impossibles charges, en est la plus émouvante et la plus éloquente des preuves. Le temps est
bavard, Monsieur le Président. Il dit tout à la postérité. Il retiendra ce moment. Il retiendra lenom de Macky Sall.
Au Président Abdou Diouf dont la présence ici réveille en chacun de nous des pages d’histoire et de compagnonnage, nous disons combien votre mobilisation, Monsieur le Président, de Paris à Verson, puis de Paris à Dakar aujourd’hui, suffit à dire votre attachement à l’épouse de celui qui fit de vous – et c’est vous même qui le dites- ce que vous avez été et ce
que vous êtes. Depuis près d’une semaine, avion après avion, avec votre épouse, vous ne lâchez pas Colette Senghor et Dieu sait qu’il se fait tard. Que Dieu vous garde longtemps parmi nous.
Ma voix, en ce lieu, se veut comme un chant dédie au Président Moustapha Niasse, un homme dont la vie est restée vissée et collée à celle de Senghor depuis la tige. Cher Moustapha Niasse, vous incarnez une fidélité dont les générations futures auront du mal à croire qu’elle ait pu être incarnée avec une telle élégance et dans une telle durée par un homme d’État et par un ami considérable. Nous saluons la beauté d’âme d’une telle grandeur,
vous la sentinelle de tous les jours sous la pluie, sous le soleil.
Ma voix est celle aussi de mon ami maître Boucounta Diallo, le fils bien-aimé de Colette Senghor qui a fait oublier à la mère sa douleur quand la tragédie installa la solitude.
Colette qui, ici, dors et ne dors pas, acquiesce.
Ma voix est celle de Raphaël Ndiaye qui préside la Fondation L.S.S ainsi que tout son inspiré et solide Conseil d’Administration ici réuni.
Ma voix je la veux comme celle de tout le peuple sénégalais qui partage la douleur de ce jour face au cercueil de ce jour. Ma voix est celle de tous les poètes et écrivains de ce pays qui ont fait de l’encrier leur rendez-vous avec la postérité.
Merci à Gérard Bozio le guetteur, pour que le fils du lion, au delà de la nuit, continue à habiter le jour, à nourrir l’esprit des vivants par ses œuvres de beauté.
A la famille Senghor et à celle de Madame Senghor, nous disons notre peine, notre compassion. Vous n’êtes pas seule. Vous ne serez jamais seule. Vous êtes les premiers
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gardiens de cette mémoire irréductible qu’un homme et une femme irremplaçables nous ont
laissée. Ce n’est pas seulement le Sénégal qui vous regarde. C’est le monde qui vous chante.
Le nom « Senghor » vous appartient et ne vous appartient plus. Ce nom est devenu un visa pour chaque Sénégalais, pour chaque africain ! A chacun d’être digne d’en faire bon usage !
A chaque visage ici, à vous tous ici présents et tous confondus, nous disons d’un merci d’altitude : « massah ! » Chacun d’entre vous ici est une prière. Que nous reste t-il en effet, sinon la prière. Elle est notre espoir, notre porte qui ouvre la Demeure du Seigneur. La prière est notre refuge. Si j’avais à choisir une image inoubliable que Senghor m’a laissée, c’est bien
l’image d’un homme qui s’était abandonné corps et âme à la prière. La foi et la prière ont toujours été son refuge ! Je puis en témoigner.
Madame Colette Senghor, vous qui dormez et ne dormez pas, nous voici donc tous ici, venus vous dire combien nous vous avons aimée, respectée, admirée, et combien nous avons gardé et garderons la mémoire de la splendeur de cette grande et lumineuse étoile que vous avez été. Vous étiez si discrète. L’ombre et la tendresse ont été votre vraie maison. C’est votre
beauté, votre lumière qui vous trahissaient et vous offraient aux regards du monde. Puisse Dieu démultiplier cette lumière et qu’elle reste pour l’éternité la lampe de votre tombeau !
Si très regrettée Colette Senghor, vous qui dormez et ne dormez pas, nous ne vous chanterons pas, car nul ne saurait vous chanter mieux que celui que vous appeliez votre « Prince, votre Athlète, votre ébène », Senghor le prince des poètes,
Nous les terrestres et vous les anges silencieux venus du ciel, écoutons ensemble la voix, de l’enfant prodigue, du poète Sérère pour sa muse Normande : « Où es-tu yeux de mes yeux, ma blonde [… ] ma conquérante ? […] Je pense à toi quand
je marche je nage / Assis ou debout, je pense à toi le matin et le soir […] je chante en t’écrivant […] je danserai pour ma seule Dame »
Née en novembre, Madame Colette Senghor nous quitte en novembre et en la chantant Senghor dit qu’il viendra la chercher : « […] tes yeux en novembre » écrit-il, « comme la mer d’aurore autour du Castel de Gorée [ Tu viendras et je t’attendrai à la fin de l’hivernage […] Je te ramènerai dans l’île de Tabors / Que tu connais : je serai la flûte de ma bergère ».
Joal peut espérer alors !
Il t’attend donc ton Prince comme il l’avait promis un mois de novembre. Il t’attend !
T’attend aussi ton fils Philippe Maguilen, le « petit Maure, le Benggali, le Tut’si, le Hutu » comme le nommait son père. Nous voici donc dans le mystère et dans les retrouvailles de novembre, et nous ne voulons plus pleurer !
Les voyez-vous : Senghor et Philippe-Maguilen sont déjà au pied du cercueil. Les anges avec eux attendent. Le Seigneur tient la main du poète : mais ce n’est qu’une prière !
Ici une grande page se referme. Nous ne sommes plus dans l’avenir, mais dans l’éternité. Mais nous ne descendrons pas des miradors. Les enfants de Senghor se jouent des étoiles. L’esprit est leur quête !
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Pour nombre d’entre nous « La route est fatiguée, le marigot est fatigué, le ciel est
fatigué ». Mais nous devons tenir pour nourrir le souvenir, fortifier l’héritage, car « seuls
vivent les morts dont on chante le nom » !
A la famille Senghor si belle et si unie et aux jeunes héritiers si fiers, nous disons :
tenez bon ! Votre route est éclairée. Ne laissez aucune torche s’éteindre !
Dors en paix Colette, toi « la Sénégalaise parmi les Sénégalaises qui […] un jour
reposerait / Profond dans le tertre de Mamanguedji, près de Diogoye le-Lion ».
Joal n’attendra plus !
Allah, le Dieu Tout Puissant, c’est à Toi que nous nous remettons : Nous te remettons Colette Senghor. Couvres la de ta Laine, couvres la de ta Lumière, couvres la de Ton Pardon.
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