Éditorial : Bravoure, rupture, espoir

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Un vent sec et chaud d’harmattan balaie en surface Ndaganiao, la bourgade natale du nouveau président élu Diomaye Faye qui entre en fonction ce matin au cours d’une cérémonie empreinte de sobriété à Dakar où règne, en contraste, une fraîcheur inhabituelle.

Au hasard de la chaîne d‘émotions suscitées, nul doute que sa mère aura la gorge nouée en voyant son fils noyé dans autant de solennité que d’intensité et de joie contenue. Dans sa trajectoire historique, le Sénégal ouvre ainsi un nouveau chapitre avec l’arrivée à la tête de la République et de l’Etat de son plus jeune dirigeant que rien n’impressionne grâce justement à un bon sens terrien qui l’imprègne profondément.

Tout ira très vite après : poignées de mains, effusion de compliments, passation de service, écharpe de la Chancellerie en bandoulière, photo officielle, possession des clés du Palais, installation dans le bureau président suivie des premiers actes sous son emprise. Commence alors l’ère Diomaye…

Un basculement de puissance s’amorce. Tout comme est attendu un style à l’image de l’homme qui incarne (ou représente) désormais le nouveau visage d’une démocratie d’élégance survenue du fond des urnes. Diomaye sait mieux que tout le monde qu’en intégrant le Palais, les bruits de la ville s’amenuisent. Une distance ?

Sûrement pas. L’osmose avec l’opinion serait un indice de la gouvernance basée sur la mesure, la modestie et l’exemplarité. Ainsi l’exécutif aura pour ossature le Président himself et l’incontournable Ousmane Sonko dont le positionnement à l’intérieur du dispositif va être la curiosité des premiers jours. Doublure ou couverture ? Le casting sera édifiant sur l’allure à imprimer. L’animation de l’équipe gouvernementale sera l’autre fait marquant censé abréger les souffrances en se montrant solidaire et efficace. Sera-t-il un lieu de convivialité ?

Les dossiers chauds l’attendent sur sa table. Il en a une certaine idée ou une idée certaine. Il en a surtout conscience. Faut-il alors mettre au crédit de sa lucidité l’immense responsabilité qui pèse sur ses épaules ? Il a l’avantage de ne s’être pas trop épanché, notamment dans les médias, pour laisser deviner ses premières intentions.

Ce signe tangible est encourageant. Puisqu’il ferme un long couloir de spéculations dont sont friands des Sénégalais. Comment va se traduire la rupture prônée ? Ira-t-il plus ou moins vite dans l’exécution ? Il n’est pas un élu hors sol et porte en lui l’exigence de proximité. Son terroir va certes lui manquer compte tenu du poids de ses charges présidentielles.

Mais la réalité du terrain devrait gouverner son action publique pour éviter des entourages qui l’isolent. Aller plus vite ne signifie pas s’empresser au risque de pêcher par naïveté, ce qui ne semble pas traverser le vif esprit de ce jeune président au regard détaché mais pénétrant adepte du faux rythme qui a désarçonné plus d’un.

Prévenant et attentif, il combine en lui sagacité et clairvoyance qui lui permettent de disséquer les choses complexes d’une voix nonchalante. Au nombre des dossiers « chauds » figure en bonne place l’emploi des jeunes qui ont été pour beaucoup dans la victoire du 24 mars. Saura-t-il, sans pression, traduire dans les faits cette lancinante équation socioéconomique qui hante les dirigeants ? Les jeunes l’observent non sans indulgence toutefois. Car Ndar, pour ne pas dire Ndiaganiao, ne s’est pas fait en un jour…

Issu de la haute administration des Impôts, Diomaye Faye a une maîtrise des mamelles de recettes insuffisamment explorées. A lui de donner l’impulsion au bloc fiscal pour sortir de sa torpeur en accroissant son efficacité opérationnelle dans la collecte des impôts. Pas que…!

Les dégrèvements, les amnisties, les reports, les omissions et les arrangements fiscaux coûtent cher à une économie basée essentiellement sur les recettes (clin d’œil à la douane aussi) pour alimenter les budgets. Pour encourager les investissements et piloter la stratégie industrielle, il faudra revoir le système de prélèvement perçu par les acteurs comme « inégal », « injuste » et « inéquitable » ! Vaste préoccupation !

Illustration parfaite du déséquilibre prévalant qui nécessite restructuration, rectification et correctif pour redonner confiance aux acteurs des différentes filières d’activités. Au plan agricole, l’impératif se conjugue au présent. Le monde rural s’appauvrit alors qu’il a tous les atouts pour se sortir d’une situation de dépression caractérisée.

Ce même monde nourrit tous les espoirs et se met à rêver d’une rapide inversion de conjoncture avec l’agriculture érigée en moteur de notre économie. Près de huit millions de paysans ne travaillent que trois mois dans l’année, pendant l’hivernage (les aléas pluviométriques non inclus) et tout le reste du temps c’est le désœuvrement voire l’oisiveté et ses tentations…de Venise avec tous ces jeunes ruraux pris de désir de prendre le large ou de faire autre chose, ailleurs ! Aberrations.

Le poids démographique des paysans ne change pas mais il se déstructure. C’est désolant de voir ces populations vivre de distribution de riz importé souvent d’Asie et produit par de petits agriculteurs puissamment soutenus par leurs Etats respectifs du Laos au Cambodge, du Vietnam à l’Indonésie, du Pakistan à la Malaisie, de la Chine à Taïwan.

Les mentalités ne changent pas par décret mais des politiques hardies menées avec la volonté de réhabiliter le paysan sénégalais qui a fini par intérioriser une dépendance ruineuse. Le redressement de l’économie passe par cette étape cruciale de remise à plat avec l’agriculture comme pivot d’attraction.

L’autre tare cachée tient à la faune des intermédiaires dans les différentes filières agricoles. Ils peuplent ce monde et court-circuitent tous les acquis : semences, intrants, matériels, aides, appui, financement, ristournes, récoltes, écoulement, marché. Ils ne travaillent pas mais s’enrichissent sur le dos des pauvres paysans. Ce cynisme doit cesser en mettant fin à ces pernicieux agissements.

Autant dire que la situation n’est pas saine. Comment endiguer le mal ? Le nouveau pouvoir a sûrement une perception plus prononcée. En tout état de cause, l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye constitue une promesse qui dépasse les grands principes. À lui de manifester de l’enthousiasme en faisant large place aux innovations salutaires.

La souveraineté alimentaire est à ce prix, de même que la sécurité alimentaire. Nous l’avons appris à nos dépens lors de la crise du Covid-19 avec la fermeture des frontières et l’assèchement des sources d’approvisionnement qui ont renchérit les cours des matières premières. La guerre Ukraine-Russie est venue aggraver la hantise par le blocus du blé qui a privé beaucoup de pays d’une céréale si stratégique à l’échelle mondiale. 

La gestion vertueuse, si elle entre très tôt en vigueur, pourra capter les flux financiers dérivant du pétrole et du gaz. Sont-ce là des moyens de prospérité adossée à la sagesse.

Par Mamadou NDIAYE

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