Monsieur Hissène Habré, vous demandez une permission pour quitter la prison six mois. Je m’oppose totalement à cette demande.
Vous avez été condamné à la prison à perpétuité par les Chambres africaines extraordinaires pour crimes contre l’humanité, torture et crimes de guerres. Cette peine doit être purgée entièrement. Comme l’a précisé le Comité contre la torture des Nations unies « la libération prématurée des auteurs de crimes internationaux les plus graves n’est pas conforme aux obligations [du Sénégal] ».
Le Statut des Chambres africaines extraordinaires dispose clairement que « l’Etat d’exécution, [le Sénégal] est lié par la durée de la peine ». De plus, la jurisprudence internationale a pu préciser que la libération des auteurs de crimes contre l’humanité pour raisons médicales ne pouvait être prononcée que si le maintien en détention constituerait une torture ou un traitement inhumain ou dégradant.
Monsieur Hissène Habré, vous souhaitez sortir de prison pour pouvoir célébrer le ramadan avec vos proches. Mais nous, les veuves des hommes tués par votre régime, cela fait des années que nous n’avons pas eu de ramadans avec nos maris. Le ramadan est un moment très important pour tout musulman, c’est une période de partage, une période de rassemblement de la famille. Cependant, cela fait plus de 30 ans que nos familles sont disloquées. Sans nos maris, sans les chefs de famille, il y a un vide. Nous ne pourrons plus jamais fêter le ramadan avec eux. Et alors que vous nous avez volé plus de 30 ramadans, vous souhaitez désormais célébrer le vôtre en dehors de prison, sans subir les conséquences de vos actes.
Depuis 1987 je n’ai pu fêter ramadan avec mon époux, Haroun Godi. Mon mari était Secrétaire d’Etat de la Santé. Quand mon mari a critiqué l’impunité de la garde présidentielle, vous l’avez limogé de son poste de Secrétaire d’ Etat. Mon époux s’est enfui en avril 1987, de peur d’être arrêté par votre régime. Je ne l’ai plus jamais revu depuis. Ce n’est qu’un an plus tard que j’ai appris qu’il avait été exécuté publiquement. J’ai appris la nouvelle en écoutant la radio. On ne m’a jamais informé du lieu de sa détention, ni des raisons. Jamais son corps ne m’a été rendu pour faire sa sépulture. Mon mari s’opposait à l’injustice criarde de votre régime.
En plus de faire disparaitre mon mari, vous avez saccagé ma maison. D’abord j’ai été interrogée et placée sous surveillance militaire. Puis, des agents de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS) se sont rendus chez moi avec des gros camions, accompagnés de militaires et de gendarmes. Ils nous ont expulsés, moi et mes enfants. Ils ont spolié mes biens. Ma maison a ensuite été donnée à une famille de l’ethnie Gorane, votre ethnie Monsieur Hissène Habré. Sans mon époux, j’ai dû me battre pour donner une éducation à mes enfants. Heureusement j’ai été aidé par mes parents, qui nous ont assisté moi et mes enfants, en nous logeant chez eux et en nous apportant leur soutien. Ce n’est que huit ans plus tard que j’ai pu me payer ma propre maison. Nous avons survécu, mais nous avons tout perdu.
Vous invoquez le ramadan, Monsieur Hissène Habré, que votre sortie vous permettra de « récupérer » avant ce mois de jeûne. Si vous êtes malade, Monsieur Hissène Habré, vous devez bien évidemment recevoir un traitement médical. Cependant un tel traitement peut être prodigué en prison et ne nécessite nullement une permission de six mois. N’utilisez pas le ramadan comme un excuse car le Coran dit « Et quiconque est malade […], alors qu’il jeûne un nombre égal d’autres jours – Allah veut pour vous la facilité, Il ne veut pas la difficulté pour vous. […] Mais pour ceux qui ne pourraient [supporter le jeûne] qu’(avec grand difficulté), il y a une compensation : nourrir un pauvre ». Si vous êtes réellement malade, le Coran vous autorise à ne pas jeûner mais plutôt à nourrir un pauvre (sourate 2, La Vache, versets 284 et 285).
D’ailleurs, le mois du ramadan c’est aussi le mois où les musulmans paient traditionnellement la zakat, l’aumône. Cette année, profitez du ramadan pour enfin payer les réparations dues aux victimes. Les Chambres africaines extraordinaires ont alloué 82 milliards de francs CFA aux 7 396 victimes de votre régime. A ce jour, cependant, nous n’avons encore rien reçu. Or les victimes ont besoin de ces réparations pour survivre car beaucoup vivent dans la misère et la pauvreté, et beaucoup d’autres sont décédées sans jamais avoir reçu de réparation.
Fatimé Toumlé
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