Il est toujours intéressant de se replonger dans les discours passés des hommes politiques. On y découvre des perles. Avant et au lendemain immédiat de son élection en 2012, Macky Sall a beaucoup parlé de rupture, de vertu, de morale publique et tutti quanti. Il voulait pêle-mêle “bannir le trafic d’influence” (discours prononcé le 3 avril 2012), “remettre de l’éthique dans la politique et revenir aux valeurs” en parlant de la transhumance. Dans un entretien accordé à Marwane Ben Yahmed de Jeune Afrique, le 3 juillet 2012, il jurait la main sur le cœur : “Avec moi, tout va changer”.
Cette profession de foi et ces vœux pieux, salués en leur temps comme une forme de rupture avec son prédécesseur, Abdoulaye Wade, n’ont pas résisté à l’exercice du pouvoir et à la volonté de le consolider.
Depuis son élection, Macky Sall a réalisé une véritable OPA sur la classe politique. Après avoir réussi à fidéliser et pérenniser la coalition qui l’a porté au pouvoir, qui regroupe quand même l’Alliance des Forces de Progrès (AFP) et le Parti Socialiste (PS), naguère mastodontes désormais réduits au rang de roue de carrosse, il a cassé ce qui restait du Parti Démocratique Sénégalais en débauchant des figures tels que Souleymane Ndéné Ndiaye, Modou Diagne Fada, Omar Sarr, etc…
Mieux, il a réussi à faire rentrer dans le rang celui qui faisait figure de chef de l’opposition, son rival de toujours, Idrissa Seck, arrivé second de l’élection présidentielle, amadoué à l’aide d’un strapontin au Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE).
Aux récriminations des idéalistes, Macky Sall oppose une froide realpolitik et jubile après sa prise : “Quel est le Président qui ne voudrait pas prendre le candidat arrivé deuxième après lui ? (…) Plus de 85% de l’électorat se trouve désormais dans le camp de la majorité”.
Toutefois, il semble que 85% n’est pas un chiffre qui rassure le chef de file de Benno Bok Yakar, d’où sa volonté de toujours pousser plus loin le bouchon d’un machiavélisme dévoyé. Voulant réduire à néant les derniers bastions qui résistent à sa mainmise sur la classe politique, le chef de l’Etat a cru bon de recevoir en audience Djibril Ngom, l’ex mandataire de la coalition Yewwi Askan Wi du département de Matam, accusé quand même de s’être volatilisé avec les listes de ladite coalition avant de rejoindre la mouvance présidentielle.
Cette image est désastreuse à plus d’un titre.
Pour le président de la République notamment qui promeut au grand jour le trafic d’influence que lui-même dénonçait, il y a un peu moins d’une décennie.Finalement sur le terrain strictement politicien, Macky Sall est bien le fils spirituel de son mentor, Abdoulaye Wade qui usait et abusait du débauchage de ses adversaires. Pour lui, “tous les moyens sont bons, quand ils sont efficaces” (Jean Paul Sartre, Les Mains Sales). Et au diable la morale, l’éthique et la gouvernance vertueuse, qu’il avait érigée comme boussole politique. Cette méthode, néanmoins, conforte l’idée ancrée chez beaucoup que la classe politique est versatile, manque de colonne vertébrale et qu’elle se sert d’abord avant de servir, qu’elle n’est guidée par aucun un idéal supérieur, sinon l’appât du gain.
Que le Chef de l’Etat fasse, tout de même, attention à ce que cette stratégie ne soit la tunique de Nessus dans laquelle il risque de se brûler. Et il est à craindre que les flammes n’épargnent pas le Sénégal.
La configuration politique a, en effet, de quoi nous inquiéter. En réduisant l’opposition classique à sa portion congrue par un débauchage systématique, avec la disqualification de Khalifa Sall et de Karim Wade, le chef de l’Etat a en face de lui un camp de plus en plus radical, intransigeant, plébéien et parfois aussi, disons-le, démagogique et très inquiétant.
A ce train, les Sénégalais n’auront plus le choix qu’entre le chef de l’Etat et par exemple la coalition “Le Peuple”, aréopage de figures complotistes, intolérantes, antivax, dignes représentants d’un “fascisme sénégalais rampant”, qu’a pointé avec justesse l’écrivain Hamidou Anne.
Sombre perspective !
Adama Ndiaye S. emedia
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