Le président Macky Sall a accordé une interview au journal français l’Express où il aborde plusieurs questions. Nous lui apportons des réponses sur trois d’entre elles : la question du troisième mandat, celle du sommet France-Afrique de Montpellier et enfin celle relative à une éventuelle crainte d’émeutes au Sénégal comme celles de mars 2021.
Sur la question du troisième mandat
Le Président Macky Sall entretient l’amalgame en ne faisant pas la différence entre le nombre de mandats et la durée de mandats, et ainsi pouvoir justifier que sa candidature dépendrait de sa simple volonté parce qu’ayant déjà obtenu l’onction du conseil constitutionnel depuis 2016.
Dans son entretien avec le journal l’Express, il affirme que : « Sur le plan juridique, le débat est tranché depuis longtemps. J’ai été élu en 2012 pour un mandat de sept ans. En 2016, j’ai proposé le passage au quinquennat et suggéré d’appliquer cette réduction à mon mandat en cours. Avant de soumettre ce choix au référendum, nous avons consulté le Conseil constitutionnel. Ce dernier a estimé que mon premier mandat était intangible et donc qu’il était hors de portée de la réforme. La question juridique est donc réglée. Maintenant, dois-je me porter candidat pour un troisième mandat ou non ? C’est un débat politique, je l’admets. »
Le conseil constitutionnel s’est effectivement prononcé sur la réduction de la durée du mandat dans sa décision du 1er avril 2016. Il avait pris deux décisions sur cette durée : il avait avalisé la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, prévue par ce projet de révision ; et avait considéré que la disposition prévoyant l’application de cette réduction au mandat en cours devait être supprimée, au motif que « le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi. »
Donc, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la durée du mandat qui était l’objet de la réforme constitutionnelle et non sur le nombre de mandats. Concernant le nombre de mandats, un verrou supplémentaire avait été ajouté à l’article 27 lors de la révision constitutionnelle du 20 mars 2016. Cet article avait déjà prévu la limitation des mandats à deux depuis la révision constitutionnelle du 7 janvier 2001. Ce verrou s’est libellé ainsi : « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».
Retenons ensemble que la question du nombre de mandats n’a jamais fait l’objet d’une décision chez le juge constitutionnel. Il a été consolidé en 2001 et renforcé en 2016 dans la charte fondamentale de notre pays.
Or, la question de la candidature du Président Macky Sall relève de la problématique du nombre de mandats.
Si le juge constitutionnel devait traiter d’une manière indissociable la durée et le nombre, il faudrait une décision dans ce sens qui n’a jusque-là pas encore été prise.
Donc, contrairement aux affirmations du président de la République, le débat n’est pas encore tranché sur le plan juridique.
Il s’y ajoute que le président Macky Sall qui incarne le pouvoir constituant dérivé et qui a donc été à la base de la réforme constitutionnelle a, lui-même, interprété la constitution en affirmant qu’il allait faire son dernier mandat quand il sera réélu en 2019 d’après les dispositions de la réforme de la constitution en date du 20 Mars 2016.
En dehors de l’aspect juridique avec son cortège de polémiques sciemment entretenues pour laisser une décision du juge constitutionnel s’imposer, il y a un aspect moral qui lie le président de la République à son peuple.
A la mythique phrase du président Wade « Ma waxone Waxete », le Président Macky Sall avait opposé le « wax jëf ».
Une fois élu, il n’a pas respecté sa promesse de faire 5 ans à la place de 7 ans. Cependant, contrairement à cette promesse qui pouvait être habilement mais injustement accrochée à la décision du Conseil constitutionnel qui n’avait pas autorisé la réduction d’un mandat en cours, pour le cas du troisième mandat, cet exercice visant à prendre comme prétexte une prétendue décision du Conseil constitutionnel ne peut prospérer.
En effet, en l’espèce, le Président de la République ne pourra en aucune manière être contraint à se présenter à une élection sur la base d’une décision quelconque du juge constitutionnel sur le mandat, s’il décide de ne pas se représenter.
Sa décision personnelle sur cette question visant à respecter sa parole ne peut être compromise par une décision quelconque du conseil constitutionnel.
Il doit par conséquent respecter sa parole en appliquant le « wax jëf » qu’il avait vendu à ses compatriotes.
Sur le somment de Montpellier
Interrogé sur le somment France-Afrique de Montpellier qui avait regroupé une certaine société civile africaine autour du Président Emmanuel Macron, le président Macky Sall a répondu au journal l’Express ceci : « Soyons clairs : les présidents africains n’ont pas apprécié ce format. Le chef de l’État français peut rencontrer la jeunesse africaine, cela ne pose aucun problème. Mais ce forum ne peut pas remplacer un sommet de chefs d’États élus qui représentent leurs pays. J’ai eu une discussion intéressante à ce sujet avec le président Macron. Tout cela est maintenant derrière nous et nous entretenons d’excellentes relations. »
Cette façon de gérer nos relations avec la France est décevante et humiliante. Le Président Macron s’est permis de tordre les principes de souveraineté des États africains et s’en glorifie publiquement en organisant un sommet France-Afrique, snobant les décideurs africains légitimement élus et faisant face à une société civile choisie.
À la place d’une réaction publique concertée des chefs d’Etats africains à la hauteur de l’affront, le Président Macky Sall nous annonce une discussion en privé entre lui et le président français sur la question qui aurait abouti à des relations excellentes entre les deux chefs d’États.
Le président Macky Sall doit savoir qu’il n’a pas été élu pour entretenir des relations personnelles qui relèguent les intérêts de l’Afrique et du Sénégal au second plan. Une action publique de dévoiement des principes de souveraineté des États africains entreprise par le président Macron devait être suivie d’une réponse publique de la part des chefs d’Etats africains.
Dans une tribune intitulée « Cinq enseignements du sommet Afrique-France de Montpellier » nous avions averti qu’à travers ce sommet de Montpellier, le président Macron avait inauguré « l’ère des représentants africains non désignés par les Africains. Il inaugure l’ère des sommets étatiques impliquant l’Afrique sans représentants des États africains. Il inaugure l’ère du contournement des processus démocratiques internes des pays africains qui aboutissent aux choix de dirigeants élus. Il inaugure l’ère de l’attribution tous azimuts de la médaille de la légitimité française qui fera foi et met son titulaire au rang d’interlocuteur d’un Président français et de représentant du peuple africain. »
Et nous n’avions pas manqué de nous prononcer sur le silence des chefs d’États africains en ces termes : « Le silence de nos chefs d’Etat sur le sommet Afrique-France tenu à Montpellier et engageant nos pays à travers les décisions prises à cet effet sans leur présence et sans leur implication, remet tout en question. Tout le discours du Président Macron sur l’indépendance de l’Afrique s’affaisse comme un château de cartes. Si nos chefs d’Etat africains étaient libres, ils n’allaient jamais laisser passer un tel affront. Aucune jeunesse ou société civile française ne peut représenter la France dans aucun territoire du monde. Aucun chef d’Etat français n’acceptera que des décisions engageant la France soient prises en dehors de la France, sans ses représentants et exécutées en France. En organisant ce sommet de Montpellier, le Président Macron n’a fait que confirmer la main lourde de la France sur les affaires internes des pays africains. »
Les autorités françaises doivent définitivement tourner la page du paternalisme pour laisser place à une collaboration saine. C’est ainsi qu’elles donneront une bonne impression aux jeunes africains.
Même enrobé dans des réformes et formules creuses, ce paternalisme est visible à mille lieues. Il est juste irrespectueux à l’égard des peuples africains et inacceptable pour des États souverains.
Sur d’éventuelles émeutes au Sénégal
Répondant à la question de savoir s’il craignait des émeutes comme celles de mars 2021, qui avaient fait 14 morts, le Président Macky Sall a répondu : « J’ignore ce qui peut se passer. Je ne suis pas devin. Mais une chose est sûre : ceux qui s’imaginent pouvoir intimider le pouvoir et bloquer la justice se bercent d’illusions. Chacun devra assumer ses responsabilités. »
Monsieur le Président de la République est donc passé du discours « ce qui s’est passé en mars ne se passera plus dans ce pays » à un discours où il nage dans l’incertitude en déclarant : « J’ignore ce qui peut se passer. Je ne suis pas devin. »
En réalité, il sait que tout peut se passer. Le bilan de mars n’a été qu’un massacre contre le peuple sénégalais qui en a beaucoup souffert. Des compatriotes tués, d’autres blessés, des biens d’autrui saccagés, des commerces vandalisés…
Le peuple souffre trop des dégâts collatéraux des combats politiques.
L’Etat a le devoir d’assurer totalement et entièrement la sécurité des populations, mais il n’a pas le droit de jeter de l’huile sur le feu.
Les différentes arrestations ces deniers jours doivent nous conduire à nous arrêter sur la question des libertés et sur l’utilisation de la force contraignante de l’État qui tend vers l’abus.
Il est vrai que certaines arrestations sont totalement justifiées et doivent continuer. Ceux qui profitent d’une tension politique pour s’en prendre aux biens d’autrui doivent être mis hors d’état de nuire. La plus grosse erreur serait de défendre ces personnes incriminées au détriment de leurs victimes qui n’ont rien demandé et qui ont choisi de vaquer tranquillement à leurs occupations professionnelles ou familiales.
En revanche, les arrestations pour des délits d’opinion qui deviennent courantes sont inacceptables. Alors membre de l’opposition, le président Macky Sall était allé jusqu’à promettre de déloger le président légitimement élu à l’époque, à savoir le Président Wade et il n’a jamais été inquiété pour cela.
Les arrestations tous azimuts d’adversaires politiques pour des propos qu’ils auraient émis relèvent d’un abus de pouvoir inacceptable. Le président Macky Sall doit veiller au respect des libertés individuelles et collectives. L’Etat ne doit pas être le bras armé d’un Président de la République dans le cadre de ses propres règlements de comptes politiques.
Thierno Bocoum
Ancien parlementaire
Président AGIR
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