Le parfum enivrant des encens de la ville a sans doute la vertu de revigorer un enthousiasme politique alourdi par le doute, mais pas celle de rallumer dans l’esprit des citoyens la confiance qui font les rois quand ceux-ci ont démérité.
Touba, drapée de ses plus beaux atours, a reçu, samedi, en grande pompe, Macky Sall. Officiellement dans le cadre de l’inauguration du centre hospitalier national Cheikh Ahmadoul Khadim. Hôpital de référence, s’il s’en trouve, en tout cas joyau hospitalier de niveau 3 d’une capacité de 300 lits extensible ; lustre presque incongru dans cette cité défigurée par les récentes inondations qui ont généré dans la population dépit et colère.
Moins officiellement, mais avec la logistique et la rhétorique qui s’y rapportent, le chef de l’État est venu s’assurer d’une fidélité électorale dont Benno Bokk Yaakaar, sa coalition politique, aura bien besoin pour gagner les élections locales de janvier prochain. D’ailleurs, il ne s’est point caché de la vraie nature de sa démarche, reléguant ipso facto l’inauguration du splendide centre hospitalier aux étiages du prétexte populiste. Ni plus ni moins. « Avec la mobilisation que j’ai vue ici, je suis bien rassuré… A Touba, il y aura une seule liste pour les élections locales. Ce sera celle de Benno Bokk Yaakaar. Avec cette donne, il n’y aura pas de combat… ».
Grande confiance et grande assurance du premier des Sénégalais et qui ont vraisemblablement alimenté son désir de prépayer une adhésion supposée : une enveloppe de 23 milliards annoncée pour « régler définitivement le problème de l’eau à Touba et ce, à travers un projet hydraulique qui va permettre de doubler la capacité de production, avec la réhabilitation du bassin de Darou Brahmane… ». Il savait les mécontentements du moment, alimentés par des inondations spectaculaires et le sauve-qui-peut qui s’en est suivi et qui a essentiellement cristallisé l’absence de l’État.
Dopé par la liesse et l’euphorie populaires qu’ont fait jaillir ses premières promesses, Macky Sall s’est davantage conforté dans ses habits de leader de parti, en annonçant, dans la foulée, le démarrage prochain de la construction d’hôpitaux à Tivaouane, Mbour et Saint-Louis, la reconstruction de l’hôpital Aristide Le Dantec et bien d’autres innovations, dans la perspective d’une « mise à niveau du système hospitalier sénégalais ».
A Touba, le chef de l’État est venu prendre le pouls d’une popularité qu’il sait abîmée et s’assurer du soutien de l’establishment religieux qui dicte encore à une couche relativement importante de la population ses choix électoraux.
Mais la démarche aura-t-elle été fructueuse ? La mobilisation populaire observée samedi semble indiquer que oui. Mais les temps semblent plus éloignés qu’on ne le croit, où les consignes religieuses pour la sphère politique tenaient lieu d’oukazes. La démarcation entre l’ordre religieux et l’ordre temporel s’avérant de moins en moins évidente, la sainteté hiératique du sermon religieux fait de moins en moins de convaincus. Et la gibecière religieuse, fût-elle de Touba, semble de plus en plus tributaire de la générosité politique. L’électeur ouvre, hébété, les yeux sur une lucidité nouvelle. Dieu est bien haut dans le ciel et les hommes doivent déterminer leurs choix pour construire leur destin.
Macky Sall n’est pas dupe de ces transformations mentales et de ce qu’elles induisent. Il sait qu’il lui faudra plus que le soutien de la spiritualité. Il lui faudra convaincre de la pertinence de son action et de son sens pour les générations de demain. Ce n’est pas gagné. Une opposition qui se remobilise devant le délitement de la société et qui attise les colères de l’opinion devant le coût de la vie de plus en plus cher ; une atmosphère politique lourde de menaces et de confrontations ; la quasi-unanimité d’hostilité autour de la perspective d’un troisième mandat limitent les marges de manifestations concrètes d’une probable bonne foi politique et de son expression idéologique.
Les constructions hospitalières annoncées dans l’angoisse des proximités électorales, les grands projets d’assainissement urbain et de lutte contre les inondations, véritable serpent de mer de l’action publique, semblent aujourd’hui trop justes pour assurer au pouvoir de Macky Sall la « remontada » dont il a besoin pour solliciter, si l’idée lui en venait, la confiance des Sénégalais pour un troisième mandat. Le mal semble être plus profond. Il serait celui d’une rupture de confiance qui plongerait ses racines dans la corrosion progressive du bien-être des individus et des familles dont le premier des Sénégalais n’a pas su se rendre compte à temps, alors même qu’il avait été appelé pour l’endiguer. La paupérisation des campagnes, la pauvreté rampante d’un bon nombre de citadins qui survivent beaucoup plus qu’ils ne vivent, ont achevé de briser le contrat de confiance qui avait pu lier un homme et un peuple en 2012.
Touba, ses lumières, ses dieux ; le parfum enivrant de ses encens a sans doute la vertu de revigorer un enthousiasme politique alourdi par le doute, au point de lui faire annoncer de gros projets, mais pas celle de rallumer dans l’esprit des citoyens la fièvre et la confiance qui font les rois quand ceux-ci ont démérité.
PAR PHILIPPE D’ALMAEIDA
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