La situation des enfants talibés reste une préoccupation pour Amnesty international. Dans un entretien qu’il a accordé au journal Tribune, Seydi Gassama revient sur le comportement du Sénégal qui a pourtant ratifié de nombreux accords et traités sur la protection des enfants, face à une telle situation. Pour le Directeur exécutif d’Amnesty/Sénégal la difficulté de l’Etat à enrayer le problème n’est pas liée aux pressions des groupes religieux. Car, le Code pénal punit les violences infligées aux enfants.
“Il n’y a pas de volonté politique de mettre fin aux souffrances des enfants talibés. Les lois existantes, qui peuvent les protéger, ne sont pas appliquées. Le projet de code de l’enfant, qui a fait l’objet de longues et larges concertations, n’a pas été adopté. Ce code offrirait une protection globale et efficace aux droits de tous les enfants sénégalais, pas seulement ceux des écoles coraniques. Le projet de loi portant statut du daara, adopté en conseil des ministres le 06 juin 2018, n’a toujours pas été envoyé à l’Assemblée nationale pour examen. Quelques groupes de maîtres coraniques auraient émis des réserves sur le projet. Il est temps de braver les résistances et de faire adopter cette loi qui donne un statut aux daaras et permet à l’Etat de financer l’enseignement coranique. Le nouveau daara ou daara moderne, tel que conçu par l’Etat, permettrait également de créer des passerelles entre l’éducation donnée dans les daaras et l’éducation nationale. Nous en appelons vivement à l’adoption de ces deux textes mais aussi à l’augmentation des ressources publiques destinées à la protection de l’enfance qui devraient s’élever à 3% du budget national conformément aux engagements pris par l’Etat du Sénégal au sein de l’Union économique et monétaires ouest africaine (Uemoa)”, a-t-il expliqué.
Par ailleurs, M. Gassama a formellement remis à leur place ceux qui estiment qu’Amnesty stigmatise les daaras. “C’est faire un mauvais procès à Amnesty International que d’accuser l’organisation de stigmatiser les daaras. Deux études permettent de réfuter cette accusation. Une cartographie commanditée par la Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes (Cnltp) en 2014 dénombrait plus de 54 000 enfants talibés dans la seule région de Dakar dont 38 079 garçons et 16 758 filles. L’étude conclut que 53% des enfants trouvés dans les écoles coraniques de Dakar pratiquaient la mendicité soit 30 160 enfants, tous des garçons. En 2018, une autre cartographie réalisée par l’Ong Global solidarity initiative dénombrait 2042 écoles coraniques à Dakar, avec un effectif de presque 200 000 talibés dont 25% pratiqueraient la mendicité forcée. Pour Touba, l’Ong a répertorié 1524 écoles coraniques avec un effectif de 127 822 enfants dont 85 000 (66,05%) étaient concernés par la mendicité forcée. La mendicité forcée des enfants talibés est un phénomène omniprésent dans les rues de la plupart des villes et villages du Sénégal. L’enfant talibé, en haillons et la peau couverte de crasse et de plaies, tenant un pot de tomate rouge à la main, illustre mieux que n’importe quelle image le désastreux bilan du pays en matière des droits de l’enfant”, a fait savoir le défenseur des droits humains.
Selon lui, le dernier rapport d’Amnesty, qui est le résultat d’une recherche menée au cours des derniers mois, fait le point sur la situation des enfants talibés au Sénégal. “Plusieurs entretiens ont eu lieu avec les associations des maîtres coraniques et les acteurs étatiques et non étatiques de la protection de l’enfance. Le rapport dresse une situation préoccupante des enfants talibés, une situation dénoncée depuis des décennies par les instances et agences onusiennes en charge de la protection de l’enfance, celles de l’Union africaine et les organisations des droits humains. A toutes ces préoccupations, l’Etat a répondu par des discours, des engagements sans suite. Il est temps de passer des discours aux actions concrètes pour protéger ces enfants”, note-t-il pour le regretter.
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