Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Seydi Gassama, Directeur exécutif d’Amnesty international/section Sénégal a fustigé la répression contre les manifestants des droits pour leur mieux-être. Selon lui, le président de la République doit les écouter plutôt que de répondre par la répression et les emprisonnements.
Le contexte actuel est marqué par des manifestations pour l’annulation de la hausse du prix de l’électricité et l’emprisonnement des activistes comme Guy Marius Sagna. Quelle est votre appréciation de cette situation que d’aucuns considèrent comme lourde de danger pour la démocratie et les droits humains ?
La liberté d’expression et le droit de manifester de façon pacifique sont consacrés par la constitution du Sénégal et des traités internationaux de droits humains dont l’Etat du Sénégal est partie. Ces deux droits sont fondamentaux parce qu’ils permettent de revendiquer tous les autres droits. C’est pour cela qu’ils font l’objet d’une protection spéciale dans les Etats démocratiques par les assemblées législatives et les Courts et Tribunaux. Les Sénégalais qui manifestent depuis le 29 novembre pour réclamer l’annulation de la hausse du prix de l’électricité sont dans leur bon droit. Il appartient au président de la république de les écouter et non de répondre par la répression violente et les emprisonnements.
Justement, la devanture du palais présidentiel et le centre-ville de Dakar sont-ils les seuls lieux où il faut manifester pour se faire entendre, au vu de l’arrêté Ousmane Ngom qui interdit toute manifestation dans ces lieux ?
Le but d’une manifestation revendicative c’est de se faire entendre par les autorités compétentes. Nous considérons qu’interdire aux citoyens de manifester là où se trouvent les centres du pouvoir c’est leur dénier ce droit, surtout que plusieurs manifestations ont eu lieu dans ces endroits par leur passé sans qu’il n’y ait le moindre débordement. Les partis politiques doivent pouvoir manifester jusqu’au ministère de l’intérieur et leurs représentants être reçus par le ministre. Il en est de même pour les enseignants dont le ministère de tutelle se trouve également au centre-ville. Vous voyez donc, l’arrêté Ousmane Ngom doit être abrogé d’autant plus qu’il viole également le code électoral en vigueur dans ce pays qui donne aux partis politiques et aux candidats aux différentes élections, pendant la période officielle de campagne électorale, le droit d’organiser des manifestations sur toute l’étendue du territoire national. Le centre-ville de Dakar fait partie du territoire national et un nombre important d’électeurs y habitent. Si on prend en compte la hiérarchie des normes en droit, aucun arrêté ne peut être au-dessus d’une loi de la république, de la constitution et des traités internationaux ratifiés par le Sénégal. On invoque souvent le risque de trouble à l’ordre public pour interdire. C’est un abus de pouvoir de l’administration. Le pacte international relatif aux droits civils et politiques définit clairement les conditions dans lesquelles un Etat peut limiter le droit de manifester de façon pacifique. Il faut que l’Etat soit dans une situation de troubles graves pouvant mettre en péril l’existence de la nation, une situation d’état d’urgence proclamé par un acte officiel. Depuis les événements post-électoraux de 1988, le Sénégal n’a jamais été dans une telle situation.
Guy Marius Sagna ainsi que deux autres manifestants sont toujours en prison. Que comptez-vous faire pour leur libération ?
Guy Marius Sagna va faire un mois en prison demain dimanche 29 décembre. Amnesty International demande leur libération immédiate. Nul ne doit être emprisonné pour avoir manifesté de façon pacifique. Nous avons lancé une action au niveau international pour demander leur libération. Cette action va se poursuivre et s’amplifier dans les semaines à venir. La plupart des charges retenues contre lui ne sont pas fondées. Aujourd’hui il est détenu dans le quartier de haute sécurité du camp pénal de Liberté 6 où il partage la cellule avec une personne condamnée pour terrorisme. C’est une façon de le punir. Guy Marius Sagna est incapable de tuer une mouche. Il n’a jamais prôné ou cautionner la violence dans les manifestations.
Le président de la république a installé avant-hier le comité de pilotage du dialogue national. Pensez-vous que le respect des droits et libertés doit être au centre de ce dialogue ?
Absolument. Vous savez, le premier mandat du président Macky Sall a été marqué par l’emprisonnement des hommes politiques, parmi lesquels ses adversaires les plus sérieux à l’élection présidentielle de février 2019, Karim Wade et Khalifa Ababcar Sall. Le deuxième mandat s’annonce comme celui de l’emprisonnement des activistes, des lanceurs d’alertes, des journalistes fouineurs qui réclament la transparence dans les contrats miniers, pétroliers et gaziers. L’acharnement judiciaire contre Guy Marius Sagna peut bien avoir un lien avec sa nomination à la tête du Collectif Aar Li gnu bok qui est à la pointe du combat pour la transparence des contrats pétroliers et gaziers. Le dialogue national ne doit pas se réduire à des discussions sur le fichier électoral, le calendrier électoral, la suppression ou non du parrainage, etc. La protection des droits et libertés, l’indépendance de la justice, la bonne gouvernance dans l’exploitation des ressources minérales doivent être au centre des débats car en ces matières, le Sénégal est encore loin de la place qu’il revendique parmi les Etats démocratiques.
- SOURCE : Tribune
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