Serigne Same Mbaye : Transversalité d’un intellectuel organique (Par Abdoulaye Cissé)

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Ce 14 mars 2021 marque la 23ème commémoration du rappel à Dieu du « savant lougatois », l’enfant prodige de Mame Cheikh Ahmadoul Moukhtar Mbaye et de Mame Fatou Thiam. Le grand frère consanguin (de même père et pas de même mère)[1] du milliardaire sénégalais Elh. Djily Mbaye, fut un universitaire et un enseignant-chercheur qui avait toujours été au service de sa communauté. S’il nous avait été autorisé de résumer sa vie en une phrase, ce serait sans doute « Serigne Same Mbaye, une vie au service de l’Islam et de la communauté ». Antonio Gramsci parlerait lui, d’« intellectuel organique de la classe religieuse » s’il prenait connaissance de la vie, du parcours et de l’œuvre de l’homme de Dieu lougatois.     

Serigne Same était quelqu’un qui entretenait d’excellentes relations avec une bonne partie de la communauté islamique sénégalaise. Sa position et son combat transcendaient les clivages et autres appartenances confrériques voire rituelle, puisqu’il était sollicité par toutes les communautés religieuses du Sénégal pour des conférences dans des thèmes aussi divers que variés.

Tous ceux qui le connaissent savent avec pertinence que ce qui l’intéressait en réalité chez un homme, au-delà de son humanité, c’est sa foi en Dieu et son éducation. C’est la raison pour laquelle il avait des amis pratiquement dans toutes les communautés religieuses du Sénégal bien qu’il avait des liens de parenté confirmés avec les familles MBACKE et SY.

Ses relations avec la communauté Mouride

Chez les mourides, Serigne Same Mbaye entretenait d’excellentes relations avec le troisième calife d’Ahmadou Bamba, en l’occurrence Cheikh Abdoul Ahad Mbacké, avec qui il avait beaucoup collaboré dans le cadre notamment de la vulgarisation de l’œuvre écrite et des enseignements de son vénéré père. Avec Serigne Mountakha Mbacké Ibn Cheikh Mouhamadoul Bachir, leur amitié remonte en 1952 alors qu’ils étaient tous les deux étudiants en Mauritanie. L’actuel calife général de la communauté mouride ne cesse d’ailleurs, jusque-là, de revivifier cette amitié lointaine qui les liait à chaque fois que l’occasion lui est offerte.

Il entretenait ces mêmes relations avec l’ancien ambassadeur Serigne Saliou Mbacké, fils de Serigne Modou Moustapha (premier calife de Cheikh Ahmadou Bamba) avec qui il a longuement séjourné dans beaucoup pays arabes à la recherche de la connaissance et du savoir. Avec Serigne Saliou Mbacké (dernier fils de Bamba à être son calife), il entretenait une relation plutôt ésotérique que la décence nous interdit de révéler.

Serigne Abdou Khadr Mbacké, quatrième calife de Cheikhoul Khadim, n’avait jamais manqué une occasion pour lui témoigner sa satisfaction notamment en ce qui concernait la traduction en français des ouvrages de son illustre père. Serigne Mourtada, surnommé Al mujàhidul akbar (le grand combattant de la foi) était sans nul doute celui avec qui on le voyait le plus souvent, dans le cadre notamment de la mise en œuvre de sa mission exaltante de vulgarisation de l’importante œuvre de son père partout à travers le monde en compagnie du fils d’Ahmad Kabir. Serigne Same était son conférencier préféré et il ne ratait aucune occasion d’embarquer avec lui dans ses nombreux voyages à l’étranger. Nous ne pouvons pas ne pas citer dans cette liste qui est loin d’être exhaustive, le brillant Serigne Khadim Mbacké, surnommé « docteur », fils de Serigne Cheikh Mbacké Awa Balla et ancien médecin pédiatre à l’hôpital régional de Kaolack avec qui il entretenait également d’excellentes relations.

On n’en finirait pas de compter ses amitiés au sein de la communauté mouride. Ne serait-il pas alors une lapalissade de rappeler que Serigne Same était le conférencier préféré des mourides comme l’illustrent les nombreuses fois qu’il fut sollicité à animer des conférences pour le compte de cette communauté et dont l’une des plus distinguées reste sans nul doute celle animée le 30 juin 1979 au siège de l’UNESCO à Paris portant sur le thème : Soufisme et orthodoxie dans l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké.  

Du côté des Tidianes

Chez les tidianes, Serigne Same Mbaye était très aimé par Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh qui disait à l’endroit de qui voulait l’entendre, avec le franc-parler qu’on lui connaissait, que « toute personne éprise de bonne foi, qui aime Dieu et son Prophète Mouhamed, ne peut pas non plus ne pas aimer Serigne Same Mbaye[2]». Des propos assez suffisants pour illustrer tout l’amour qu’il portait à son cousin car, il ne prononçait jamais le nom de Mame Cheikh Mbaye Kabîr, sans dire en amont « mon oncle ».

Serigne Same entretenait également de très bonnes relations avec Serigne Maodo Sy ibn Cheikh Abdoul Aziz Sy Dabakh qui lui consacra un marsiyya[3] fort éloquent au lendemain de son rappel à Dieu le 14 mars 1998 qu’il lira lui-même devant l’assistance lors de la présentation de ses condoléances à la famille éplorée à Louga. Ce jour-là, il a fait le « wazzifa » dans l’enceinte de la maison mortuaire au profit du défunt en guise de reconnaissance envers son ami.

Le Pr. Abdoul Aziz Kébé, ancien chef du département Arabe de la faculté des Lettres et sciences humaines de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, actuel délégué général au pèlerinage à la Mecque et membre éminent de la communauté Tidiane, fréquentait également Serigne Same Mbaye au lendemain de son retour au bercail à la fin de ses études à l’étranger. « Il lui rendait souvent visite à Louga » confesse un de nos interlocuteurs. La communauté tidiane de Saint-Louis, ville où il a passé une bonne partie de sa vie, l’invitait également pour animer des conférences à l’occasion de leurs différentes manifestations religieuses. Entre Serigne Same Mbaye, Saint-Louis, la recherche de connaissances et l’enseignement, c’est une très longue histoire marquée par trois passages entre 1945 et 1965.

La ville tricentenaire étant un des bastions de la tidianiya avec notamment la présence de la famille de feu Serigne Elh. Madior Cissé, un des plus éminents compagnons et « moukhadam[4] » de Seydi Hadj Malick Sy. Ce dernier y possède également une « zawiya[5] ». 

Serigne Abdoulahi Mbaye, islamologue rigoureux, animateur à la Radio Dunya Vision (RDV) et maître dans l’art de l’exégèse du texte coranique, a lui aussi confirmé lors d’une conférence qu’il animait pour le compte de la dahira Tarkhiya Ila-Lahi tahta raaya-ti Khadimou Rassoul de Keur Massar que, bien qu’étant Tidiane, il fréquentait Serigne Same alors qu’il était en service à Louga. Serigne Same lui ouvrait sa bibliothèque personnelle et l’autorisait à y faire ses recherches. Il déclare y avoir trouvé beaucoup de livres dont il entendait seulement le nom. Habitué des lieux, il y venait juste pour faire des recherches, se documenter et repartir. Un jour, raconte-t-il, Baye Same l’appela pour échanger avec lui sur certains de ses sujets de prédilection.

L’entretien était tellement dense, enrichissant et instructif qu’il regretta aussitôt tout le temps qu’il venait à la bibliothèque sans jamais chercher à rencontrer le maître des lieux. « Il était mille fois plus bénéfique de s’entretenir avec Serigne Same Mbaye, ne serait-ce que pour cinq minutes, que de passer deux heures à lire une œuvre. En un laps de temps, il t’apprenait énormément de choses qu’il te serait extrêmement difficile de savoir à travers la lecture voire de trouver dans des ouvrages » fait-il remarquer.  

Serigne Same entretenait également d’excellentes relations avec feu Sidy Lamine Niass, PDG du groupe Walfadjri qui lui rendait très souvent visite, à chaque fois qu’il était présent à Dakar, et parfois même jusqu’à son domicile à Louga en vue de s’entretenir avec lui sur divers sujets d’ordre social, religieux, économique, de gouvernance entre autres. D’ailleurs, une semaine avant le rappel à Dieu de Baye Same en 1998, Sidy Lamine Niass prévoyait de l’inviter dans sa célèbre émission « Diné ak Diamono » (religion et société) qui juste venait de démarrer sur Walf Tv.Il était alors question de débattre de la Mouridiya en tant que voie et communauté ainsi que du modèle mouride comme que « projet de société » pour le Sénégal. Serigne Same devait aborder ce sujet avec Sidy

Lamine Niass à la suite de Cheikh Tahirou Doucouré qui avait fait un brillant exposé sur la confrérie Tidiane une semaine auparavant. L’émission d’ouverture, consacrée à la Qadriya avait comme invité Thierno Bachir Ly qui avait, lui aussi, développé un bel exposé sur l’une des plus anciennes confréries du Sénégal. Pour la troisième émission qui devait porter sur la Mouridiya, l’animateur avait ciblé deux éminentes personnalités de la communauté mouride à savoir, Cheikh Abdoulahi Dièye de Saint-Louis (ancien président de l’association des étudiants et stagiaires mourides en Europe) et Serigne Same Mbaye de Louga. L’émission n’avait pu finalement se tenir puisque le jour même où l’enregistrement devait se faire, un vendredi habituellement, la maladie terrassa l’homme de Dieu et il décéda le lendemain à l’hôpital Principal de Dakar au grand dam des fidèles et des téléspectateurs.  

Avec la communauté Qadr

Feu Ahmed Bachir Kounta, journaliste émérite et islamologue rigoureux de la famille Qadr de Ndiassane, aimait également Baye Same et avait de bonnes relations avec lui. Le Cheikh passait très souvent le voir chez lui à chaque fois qu’il en avait l’occasion en allant ou en revenant de Dakar. En revanche la relation qu’il entretenait avec son grand frère, Serigne Sidy Kounta, par l’entremise de qui il avait véritablement fait la connaissance de Bachir Kounta, était plutôt intellectuelle. Ce dernier qui faisait partie des plus grands spécialistes sénégalais de la loi islamique (le fiqh) découvrit pourtant Serigne Same à travers une conférence qu’un de ses amis boutiquiers écoutait et dans laquelle le prédicateur lougatois abordait un sujet portant sur la jurisprudence islamique et ses diverses implications dans la pratique religieuse. Après avoir écouté la conférence, il confessa à son ami être véritablement surpris par l’immensité des connaissances de celui qui parlait, et surtout, du fait qu’il croyait être le seul au Sénégal à se spécialiser véritablement dans ce domaine particulier de la science islamique. « Je n’avais jamais cru qu’il y avait au Sénégal, en ce moment, quelqu’un qui comprendrait le fiqh autant que moi ». C’est par l’entremise de cet ami boutiquier que Serigne Sidy Kounta fit la connaissance de Serigne Same, et garda avec lui depuis lors, d’excellentes relations amicales. Réciproquement, c’est par l’entremise de son grand frère que Cheikh Ahmed Bachir Kounta fit également la connaissance de Baye Same.    

Serigne Same Mbaye et la communauté wahhabite

La communauté wahhabite, communément appelée au Sénégal « Ibaadu Rahman », faisait également appel à Serigne Same Mbaye qui leur animait des conférences et autres causeries. L’une des plus marquantes reste, sans nul doute, celle animée en 1989 au quartier Carrière de Thiès portant sur l’entraide entre les musulmans (Al Muhawuna). Une conférence au cours de laquelle les membres de cette communauté, pourtant réputés zen et ayant une parfaite maîtrise de soi, tombaient en transe en exaltant haut le nom de Dieu (Allahou Akbar ! Allahou Akbar ! Allahou Akbar !) à chaque fois que le conférencier mettait l’accent sur un des maux véritables qui gangrènerait la communauté musulmane voire la société de manière plus générale et sur les immenses attributs de Dieu Tout-Puissant. Lors de cette conférence qui resta dans les annales historiques de son œuvre, il étayait toujours ses propos avec des versets coraniques et des hadiths prophétiques qui confirmèrent ses dires. Cette communauté le sollicitait également à Saint-Louis, Louga à Ndiang Mambodj en particulier mais également à Dakar pour des conférences sur diverses thématiques sociales et religieuses. Son engagement à l’Union Culturelle Musulmane (UCM) dans les années 1955, structure que l’on pouvait considérer à l’époque comme le syndicat des étudiants et intellectuels arabes, lui avait permis de faire la connaissance de nombreux futurs leaders de ladite communauté avec qui il entretenait d’excellentes relations. Puisqu’après la scission de l’UCM dont les figures de proue étaient à l’époque par Serigne Cheikh Touré, Serigne Mame Bara Mbacké et Mourchide Ahmad Iyane Thiam, en 1978, furent crées Al Falah, la Jamaahatu Ibadu Rahman et Fédération des Associations Islamiques du Sénégal (FAISE).

Si Serigne Same avait cette envergure et cette aura dans les différentes communautés musulmanes du Sénégal, c’est parce que ses propos ne sortaient jamais des enseignements de Dieu, du Coran et de la tradition prophétique. Il était un intellectuel dense qui s’était beaucoup investi dans la recherche de savoirs ce qui lui avait permis d’avoir des connaissances transversales qu’il n’hésitait point à partager et à mettre au service de tout interpellant. Une telle démarche de sa part ne surprend ceux qui l’avaient connu ou fréquenté car, Serigne Same avait toujours prôné le rassemblement des musulmans même si cela, de son point de vue, devrait être précédé d’une union sacrée des cœurs adossée à une éducation religieuse pourvoyeuse de bonnes valeurs morales et intellectuelles puisque que pour lui, « regrouper une communauté d’hommes sans foi, c’est comme regrouper une meute de chacals. Ils te dévoreront dès que tu fermes l’œil ». Des propos certes métaphoriques, mais qui méritent tout de même une profonde réflexion. Son engagement à défendre les causes nobles n’avait d’égal du reste, que les bonnes qualités humaines dont il était doté et qui ont toujours conduit et encadré sa démarche ainsi que les relations cordiales qu’il avait de tout le temps entretenu avec les autres.

Abdoulaye CISSE,

Psycho-sociologue

Auteur de l’ouvrage SerigneSame Mbaye, itinéraire d’un homme de Dieu, éditions Afrikana, Canada, mars 2020, 372 pages.


[1] Beaucoup font la confusion en croyant que Baye Same et Djily sont des frères germains ce qui n’est pas le cas. La mère de Elh. Djily Mbaye s’appelle Sokhna Khadidiatou Touré et celle de Serigne Same Sokhna Fatou Thiam.

[2] Propos recueillis auprès de Serigne Abdoulaye Diop Same.

[3] Disponible en version arabe et wolof pour ceux qui seraient intéressés.

[4] Savant et représentant légitime du guide spirituel dans sa localité et ses environs.

[5] Lieu de prière où les disciples se retrouvent souvent pour invoquer Allah et faire le wazifa.

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