Qui aurait juré après l’avoir jaugé qu’Al Amine rejoindrait Al Maktoum, son Khalif de frère, juste cinq mois après ? Seul lui qui l’eut prédit et confié à ses proches de manière subtile et parabolique. Quel exercice périlleux voire laborieux que de vouloir, en cette circonstance de douleur et de mélancolie, parler de celui que beaucoup d’esprits mieux éclairés et plus pétillants ont déjà chanté et loué ! Mais, le fils d’Al Moudir, compagnon de la première heure de celui que l’entourage surnommait affectueusement « Marabout » et cela pendant plus de quarante ans, peut tenter l’expérience. Malgré cette entreprise malaisée, nous allons essayer de parler un peu de lui, car de lui, tout ne peut être dit, quoi que tout de lui mériterait d’être dit.
L’annonce de son rappel à Dieu a suscité chez nous une immense douleur en raison du vide que la ville sainte de Tivaouane connaitra à coup sûr et des multiples et variés rôles qu’il jouait au sein de la famille SY, de la Tarikha tidiane, de la Oummah islamique et du Sénégal. Qui pourrait le remplacer dans ces tâches plurielles qu’il gérait quotidiennement et sans relâche ? Toujours au service des autres et avec ténacité, il a incarné magistralement le prénom de Abdou tant dans son sens que dans sa signification.
Littéralement, A’bd signifie « adorateur » dans sa dimension divine et « serviteur » dans son acception humaine. Les deux, Al Amine les a fondamentalement incarnés. Depuis sa tendre enfance, son père, LE Khalif par excellence, lui a attesté sa confiance en faisant de lui Al Amine. C’était la révélation. Homme sûr, honnête, simple et serviable, son homonyme en fera le porte-parole de la famille de Maodo dans une société foncièrement orale au milieu d’un Cadior, fief du beau-dire. Avec Dabakh, c’est la confirmation jadis marquée au fer par Djamil, Borom Daradji et Al Maktoum. En tant que khalif un 15 mars 2017, il devient le berger, le gardien du troupeau et du temple. C’est la consécration.
Héritier de ses devanciers, il ne les a point imités. Il s’est doté d’un style qui lui était propre. Juste, il se voulait leur disciple pour le triomphe de leur honneur afin que le drapeau de Maodo Malick, héritier de Foutiyou, continue de flotter à jamais sur les minbars des mosquées et zawiyas. Comme tel, il a été leur porte-voix, leur avocat, leur relais social, leur militant et leur disciple. A travers eux, il a été le tisserand des relations entre Moukhadams et condisciples, cousins et voisins des autres confréries et même autres compatriotes chrétiens. Sa navette a tissé une des plus belles étoffes du tissu social sénégalais.
A leur instar et sur leur ordre, il a foulé les coins et recoins du monde pour éveiller et éduquer, pour poser une première pierre d’une mosquée ou d’un centre islamique ici, inaugurer, aller au secours d’un nécessiteux ou présider une prière mortuaire, là. Il l’a fait du nord au sud, de l’est à l’ouest, des Iles Maldives aux Iles du Saloum, de Manhattan à Rome, près de la Cathédrale Saint-Pierre, là où le Maître de la voie, Seyid Cheikh Ahmed Tidiane Chérif Al Fatimi, lui est apparu en état de veille.
Nous ne voulons pas froisser sa modestie depuis l’outre-tombe, puisque ses 90 ans de vie se confinent dans une altière discrétion mystique qui se conjugue avec une sublime sobriété mythique. C’est cet homme-là, chérif de par sa double lignée paternelle depuis Fatima Al Ansar et avec Chamsdine SY et maternelle en tant que Guelewar avec Selbé, fille de Coumba Ndoffène, qui unit avec honneur et bonheur, les rares qualités de l’esprit et du cœur, que nous honorons aujourd’hui.
C’est par cette auguste naissance qu’il a incarné véhément et puissamment les qualités de Aziz. Attribut de Dieu, avec Al Amine, le nom se transforme en épithète dans le sens d’honorable. Malgré sa nature intrinsèque de serviteur, il n’a jamais été vil et petit. Il savait obéir sans se rabaisser, négocier sans marchander et accepter les compromis sans se compromettre. Parce qu’il sentait le parfum de Aziz qu’il a été d’une haute noblesse au sein des dignitaires religieux, d’une immense grandeur devant les plus hautes autorités étatiques du monde, d’une forte dignité face aux maîtres de la finance nationale et mondiale. Ainsi, de Al Amine il est devenu Al Amir.
Tout ceci parce qu’il est un SY. Digne descendant de Chamsdine et de Demba Bunna, Al Amine a été un SEYDI ou un SIDI, qui par une déformation linguistique magrébine, est devenu SY, autrement dit un SEIGNEUR.
Très tôt, il a saisi l’importance de sa mission, à savoir SERVIR avec HONNEUR comme un SEIGNEUR. Debout sur ses pieds fermes tel un boxeur ou courbé s’appuyant sur sa canne avec la démarche frêle, l’infatigable Al Amine a servi AL AMINE ibn Abdallah, dans ses multiples et incalculables gamous, de Ouakam à Ghankett, sous son regard admiratif depuis Médine la lumineuse. Al Amine a veillé scrupuleusement sur le trésor de Seydi Cheikh Ahmed Tidiane Cherif qui l’applaudit à la Zawiya de New-York depuis Fès la mystique et le remercie à Boulel la verte. Al Amine a raffermi les relations séculaires entre Alwar de Foutiyou et Tivaouane de Maodo sous la joie immaculée de Thierno Bachir Tall, l’ami. Al Amine a été l’artisan du raffermissement de la complicité positive entre Cheikhoul Khadim et Cheikh Seydil Hadji Malick sous l’impulsion renouvelée de Mame Dabakh et le plaisir de Serigne Saliou ; tout ceci, parce que Mame Marame Mbacké depuis Diossy , la prodigieuse.
Al Amine a été, avec une oreille attentive et une parole écoutée, le régulateur social entre l’Etat et les corporations et mouvements de tout acabit. De Madia DIOP à Mamadou Lamine DIANTE en passant par Mademba SOCK, du Président Lamine GUEYE au maire Khalifa Ababacar SALL en passant par Idrissa SECK, il a été abonné présent pour l’instauration de la paix et de la sécurité au Sénégal. A Tivaouane, les jeunes frères que sont Serigne Mbaye Mansour Al Khalifa, Sidy Ahmed SY Ibn Khalifa, Serigne Maodo et Serigne Pape Malick ont affirmé que Al Amine les a toujours suppléés tant dans la Harada que dans la famille au point que l’un d’entre eux, eût dit qu’avec la disparition de Serigne Abdou chacun saura le véritable rôle qu’il a joué en sa faveur.
Notre douleur s’est dissipée et s’est transformée en douceur, la journée de prières pour le repos éternel de son âme au troisième jour de son décès. Avec Dabakh, le temps a pleuré à travers une poussière épaisse. Avec Al Maktoum, la matinée suivant ses premières heures sous terre était fraiche et ombrageuse après une semaine caniculaire. Avec Al Amine, c’est la pluie de la miséricorde qui a révélé l’homme de Dieu qu’il a été. Cette pluie qui a envahi la tente pour juste consacrer le nouveau Khalif, l’autre Aboubakr, As sadikh (l’intègre) mais pas moins que Abdoul Hakh (le véridique). Quelle fin (but et objectif) heureuse !
L’héritier des héritiers, Al Amine a résumé en lui la grandeur et la sagesse de son père, la majesté et la rigueur de Al Mansour Malick, l’infatigabilité et l’altruisme de Dabakh, la simplicité et l’humilité de Serigne Habib Malick, la beauté et le mystère de Djamil, l’érudition et la gentillesse de Serigne Mansour, l’éloquence et la générosité de Al Maktoum. Qui pourrait, après lui, regrouper tout cela ? Qui pourrait, après lui, supporter tout cet héritage ? Heureusement que famille et voisins, nationaux et étrangers, religieux et politiques, Présidents de la République et Rois, disciples et moukhadams sont tous unanimes : Al Amine est irremplaçable parmi les humains. Nous prions pour la pérennité de son travail et la sauvegarde de sa vie de labeur qu’il a offerte à l’humain tout court. Son éternelle demeure ne pouvait être que devant le Minbar de la Mosquée de Serigne Babacar pour la réalisation et la réfection de laquelle il a sué sang et eau. Al Ibn, prince de Jésus le Junior, rendez-vous est donné au Djanatou Nahîîm avec les compagnons de la Dahiratoul Abrar sur ordre du Seigneur des Mondes, LE SEUL IRREMPLACABLE.
Amine pour Al Amine !
Soyez le premier à commenter