Au Sénégal, les autorités ont arrêté de façon arbitraire des personnalités de l’opposition et de la société civile, restreint l’accès à Internet, et suspendu deux chaînes de télévision. Les forces de sécurité ont tiré sur des personnes qui manifestaient. Le droit à la santé a été mis à mal dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Des expulsions forcées ont encore eu lieu cette année, souligne Amnesty dans un communiqué dont Jotalixibar a reçu copie. L’organisation de défense des droits humains a rendu son bilan annuel ce mardi 29 mars 2022.
DÉTENTION ARBITRAIRE
En janvier, Boubacar Seye, Président de l’ONG Horizons Sans Frontières, a été arrêté de façon arbitraire à son arrivée à l’aéroport de Dakar. Il avait été inculpé de « diffusion de fausses nouvelles » en raison d’une interview qu’il avait donné en octobre 2020 dans laquelle il avait dénoncé le manque de transparence concernant l’utilisation par le gouvernement des fonds fournis par l’Union Epour des programmes en faveur de l’emploi des jeunes et de la lutte contre la migration irrégulière vers l’Europe. Il a été libéré à titre provisoire 20 jours après son arrestation. En février, les autorités ont arrêté de façon arbitraire plusieurs personnalités de l’opposition et de la société civile qui avaient critiqué l’attitude du gouvernement dans une affaire pénale liée à une plainte pour viol mettant en cause Ousmane Sonko, président de Pastef (Pastef-Les Patriotes), un parti d’opposition. Parmi les personnes arrêtées figuraient des membres de Pastef, notamment Birame Souleye Diop et Abbas Fall, poursuivis pour « association de malfaiteurs, complicité de diffusion de contenus contraires aux bonnes mœurs, menace de voie de fait et violence ». Dix-sept militantes de Pastef dont Maimouna Dièye, présidente du mouvement des femmes de ce parti ont également été arrêtées et incarcérées dans la prison de Rebeuss bien que n’étant inculpées d’aucune infraction pénale. Le militant Guy Marius Sagna a été arrêté et inculpé d’ « association de malfaiteurs », de « participation à un mouvement insurrectionnel » et de « menaces de troubles à l’ordre public » après qu’il eut accusé la police d’avoir torturé et maltraité des sympathisants de Pastef arrêtés en février. Toutes ces personnes ont été remises en liberté en avril. En mars, Ousmane Sonko a lui aussi été arrêté de façon arbitraire et accusé de troubles à l’ordre public alors qu’il se rendait, en compagnie de ses militant·e·s, à une convocation de la justice dans le cadre de la plainte pour viol. Il a été relâché six jours plus tard.
RECOURS EXCESSIF À LA FORCE
En mars, les forces de sécurité ont tué 14 personnes dont trois enfants, quand elles ont tiré à balles réelles pour disperser des manifestations nationales à Dakar, Bignona, Kaolack et Diaobé. Ces manifestations faisaient suite à l’arrestation et l’incarcération de Ousmane SONKO et avaient dans certains cas dégénéré en violences. Au moins, 400 personnes ont été blessées.
Lors des manifestations à Dakar, des individus armés ont prêté main-forte à la police et attaqué des protestataires dans plusieurs quartiers de la ville. Le gouvernement sénégalais a indiqué qu’il s’agissait de policiers en civil.
La commission indépendante annoncée en avril par les autorités pour enquêter sur les violences commises lors des manifestations n’avait pas encore été mise sur pied. Le président a déclaré en décembre qu’une information judiciaire était en cours.
Toutefois, à ce jour, et selon les avocats constitués, aucun acte d’instruction n’ a été posé pour les cas de décès et de blessures graves ayant fait l’objet de plainte à Dakar, Sédhiou et Kolda notamment.
LIBERTE D’EXPRESSION ET DE REUNION
En mars, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel a suspendu Walf TV et Sen TV pendant 72 heures au motif que ces deux chaînes de télévision avaient diffusé en direct des images de manifestations ; le Conseil a considéré qu’en agissant de la sorte, elles s’étaient livrées à une « apologie de la violence » et à une « couverture irresponsable de la situation ». Des protestataires ont par ailleurs vandalisé des biens appartenant à l’organe de presse Groupe Futurs Medias et au quotidien Le Soleil, considérés comme favorables au gouvernement.
En mars également, les autorités ont restreint l’accès à Internet et aux réseaux sociaux à l’approche d’une manifestation prévue à Dakar.
En juin, l’Assemblée nationale a adopté des modifications des dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale relatives au terrorisme qui ont gravement restreints les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Les actes terroristes, définis de façon trop large, comprenaient des faits liés au trouble à l’ordre public, l’association de malfaiteurs, des infractions liées aux technologies de l’information et de la communication, et le fait d’« inciter à la commission d’un acte terroriste ». Cette définition pouvait s’appliquer aux manifestations dégénérant en violences, et les personnes les ayant organisées risquaient de faire l’objet de poursuites pénales.
DROIT À LA SANTÉ
En mars, le Sénégal a lancé sa campagne de vaccination contre le COVID-19, avec l’aide du COVAX. La pénurie de vaccins en juillet a coïncidé avec l’arrivée d’une nouvelle vague de contaminations qui a conduit à une augmentation de 44 % des cas de COVID-19.
En décembre, 1,9 millions de vaccins ont été administrés et 593 000 personnes étaient entièrement vaccinées, soit 5,6 % de la population.
DROITS DES PERSONNES DÉTENUES
La surpopulation dans les prisons mettait gravement en danger la santé des personnes détenues. Le système mis en place par les autorités carcérales pour surveiller les cas de COVID-19 a conduit à une telle surpopulation dans la prison du Cap Manuel, à Dakar, que les personnes détenues ne pouvaient même plus s’allonger. Cette prison avait en effet été choisie par les autorités pour recevoir, filtrer et placer éventuellement en quarantaine toutes les personnes nouvellement incarcérées avant leur transfert dans d’autres centres de détention.
EXPULSIONS FORCÉES
Des communautés rurales ont continué de contester leur expulsion forcée, qui visait à libérer les terrains au profit d’intérêts commerciaux. À Dougar (une localité située à l’Est de Dakar) 21 personnes ont été arrêtées en mai lors de manifestations contre l’octroi de 72 hectares à une entreprise. Selon les populations concernées, l’indemnité proposé, d’un montant de 100 millions de francs CFA (178 000 dollars des Etats-Unis), calculé à partir d’une grille d’indemnisation datant de 1973, ne reflétait pas le coût actuel de la vie.
A Ndingler, dans la commune de Ndiaganiao, l’Etat n’a toujours pas restitué aux habitants de la localité des terres agricoles spoliées au profit d’un homme d’affaires.
DROITS DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS
En août, les autorités ont averti les employeurs et employeuses du secteur privé qu’ils ne devaient pas suspendre ou licencier les membres de leur personnel n’ayant pas été vaccinés contre le COVID-19, qualifiant ces sanctions de mesures discriminatoires.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES
Des personnes LGBTI, ou présumés LGBTI, ont été attaquées physiquement et publiquement à Dakar et à
Ziguinchor au cours de l’année, et un grand nombre de ces attaques ont été filmées par les agresseurs. En mai, plusieurs groupes conservateurs ont organisé une grande manifestation à Dakar pour réclamer la criminalisation de l’homosexualité dans le Code pénal sénégalais. Amnesty International s’oppose à cette initiative, totalement injustifiée, les actes contre-nature étant déjà très sévèrement punis par le code penal sénégalais (article 319 cp).
DROITS DES ENFANTS
Le Sénégal n’a pas respecté son obligation de protéger les enfants contre les mauvais traitements. Des centaines de milliers d’élèves d’écoles coraniques ont continué d’être contraints de mendier pour assurer leur substance, malgré l’existence d’une loi adoptée en 2005 pour lutter contre la mendicité forcée et la traite des enfants, et d’un projet de loi de 2018 visant à moderniser l’enseignement coranique.
Le projet de loi sur les daaras et le projet de code de l’enfant, deux textes qui ont fait l’objet de concertations approfondies, n’ont toujours pas été soumis au parlement pour adoption.
CASAMANCE
Les mines ont continué à faire des victimes en Casamance. Au mois d’octobre, l’explosion d’une mine a fait six morts et sept blessés à Kandiadiou, un village situé dans le département de Bignona. Cet incident rappelle l’urgence de trouver une solution definitive au conflit qui prévaut dans la région depuis 1982 et de procéder au déminage.
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