Nous ne sommes pas faiseur d’utopie, mais nous avons le droit de rêver d’une société suffisamment émancipée pour se sortir de cette impasse de défaitisme et de fatalisme qui ne cesse de la dégénérer.
Notre pays n’est pas constructeur de voitures, mais nos routes sont pleines de carcasses roulantes et enregistrent un nombre d’accidents de la circulation exponentiel. Dans un pays éclairé par l’esprit de la planification et de la prévention, des études systématiques auraient été faites pour déterminer avec précision le rapport entre les accidents, les différents types de voiture, les chauffeurs (relativement à leur âge ou à leur qualification) l’état des routes, la discipline des usagers, la divagation animale, etc. Mais nous préférons laisser libre cours à nos émotions et nous contenter d’explications irrationnelles pour qu’en fin de compte personne ne soit responsable.
Nos compatriotes meurent comme de vulgaires bêtes dans des
accidents
absurdes et absolument évitables, du moins si la volonté politique, le civisme
et le professionnalisme étaient de rigueur dans ce pays. Combien d’innocents ont
été brutalement et injustement arrachés à l’affection de leurs proches par la simple
étourderie ou l’indiscipline notoire de personnes qui n’ont rien à faire au volant
d’un véhicule ? Combien de carrières prometteuses ont été brisées par un handicap
suite à un accident de circulation qui n’a rien d’accidentel. Aucun accident
n’arrive seul, la responsabilité des hommes y toujours engagée. Aux États-Unis
cette problématique avait été soulevée par les assureurs qui entendaient lutter
contre le laxisme souvent responsable de beaucoup d’accidents. C’est dire que la
lutte contre les accidents doit actionner plusieurs leviers pour espérer
trouver un début de solution.
Malheureusement chez nous, on adore l’improvisation car la paresse de la
rationalisation y est devenue culturelle.
La gouvernement s’est empressé d’instituer un nouveau permis (à
points ?) sans avoir été au préalable capable de justifier économiquement,
techniquement, et sociologiquement, cette trouvaille. Il se susurre même que
c’est uniquement pour renflouer les caisses du trésor gravement éplorées qu’on
a précipité ce projet. Il est clair que le changement de permis ne saurait être
envisagé comme solution à cette funeste pandémie d’accidents. Il faut aller
plus loin et plus profondément dans le diagnostic de la situation pour régler
ce problème.
On construit des routes et des autoroutes, on importe des véhicules, mais quid
de la formation des travailleurs dans le domaine des transports ? Des
routes et des autoroutes ; des permis à point et de nouvelle cartes
grises : ce n’est pas par là qu’il fallait commencer. L’homme est, comme
toujours, le problème et, par conséquent, la solution : on a beau avoir le
meilleur réseau routier et la meilleure législation en matière de transport, si
les hommes ne sont pas formés, c’est comme mettre la charrue avant les bœufs.
Comment le permis de conduire est-il obtenu au Sénégal ? Dans chaque coin
de rue à Dakar et dans les capitales régionales, il y a une autoécole ; et
on ne sait pas comment sont formés tous ces gens ni quelle forme d’inspection
permet d’évaluer leur business.
La facilité avec laquelle on obtient le permis de conduire au Sénégal est
devenue à la fois comique et tragique. Comique, parce qu’on rapporte que des
recalés au passage réussissent quand-même à décrocher le sésame ! Tragique
parce que les faux permis sont devenus, parait-il incalculables, avec des
conséquences forcément désastreuses. Ça ne peut pas continuer, la vie humaine
est trop précieuse pour être si banalement abandonnée aux caprices et à la
cupidité de gens dépourvus de formation et d’éthique. On néglige trop la
formation
théorique ; on a même réussi à convaincre les Sénégalais qu’en matière de
transport terrestre, aucune formation théorique n’est requise. On se contente
d’incriminer les agents de la circulation, mais on se garde de mettre le doigt
sur le déficit de formation des chauffeurs : l’indiscipline est souvent la
conséquence de l’ignorance comme l’exprime bien le mot wolof XAMADI.
Nous autoroutes sont confiées à des multinationales qui viennent se faire de
milliards sur le dos du peuple sans consentir les sacrifices qu’elles auraient
dû
faire. Comment comprendre qu’une firme bénéficie d’un bail de plusieurs
décennies d’exploitation d’une autoroute sans qu’aucune obligation ne lui soit
faite en matière de formation des usagers de ces autoroutes ? Ces firmes
font
payer aux contrevenants qui se font remorquer sur l’autoroute, infligent des
peines d’amende à ceux qui se trompent de niveau de péage, etc., mais sont
frileuses dès qu’il s’agit d’investir dans la formation !
L’État devrait avoir le courage et la fermeté de leur faire
signer un Avenant les obligeant à participer selon un taux raisonnable à la
formation des chauffeurs et techniciens des transports. Une convention avec des
autoécoles sérieuses et réputées expertes devrait permettre d’améliorer la
capacitation de ces structures et de promouvoir une formation continue. Pour
que le Permis de conduire ne devienne pas un permis de tuer, il faut lui
redonner sa dignité, sa valeur scientifique et technique.
Le permis de conduire doit être gradué : il faudrait pour obtenir le
permis (même poids léger) passer par différentes étapes, par plusieurs examens
avec des équipes différentes, mobiles. Le service des mines doit également être
vidé de tous ces rabatteurs qui travaillent dans l’illégalité la plus absolue
sans qu’aucune instance ne soit décidée à arrêter leur manège. Bref, si nous
voulons lutter contre les accidents et l’insécurité routière, il faut certes
agir sur l’état des routes, mais la priorité reste l’intrant de tous les
intrants : l’homme. La formation doit être continue et rigoureusement
assise sur une dimension théorique.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement LABEL-Sénégal
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