Rentrée solennelle des Cours et Tribunaux 2024 : Le discours intégral du chef de l’Etat

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Mesdames, Messieurs,

Nous voici une fois de plus, au rendez-vous républicain de la traditionnelle cérémonie de rentrée des Cours et Tribunaux, marquant le début d’année judiciaire.

C’est l’occasion pour moi de saluer l’ensemble de la famille judiciaire et lui présenter mes meilleurs vœux de bonne santé, de bien-être et de réussite.

J’ai également une pensée pour vos collègues disparus. Je prie avec vous pour qu’ils reposent en paix.

Au-delà du rituel, cette cérémonie offre un moment privilégié d’écoute et d’échanges entre l’exécutif, le judiciaire et le Barreau, dans un esprit constructif, dont la finalité est de contribuer au bon fonctionnement de la justice, condition sine qua non de l’Etat de droit.

Pour l’audience de cette année, nous avons retenu comme thème la Protection de la vie privée ; un sujet classique, d’actualité permanente, dont la problématique se pose avec encore plus d’acuité de nos jours.

Je remercie tous les intervenants qui nous ont enrichi de leurs réflexions.

La problématique nous interpelle tous au plus haut point, pouvoirs publics, secteur privé et citoyens et citoyennes ; mettant en lumière la nécessité d’assurer l’équilibre entre le principe de liberté et l’impératif de protéger ce qui relève de la sphère privée, y compris les données personnelles.

Dans son discours d’usage, Monsieur Barou DIOP, Conseiller délégué à la Cour suprême, a rappelé avec pertinence les différents aspects de la question ; aspects juridiques, judiciaires, mais également philosophiques, religieux et technologiques, entre autres.

Je voudrais vous en féliciter, M. Diop.

Dans un monde marqué par l’explosion des technologies de l’information et de la communication et la frénésie des réseaux sociaux, la vie privée, fondement de l’intégrité physique et morale est, aujourd’hui plus que jamais, exposée et menacée dans son existence.

Officiel ou personne privée, nul n’est épargné ; à telle enseigne qu’on peut légitimement se demander ce qui reste de la vie privée, surtout lorsque tel ou tel aspect qui en relève est utilisé dans une volonté manifeste de nuire.  

Revenant sur les excellentes réflexions qui nous ont été livrées, je relève la nécessité de concilier les avancées technologiques et l’exigence de protéger les droits fondamentaux attachés à la vie privée.  

Des lois et institutions dédiées à cette protection ne manquent pas.

Mais il y a certainement lieu d’interroger leur adéquation avec les réalités évolutives de notre temps.  

En somme, il s’agit surtout d’adapter notre cadre juridique en corrigeant ses imperfections et en anticipant sur les besoins futurs, au moment où nous entrons de plain-pied dans l’ère de l’intelligence artificielle.

ll me plaît de saluer  ici les importantes réformes réalisées ces dernières années pour protéger l’intimité et la dignité des personnes.

La Commission de Protection des Données Personnelles, autorité administrative indépendante, dotée de pouvoirs de sanctions, a été mise en place pour rendre effectives les dispositions de la loi 2008-12 du 25 janvier 2008 sur la protection des données à caractère personnel.

Plus récemment, le Code des communications électroniques a été adopté. En ses articles 36 et suivants, il édicte de manière explicite la nécessité de protéger la vie privée ainsi que les données personnelles des utilisateurs.

Quant à la loi 2016-29 du 30 novembre 2016 portant modification du Code Pénal, elle conforte la répression des atteintes à la vie privée, notamment par l’amélioration des dispositions pénales relatives à la lutte contre la cybercriminalité.

Je dois également ajouter que la protection de la vie privée n’incombe pas seulement à l’État. Elle s’impose aussi au milieu socio professionnel privé pour préserver l’équilibre entre le travail et la vie personnelle, et établir une relation de confiance et de respect mutuels entre l’employeur et l’employé.

La même exigence s’applique aux procédures judiciaires, de l’enquête jusqu’au jugement, afin de protéger l’intimité et la dignité des personnes poursuivies et des témoins, s’agissant notamment des informations qui touchent à la vie privée.

D’autre part, et c’est une pratique de portée universelle, la protection de la vie privée n’exclut pas la possibilité pour l’Etat d’infléchir certaines règles, à des fins d’intérêt général, notamment pour assurer la sécurité des personnes et des biens, ou réprimer certaines formes de criminalité.

Il en est ainsi de la loi 2016-29 du 08 novembre 2016 qui aménage des restrictions à la protection de la vie privée dans des circonstances spécifiques où la sécurité publique est en jeu.

Nous mesurons tous la sensibilité afférente à cette restriction. Les circonstances doivent la justifier. Je pense par exemple à la lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité et la criminalité organisée dont les modes opératoires sortent de l’ordinaire.

Dans le même esprit, la loi 2016-33 du 14 décembre 2016 autorise des mesures spécifiques pour la collecte et le traitement d’informations relevant d’activités de renseignement.

Là également, nécessité fait loi. En effet, par ses fonctions régaliennes dont il a seul le monopole, l’Etat est le garant de l’ordre et de la sécurité publics.

Dès lors, tout manquement à cette mission exclusive lui est naturellement imputé ; d’où la nécessité d’aménager des dispositions légales et réglementaires lui donnant les moyens d’agir pour assurer cette prérogative d’intérêt général.  Je pense en particulier aux impératifs de sécurité nationale.

Sous tous les angles d’analyse, la matière est donc complexe et constitue un défi permanent pour l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire.

En définitive, dans une société qui se veut démocratique comme la nôtre, où la liberté est le principe et la restriction l’exception, l’exercice de protection de la vie privée ressemble à un mouvement de balancier dont l’équilibre délicat conditionne le bon fonctionnement de l’Etat de droit.

C’est dire qu’au-delà des textes, certes nécessaires, le sujet du jour relève aussi de considérations d’ordre éthique et moral qui nous engagent en tant que citoyens et citoyennes liés par le contrat social et dotés du libre-arbitre, c’est-à-dire l’aptitude à nous déterminer par nous-mêmes et non par crainte d’une force coercitive.

Cela ramène au devoir de responsabilité qui accompagne et valorise l’exercice des libertés individuelles et collectives.

Si par définition la loi s’applique erga omnes, on ne peut garantir son application en mettant un juge ou un gendarme derrière chaque justiciable, surtout lorsque nous avons choisi l’Etat de droit et non l’Etat de police.

Dès lors, il me semble que c’est lorsque chacun a pleinement conscience de ses propres responsabilités vis-à-vis du contrat social que la vie privée et l’intérêt général sont mieux protégés.

Je ne parle pas ici du Contrat social au sens de Jean Jacques Rousseau. Je pense plutôt à nos propres valeurs de culture et de civilisation qui nous enseignent les vertus et lois de la vie en société : am jom, am jaanu biir, am ngor, am kersa ak teggin, saangg soutoureu.

Ce sont là des valeurs ancestrales connues de toutes les composantes socioculturelles de la nation sénégalaise, et qui constituent autant de barrières morales à ne pas franchir par respect pour la dignité humaine.

C’est en pratiquant ces valeurs que nous revitalisons les fondements de notre vivre ensemble. Et c’est à cela que je convie chaque citoyen et chaque citoyenne en déclarant ouverte l’année judiciaire 2024.

A toutes et à tous, je souhaite plein succès dans vos tâches respectives et vous remercie de votre aimable attention.

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