Quand j’ai vu dans plusieurs médias le ministre de l’Économie et des finances de l’Hexagone dire que la France était ouverte à une réforme ambitieuse du franc Cfa, un sourire m’a fendu les lèvres. Un sourire de bonheur? Certainement pas! Mais un de ces sourires que l’on émet quand l’on est frappé de perplexité, dépassé que l’on est par une certaine réalité tenace.
Ce ne fut que plus tard, lorsque les pensées de deux des vaillants combattants pour les nobles causes du genre humain général et de l’homme noir en particulier, m’ont traversé l’esprit, que j’ai pu mettre un nom sur ce sourire-là : ce qui n’était rien d’autre que celui de dépit.
« Je le répète: le colonialisme n’est pas mort. Il excelle pour se survivre, à renouveler ses formes; après les temps brutaux de la politique de domination, on a vu les temps plus hypocrites, mais non moins néfastes, de la politique dite d’Association ou d’Union. Maintenant, nous assistons à la politique dite d’intégration (…) Mais de quelque masque que s’affuble le colonialisme, il reste nocif [1]. » ;
« Notre tort à nous, Africains, est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule mais ne se convertit jamais. Notre tort est d’avoir cru que l’ennemi avait perdu de sa combativité et de sa nocivité [2].»
Dans le meilleur des mondes, le France dirait j’en ai assez de ce franc CFA et de tout le tollé auquel il a donné naissance un peu partout dans le monde; que cette monnaie et l’histoire qui lui est associée ne valent pas que mon image soit ternie… Donc, je m’en lave complètement les mains, et une fois pour toutes. Mais elle ne fera jamais. Au contraire, elle renforce son emprise, par quelque artifice, tant les différents avantages qu’elle tire de son maintien dans les pays où elle est utilisée sont grands. Par conséquent, pour faire perdurer ces avantages, elle est prête à laisser un peu de lest juste mais juste dans le but de mieux tenir. Mais jamais pour abandonner. L’histoire mouvementée de cette monnaie sur le continent peut mieux aider à comprendre cette posture. En effet, elle a été marquée de meurtres inexpliqués de militants qui lui étaient opposés, de tentatives de déstabilisation, de pressions et menaces sur des dirigeants ayant voulu quitter la zone CFA. Dès lors, l’on est en droit de se poser certaines questions : pourquoi la France ne lâcherait-elle pas tout simplement cette monnaie plutôt que de proposer une réforme radicale ? Pourquoi un État, fût-il prétendu « ami », dépenserait-il autant d’énergie et de « moyens » pour une monnaie qui n’est pas la sienne?
Ce n’est certainement pas par philanthropie. Loin s’en faut. D’autant que les États n’ont que des intérêts à défendre. De plus, de toutes les anciennes puissances coloniales, seule la France, pour moult raisons, refuse de tourner sincèrement et complètement la page coloniale. Ce qui explique certainement qu’elle ait commis plus que de massacres sur le continent africain pour ne pas le quitter que pour le conquérir, comme le rappelle Boubacar Boris Diop dans Murambi le roman des ossements.
En définitive, une possibilité de changer un tant soit peu cet état de fait nous semble donnée. Mais aurons-nous le courage de la saisir pour nous débarrasser définitivement de ce vestige du colonialisme dont la nocivité sur nos économies et sur notre souveraineté monétaire n’est plus à démontrer? Ce qui est par contre clair c’est que, comme les hommes en général, les pays ne renoncent jamais volontairement aux avantages, aussi minimes soient-ils, qu’ils peuvent tirer d’un autre. Par conséquent « Les limites de la tyrannie s’établissent en fonction de l’endurance des opprimés [3].» Jusqu’à quand accepterons-nous toujours d’être exploités sans réagir? L’initiative de l’Eco est bonne. Mais nombre des spécialistes disent que c’est une pale copie du CFA. La sortie complète de la zone Cfa ou le changement radical des principes le gouvernant requiert du courage et une ferme volonté de nos dirigeants. Ce qui semble manquer à nombre d’entre eux actuellement.
[1] Said Bouamama citant Aimé Césaire, « Planter du blanc » Chroniques du (néo)colonialisme français p.7
[2] Frantz Fanon, Pour la révolution africaine, p.217
[3] Frédérick Douglas, cité par Chritiane Taubira : L’esclavage expliqué à ma fille, p.86
Bosse Ndoye
momarboss@gmail.com
Montréal
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