A chaque fois qu’il y a un pique d’un phénomène naturel, c’est qu’il y a un dérèglement quelque part. C’est dire que le problème ne réside pas dans les tentatives d’émigration irrégulière mais dans le caractère massif de ce phénomène que l’on observe ces derniers temps. Alors que se passe-t-il? Dans l’espace de cette prise de parole écrite, je n’évoquerai qu’un seul aspect mais qui me semble fondamental : Le dérèglement se situe au niveau des imaginaires des jeunes sans garantie d’un règlement à l’arrivée.
L’imaginaire est un phénomène de la psyché qui produit des images fixées par des récits et des langages symboliques d’une puissance extraordinaire. L’imaginaire social, celui des jeunes en matière d’émigration, pousse ces derniers à se représenter le monde par des connexions d’images qui négativisent l’ici et positivisent l’ailleurs.
Essayer de prouver qu’il s’agit d’un mythe ou d’une réalité ne nous avance pas trop. Il semble que la jeunesse subsaharienne ne soit plus sur la même longueur d’onde que ses élites dirigeantes. Cette jeunesse ne veut plus du paternalisme occidental, elle veut qu’on lui parle de décolonisation complète, de souveraineté économique, d’une meilleure gestion des matières premières, de la transformation des matières premières sur place, de corruption réduite à sa plus simple expression, de redistribution équitable des richesses, de politiques publiques non politisées, d’une école qui forme des ingénieurs et pas majoritairement des administrateurs, une agriculture qui fait baisser les prix de certains aliments, bref cette jeunesse veut qu’on pose des actes qui suscitent espoir pour l’humain.
Les jeunes connaissent le danger de l’émigration irrégulière, ils savent aussi qu’il sera difficile de s’en sortir là-bas, et il faut dire que la solution sécuritaire qui consiste à vouloir empêcher le départ ne fait que reporter le problème. Les esprits cartésiens leur diront qu’avec les trois, quatre millions de fcfa qu’ils rassemblent, et la famille est parfois complice du drame, ils peuvent se réaliser ici. Du reste, le problème se situe au niveau des imaginaires. Ce qui les anime, c’est l’espoir que cela peut marcher face au désespoir du quotidien.
C’est donc au niveau des imaginaires qu’il faut urgemment agir dans un premier temps. Je voudrais vous parler du dégât de la conscience négative sur un peuple, de la conscience négative comme facteur bloquant. Je ne vous parle pas de la réalité, je vous parle de la réalité de la conscience, celle qui agit sur la réalité de l’expérience pour changer l’existence. Cette conscience est une conscience négative ou négativisée tout en ayant des conséquences désastreuses sur la représentation de l’avenir. Comment renverser la tendance ? Il y a des moments en politique où ce n’est pas le contenu de ce que vous affirmez qui est important mais l’émulation, le frémissement que vous créez autour de vous. Frémissement qui peut ouvrir des possibles dans la conscience, dans l’imaginaire de ceux que vous dirigez, source d’un début d’action.
Le frémissement ne se crée pas pour autant par la parole, celle-ci pouvant néanmoins l’habiller et le compléter. La condition du frémissement existe à travers des actes politiques forts et courageux en ayant comme seul intérêt le devenir de sa nation. Comment faire pour que les jeunes, la majorité, n’aient pas envie de partir ? Comment renverser l’imaginaire de la migration ? La première étape en tant qu’élite est d’assumer le discours de la jeunesse qui pourtant existe dans l’espace public mais qui est censuré par une classe dirigeante qui semble se méfier de sa propre jeunesse.
C’est cela qui peut créer le frémissement, artefact d’espoir qui ouvrira l’horizon vers une conscience positive en cette partie de l’Afrique. La deuxième c’est de transformer cet imaginaire positif en réalité, car s’il atteint son cycle de vie et qu’il n’y a pas de politiques publiques capables d’ouvrir l’horizon de la jeunesse, on reviendra à la case de départ. Il y a certainement d’autres aspects dans la prise en charge de cet éveil de la jeunesse africaine ; j’ai juste voulu aborder la question de l’imaginaire dans ce drame qui se passe sous nos yeux.
Babacar FAYE, sociolinguiste à la FLSH, Ucad
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