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Je viens m’adresser à vous parce que, moi comme tous les observateurs de la scène politique africaine avons constaté que votre mandature est presque à son terme mais aucun acte n’est entrepris pour l’organisation des élections générales (présidentielle et législatives).
Vous n’êtes pas sans savoir que depuis l’instauration du multipartisme en 1991 et l’organisation des premières élections démocratiques en 1994, la Guinée-Bissau n’a jamais raté un rendez-vous électoral.
Il est indéniable que l’élection présidentielle (prévue avant fin 2024) ne sera pas tenue dans les trois prochains mois. Or le respect du calendrier électoral est une exigence républicaine.
Monsieur le Président, vous savez que vous êtes élu dans des conditions très difficiles pour le pays : après avoir écarté le Président José Mario Vaz, le PAIGC et ses alliés avaient cru que le plus dur était fait mais c’était sans tenir compte de la capacité de l’opposition à s’unir autour de votre candidature[1]. Vous étiez le candidat du peuple à travers la coalition qui vous soutenait.
La communauté internationale avait son candidat, celui du PAIGC, en l’occurrence Domingos Simao Pereira ; l’ancien ambassadeur des Etats-Unis[2] s’était entièrement investi pour le faire élire, le président de la commission de la CEDEAO[3] à ses côtés. C’est l’ambassadeur lui-même qui pilotait le P5[4] qui a tout essayé pour renverser les résultats en faveur de leur protégé mais le peuple et l’armée veillaient au grain.
Le Président José Mario Vaz, malgré les pressions de toutes parts, malgré les entrefaites de ces forces occultes qui voulaient déstabiliser le pays pour leurs propres intérêts, vous a transmis un pays que l’on pourrait qualifier de stable si l’on regarde dans le rétroviseur ; il a réussi à (re)mettre le pays dans la sphère des nations respectées.
C’est un secret de polichinelle de soutenir que ce groupe l’a écarté parce qu’il défend les intérêts de la Guinée-Bissau alors qu’il était plus facile pour eux de parler des « affaires » avec leur protégé, d’où leurs intérêts de vouloir imposer ce candidat au peuple bissao-guinéen.
Monsieur le Président, notre mémoire est encore fraiche quand vous affirmiez avec force que le troisième mandat est un coup d’Etat constitutionnel. Et c’est à ce propos que vous aviez eu un accrochage, lors d’une réunion en visioconférence, avec votre homologue Alassane D. Ouattara vous appelant « fiston » et vous lui rappelant que vous n’êtes pas son fils mais son alter ego et qu’il n’y a pas de petit pays.
Votre élection avait suscité beaucoup d’espoir à cause des politiques désastreuses menées par le PAIGC mais aussi du chemin que votre prédécesseur avait déjà tracé. Mais quelque temps après votre investiture, vous avez changé de cap, « Bu muda rumo »[5] comme on dit à Bissau. Alassane D. Ouattara, Emmanuel Macron, Antonio Gutteress et les autres, en passant par votre conseiller Macky Sall.
Je constate que quelque temps au pouvoir, vous vous évertué à éliminer politiquement vos alliés, des personnes qui se sont battus pour que vous soyez élu : Nuno Nabiam, Braima Camara, Jomav… même si ce dernier semble se retirer de la vie politique. Est-ce que ceci explique cela ?
Votre principal allié Braima Camara, coordonnateur de MADEM G15, s’était exilé au Portugal pendant un an. Il a déclaré publiquement qu’il ne se sentait pas en sécurité à Bissau.
Monsieur le Président de la République, vous avez cherché à réduire vos alliés et l’opposition à leur simple expression comme avait dit un de vos homologues, Macky Sall pour ne pas le nommer, mais il a appris à ses dépens.
Et visiblement vous avez échoué. Mais rassurez-vous vous n’êtes pas seul et vous ne serez jamais seul. Vous avez échoué sinon vous ne serez pas dans le dilatoire à propos de l’organisation des élections. Vous êtes même dans le déni, pourrai-je dire. Alors que vous savez bien que l’Assemblée nationale populaire n’est plus légitime ni dans la légalité et à la fin de ce mois de février, vous ne serez non plus légitime ni dans la légalité.
Vous ne voulez pas organiser les élections générales, les causes sont connues mais vous ne pouvez pas vous octroyer ce droit de décider à la place du peuple qui est le seul détenteur du pouvoir.
Oui, Monsieur le Président de la République, vous n’avez plus d’appareil politique sur lequel vous pouvez compter pour espérer gagner les élections ; le divorce avec le MADEM G15[6] semble consommé et tout indique qu’il aura un candidat autre que vous.
Le PTG[7] de Botche Cande, un parti dont on vous attribue la paternité, ne pèse pas lourd sur l’échiquier politique national. Et il n’est pas certain que le PRS[8] de l’ancien Président feu Kumba Iala vous soutienne. C’est dire donc, non seulement vous n’avez plus de soutien mais votre popularité a chuté au sein de l’opinion publique.
Monsieur le Président Umrao Sissoco Embalo, vous avez déclaré publiquement que vous ne briguerez pas un second mandat. Aujourd’hui, on constate que ce discours manque de sincérité, sinon vous auriez enclenché le processus électoral conformément aux dispositions légales. En ce moment, vos déplacements sont fréquents au pays et dans la diaspora bissao-guinéenne où vous organisez des rencontres. Ces actes indiquent que vous êtes en campagne pré-électorale, donc, vous tâtez le pouls du peuple pour voir si vous avez encore une petite d’être réélu.
Est-il nécessaire de relever que les promesses électorales n’ont pas été tenues ? Embalo, vous aviez déclaré la guerre à la corruption mais en fin de compte c’est elle qui a eu raison de vous. Vous aviez annoncé que vous déclencheriez les hostilités contre les narco-trafiquants mais la réalité est que le pays demeure toujours une plaque tournante de ce commerce illicite. Le serment d’éradiquer ce fléau n’est qu’une chimère ; les scandales de saisies de drogue, des histoires d’avions douteux qui atterrissent à Bissau en faisant couler beaucoup de salives et disparaissent, miraculeusement après. Les discours ne sont pas conformes aux actes.
La déception du peuple est immense. L’armée a lâché du lest, fort heureusement !
En dehors des épisodes que je vais évoquer ci-après, elle est restée républicaine, depuis 2014 jusqu’à aujourd’hui, grâce au GCA[9], Biague Nan Ntan ; ce même CEMGA[10] qui a été fidèle au Président José Mario Vaz jusqu’au bout.
En effet, absent du pays, lors de la tentative du coup d’Etat du 1er février 2022 au cours duquel onze personnes ont trouvé la mort, le Général vous a renouvelé sa confiance et celle de l’armée, à son retour.
Je passe sous silence l’événement malheureux dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2023 que vous avez, vous-même, qualifié de coup d’Etat. Cet affrontement entre un commando tentant de libérer un ministre détenu pour corruption et la garde présidentielle a encore fait résonner les armes. C’est d’ailleurs le prétexte que vous avez pris pour dissoudre le parlement. A tort ou à raison !
Quelques mois plus tard, vous avez imposé Adja Satu Camara Pinto, de surcroit la numéro 2 de MADEM G15, comme présidente de l’ANP pour disloquer ce parti et amoindrir les forces de votre désormais adversaire Braima Camara.
Monsieur le Président, qu’en est-il du décret de dissolution de cette législature ? Une assemblée dissoute peut-elle renaitre de ses cendres comme le phénix ? N’est-ce pas de nouvelles élections législatives qui permettront à une nouvelle assemblée de voir le jour ?
Monsieur le Président, votre bilan en tant que Chef d’Etat est à l’image de votre passage comme Président en exercice de l’organisation sous-régionale.
Les lois ne sont pas un décor de l’appareil étatique ; elles vivent comme des personnages de roman, chacune joue utilement son rôle. Leur disparition crée le désordre et le chaos dans une république comme les personnages dans une trame de roman.
Président en exercice de la CEDEAO, vous n’avez pas pu renouveler votre mandat. Echec ou complot contre votre personne ? Je reste sur la première hypothèse. Donc, pour tenter de camoufler votre déroute, vous avez émis l’idée de création (vous auriez même déposé un projet au sein de cette institution) d’une force anti-putsch. Une déclaration faite à Bissau lors de la visite du Président français Emmanuel Macron, en juillet 2022. Cette force qui aurait pris la place de l’ECOMOG[11] créé en 1989 est connu du grand public à cause de ses interventions au Liberia et en Sierra Leone.
Monsieur le Président de la République, avec votre permission, je dois vous dire que la véritable force anti-putsch c’est le respect des droits humains, c’est la limitation des mandats à deux, c’est la bonne gestion des ressources publiques, c’est de se conformer au calendrier électoral, le respect de la primauté du droit. En un mot, c’est lutter contre le détournement des deniers publics, la corruption, la concussion.
Oui, Monsieur le Président de la République, la création d’une quelconque force qui vaille c’est celle qui prendra en charge les problématiques du terrorisme et des narco-trafiquants. C’est cela qui devrait être votre préoccupation ; c’est-à-dire prendre des dispositifs sécuritaires pour protéger les populations et les biens dans l’espace communautaire et non penser seulement à la sécurité du syndicat des chefs d’Etat qu’est la CEDEAO. Rien d’étonnant l’attitude de celle-ci qui a préféré détourner le regard de la situation qui prévaut dans le pays. Or donc, elle aurait pu refaire son image longtemps balafrée à cause des prises de décisions irresponsables. Mais comme votre intérêt personnel compte plus que celui du peuple…
Il est temps que le pays d’Amilcar Cabral sorte de l’ornière, après plus de cinquante ans d’indépendance. Jouer avec les institutions ne profite à personne.
Monsieur le Président de la République, le Suprême tribunal de justice a-t-il le droit de prolonger votre mandat jusqu’en septembre de l’année en cours ?
Vous le savez et le peuple le sait qu’il n’est ni compétent ni légitime en la matière. De grâce, ne transformez pas le pays à une république bananière. Le Suprême tribunal de justice devrait s’inspirer du Conseil constitutionnel du Sénégal qui a mis fin à l’acharnement du Président Macky Sall et de ses députés qui avaient voulu prolonger son mandat. Dans une démocratie, bafouer l’ordre constitutionnel fait ouvrir la boîte de pandore.
Quand il y a une situation exceptionnelle (et Dieu sait que là c’est voulu, c’est recherché par vous, Monsieur le Président), dans une démocratie, les acteurs politiques s’asseyent autour d’une table afin de remédier à la situation qui prévaut mais, en ce qui vous concerne, vous agissez en autocrate pour ne pas dire dictateur. Comment pouvez « demeurer en poste jusqu’à l’investiture de [son] successeur » alors que le processus électoral n’est même pas entamé ? La vérité est que vous êtes très évasif.
Les voisins immédiats de la patrie de Cabral, le Sénégal et la Gambie, voire la République de Guinée, devraient tenir un langage fraternel mais un langage franc et de vérité à leur homologue Embalo, comme l’organisation sous-régionale a démissionné de ses responsabilités. Oui, parce qu’une autre crise n’est plus souhaitable dans la zone communautaire et même sur l’ensemble du continent.[12]
Le Sénégal doit user de son influence pour rappeler au Président Embalo son devoir de préserver la paix et d’œuvrer pour le développement de son pays et du continent tout entier. Il peut se porter candidat, rien ne l’en empêche, et le peuple pourrait jeter son dévolu sur lui de nouveau s’il considère qu’il est le meilleur candidat.
Le duo Sonko-Diomaye a un très grand rôle à y jouer. Les peuples ouest-africains ont les yeux braqués sur vous. Ils placent leur espoir en vous. Inutile de dire que votre mission dépasse le Sénégal. Non seulement la sous-région vous attend et piaffe d’impatience mais encore tout le continent vous tend les bras grands ouverts pour relever le défi, car vous en avez l’audace.
Vous n’avez pas le droit de ne pas bouger. Oser c’est avoir de l’ambition et la puissance de l’énergie des braves fils d’Afrique est avec vous : de Cheikh Anta DIOP à Lumumba, en passant par Amilcar Cabral, Thomas Sankara, F. Moumié, Ruben Um Nyobe, Kwame Nkurumah…
Encore faut-il le répéter, le Sénégal, la Guinée-Bissau, la Gambie sont peuplés des mêmes ethnies. C’est la balkanisation de l’empire du Gabu qui est la conséquence de ces « micro-Etats ».
Monsieur le Président, Umaro Sissoco Embalo, vous piétinez les principes élémentaires d’une démocratie dans la patrie de Cabral, et pendant ce temps, en Côte-d’Ivoire, la grande hésitation de Alassane D. Ouattara quant au quatrième mandat et la fermeté de Tidjane Thiam font languir le peuple ivoirien.
Je trouve que ne pas respecter le calendrier républicain est une entorse au système démocratique. C’est enlever au peuple souverain son pouvoir de choisir ses représentants à date échue.
L’opposition, la société civile, les intellectuels, les autorités religieuses et coutumières de la Guinée-Bissau, en un mot, le peuple bissao-guinéen doit se lever comme un seul homme pour barrer la route à ce fourvoiement.
En conséquence, le Sénégal doit et peut jouer un rôle dans la stabilité sous-régionale et au-delà. La sous-région est une sorte de poudrière ; or les niveaux du Sénégal, du Ghana et du Cap Vert doivent inspirer et même entrainer les autres pays dans cette mouvance démocratique.
Une diplomatie préventive est préférable à une diplomatie de résolution des conflits. Il n’est nul besoin de rappeler que les conflits politiques, allant souvent aux conflits armés, très souvent sont des conséquences de fraudes électorales, voire de tripatouillages constitutionnels, donc de la volonté de se maintenir au pouvoir par tous les moyens. Par suite de ce qui précède, vous avez le devoir de parler à Umaro Sissoco Embalo ; la sous-région et le continent ont besoin d’être stables pour leurs développements socioéconomiques. Les situations que vivent les pays de l’AES coûtent déjà très chères à la CEDEAO et leur départ effectif de cette organisation entraînera sans doute des conséquences néfastes sur tous les plans. Il faut sauver le Sahel ! le Sahel est en proie au terrorisme et pour le protéger, à mon avis, il est fondamental de faire une jonction d’expertise et de moyens pour anéantir cette calamité.
Retenez, donc, Monsieur le Président de la République, au-delà de votre mandature, considérez que vous êtes désormais un putschiste. Vous n’êtes plus légitime et vous n’êtes pas dans la légalité. Les lois et règlements en vigueur sont faits pour être respectés.
Oupa Diossine LOPPY
Diplômé en Science politique
Ecrivain
Auteur de « Ousmane Sonko, diable ou messie ? » paru en novembre 2024
[1] Il s’agit de José Mario Vaz « Jomav », Nuno Gomes Nabiam, Carlos Domingos Gomes « Cadogo »
[2] Tulinabo S. Mushingi
[3] L’Ivoirien Blaise Diplo
[4] Le groupe est constitué de l’UA, CPLP, CEDEAO, UE et les USA.
[5] Vous avez changé de direction
[6] Mouvement pour l’alternance démocratique groupe des 15
[7] Parti des travailleurs guinéens
[8] Parti de la rénovation sociale
[9] Général de corps d’armée
[10] Chef d’état-major général des armées
[11] Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO
[12] L’interpellation du Président Bassirou Diomaye Faye aux protagonistes dans le conflit rwando-congolais est salutaire.
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