Pourquoi les Députés ne devraient pas voter le Budget (Par Mamadou Dieng)

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Le Sénégal va sacrifier à une tradition devenue routinière, de présenter à l’Assemblée nationale un projet de Budget record de plus de 6 400 milliards de francs Cfa.               

Le premier trait de caractère de la loi de finance c’est qu’en tablant sur un taux de croissance exceptionnel projeté à 10,1 %, l’on voit bien que le Budget a manqué de réalisme et a été artificiellement gonflé. En effet le Gouvernement a travaillé sur des perspectives économiques beaucoup trop optimistes du fait des premiers barils de pétrole à venir, alors que tout indique que rien que du fait de la guerre en Ukraine et ses effets sur les marchés et produits de base, l’environnement économique international a bouleversé la donne pour l’économie et les hommes. Les variations erratiques du marché des hydrocarbures commandent aussi d’être prudent quant aux perspectives de notre pays de devenir producteur de pétrole et de gaz, avec les gisements « Grande tortue Ahmeyim » et Sangomar.

Comment peut-on envisager un tel taux de croissance alors que toutes les études des Institutions financières envisagent un essoufflement avec une croissance passant de 6,1 % l’année dernière à 3,2 % en 2 022. Il s’y ajoute comme pour l’amplifier que la crise dans la zone euro aura de lourdes conséquences dans la zone cfa qui nous concerne. La perspective de sanctions de la Cedeao contre le Mali, partenaire commercial stratégique du Sénégal, à la suite de la crise dans ce pays, constitue également un risque supplémentaire qui n’a pas été suffisamment pris en compte par le Gouvernement. C’est pourquoi le Fmi quant à lui, table sur un taux de croissance plus modéré de 2,9% en 2 023.

Tâtonnements et manque de considérations

Depuis 2 012, date de son arrivée aux affaires, le Président Macky Sall semble s’inscrire dans une logique de tâtonnements et d’improvisations dans le déroulé de ses politiques publiques. Elu sur la base du programme « Yonu yokuté », son Gouvernement a rapidement mis en place avec le cabinet McKinsey, une stratégie pour l’Emergence du Sénégal. Ce programme de substitution dit « Sénégal émergent » a ainsi été conçu et mis en route, sans aucune articulation cohérente avec les précédentes politiques.                            

De Gouvernement « fast tract », en accélérant la cadence face aux urgences sociales, à un « gouvernement de combat », les politiques économiques du Président Macky Sall ont donné l’impression d’un roman à épisodes.  Plusieurs observateurs de la vie nationale s’accordent à dire que le Gouvernement est dans une perpétuelle compétition « budgétaire » avec le régime de Abdoulaye Wade, pour prouver chaque année qu’il a fait mieux. Cette politique de course et de surenchère a conduit Macky Sall et ses hommes à se confronter à chaque fois, à des difficultés énormes de mobilisation des fonds attendus parce que le budget est souvent artificiellement gonflé et calé sur des impératifs politiques.

En examinant bien les priorités budgétaires et les objectifs définis par le nouveau Gouvernement, on peut se demander si le projet de budget n’a pas été conçu pour un pays autre que le Sénégal, tellement le fossé est énorme entre les réalités que vivent les populations et la vision économique et sociale de Macky Sall.  La taille du Gouvernement, l’énorme budget de la Présidence de la République, l’augmentation tous azimuts des budgets des nombreuses et inutiles Institutions sont quelques exemples de preuves que Macky Sall ne sait pas ce qui se passe dans le pays.                                                         

La primature va nous coûter 29, 451 milliards, la Présidence de la République 71,682 milliards, l’Assemblée nationale 20,758 milliards en hausse de 3,543 milliards, le Conseil économique social et environnemental 19,158 en hausse de 1,943 milliard, le Haut Conseil des collectivités territoriales 9,160 milliards en hausse de 600 millions. Il y’a aussi la hantise du maintien de l’ordre a occupé une place importante dans la répartition des dotations budgétaires. La Gendarmerie nationale dispose de 277,936 milliards, la police nationale de 103,6 milliards, les forces armées disposent de 738,319 milliards soit 1 119,601 milliards de francs Cfa pour les forces de défense et de sécurité.

Un budget de 6.400 milliards pour quelle politique ?

 A la suite des événements de mars 2 022 et de la bérézina électorale subie lors des dernières élections législatives, on a vu pour la première fois, la coalition au pouvoir quémander quasiment une majorité auprès d’un député « plus fort reste ».                           

 L’on avait pensé que Macky Sall allait changer de braquet et comprendre sous quel rythme fonctionne le pays. Loin s’en faut, on constate aujourd’hui plus qu’hier que le Président n’a pas compris la colère du peuple devenu « debout ».                                         

Il y’a surtout que le Gouvernement n’a pas beaucoup d’égard pour la représentation nationale. En effet, comment est-il envisageable dans un pays organisé, de commencer l’examen du Budget sans que le tout nouveau Premier ministre ne fasse sa déclaration de politique générale, pour dire au Peuple où il va le conduire. Hormis que c’est une démarche cohérente et ordinaire mais, la Constitution en son article 55, l’y oblige.                                                                                                                                         

Il faut donc constater que les chiffres contenus dans la loi de finance sont les chiffres des fonctionnaires du Ministère de l’économie et des finances, définis en dehors de toute réalité politique nationale. 

Les prévisions de recettes internes sont évaluées à 4 096,4 milliards de francs cfa dont 3.640.481.000.000 francs cfa de recettes fiscales et autres. Mais le problème est que le Fmi a lancé une croisade pour la baisse des impôts et taxes afin d’attirer « l’investissement direct étranger ». Les mêmes fonctionnaires du ministère de l’économie et des finances considèrent que de telles baisses réduiraient les capacités de l’Etat à lutter contre l’inflation et à honorer le remboursement du service de la dette.

Mais les récriminations n’ont pas rencontré une oreille attentive auprès des partenaires financiers du Sénégal. Car les effets de l’investissement direct étranger ( Foreign Direct Investment), sont en général considérés comme très positifs sur la croissance des pays d’accueil, notamment grâce aux transferts en capital et technologie induits. Dans le contexte spécifique du Sénégal marqué par beaucoup d’actes de mal gouvernance contre lesquels personne ne peut rien, l’investissement direct étranger (Ide) va au moins obliger le Gouvernement à faire plus attention au profil des Directeurs nommés et au principe de management suivi. Beaucoup d’entreprises nationales sont aujourd’hui en faillite parce que le Président Macky Sall nomme qui il veut dans des postes techniques et de responsabilité. C’est ainsi qu’on a vu des Directeurs qui ne savent même pas ce qu’est un bilan ou un compte d’exploitation, des policiers et des instituteurs devenus de Directeurs et des Présidents de conseil d’administration. Ce sont des choses qui ne se passent qu’au Sénégal alors que le pays regorge de cadres de haut niveau.

                                                                    Sheikh Mamadou Dieng

                                                              Président arc en ciel / Ëlëg sibiir

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