Le champ de bataille de Pathé Badiane est évocateur de beaucoup de souvenirs. C’est dans ce lieu hautement symbolique et chargé d’histoire et de mémoire qu’une armée cosmopolite constituée de Sénégalais de tous bords, sous la guidance et le leadership éclairé de l’Almamy Du Rip, Tafsir Maba Diakhou BA (RTA), infligea à l’armée coloniale française l’un des revers les plus cuisants le 30 Novembre 1865.
En effet, après avoir conquis le Rip (ancien royaume du Badibou) et le Saloum et s’êtreimposé comme imam, maitre, guide et leader en 1861, l’Almamy Tafsir Maba attira et installa autour de lui près de 250 familles (selon Iba Der Thiam) venues de toutes les contrées du Sénégal. Ensemble, il formait avec eux une grande armée qui, selon les circonstances, pouvait atteindre 18 mille hommes.Il devint naturellement l’ennemi numéro 1 et la plus grande menace à la présence coloniale française au Sénégal. Le commandant Alexandre Sabatié, administrateur des colonies, disait à juste titre que Tafsir Maba songeait « à créer sous son égide une vaste confédération musulmane destinée à arrêter notre expansion et à briser définitivement notre puissance au Sénégal ».
Ainsi, malgré une supériorité en équipements militaires, avec surtout l’invention du canon, et le soutien de contingents et troupes indigènes qui portait son effectif a près de 8000 hommes, l’armée coloniale française fut mise en déroute dans l’une de leurs batailles les plus mémorables au Sénégal.
Armées de leur solide foi, leur bravoure, leur sens élevé du sacrifice suprême et l’engagement à défendre leur souveraineté, les forces musulmanes du Rip infligèrent à l’armée française l’une de ses plus grandes défaites. Sabatiéfut sans ambiguïté dans son rapport sur la bataille :
« un combat terrible dans lequel officiers et soldats déployèrent la plus brillante bravoure. L’ennemi défendait ses positions avec une ténacité sans exemple, mais il fut forcé de reculer devant nos baïonnettes. On peut se faire une idée de l’énergie de la lutte par les pertes que nous avons éprouvées. Le capitaine Croizier, commandant le premier peloton de l’infanterie de marine, fut blessé mortellement. Le chirurgien de 2e classe Monstey Charbounié fut tué ; le lieutenant de vaisseau Duplessis reçut quatre coups de feu presque à bout portant ; le sergent-major de la compagnie du génie, trois ; le capitaine Canard, commandant l’escadron, eut le bras traversé. Un quart de l’effectif des compagnies de débarquement fut tué ou blessé. La compagnie du génie eut 6 hommes tués et 10 blessés. Le gouverneur, lui-même, reçut un coup de feu à l’épaule gauche dès le commencement de l’action, ce qui ne l’empêcha pas, heureusement, de conserver le commandement. M. l’enseigne de vaisseau Des Portes, attaché à l’état-major, fut contusionné, et plusieurs hommes de l’escorte furent blessés ou eurent leurs chevaux tués ». En outre, il conclut, « Nous n’avions pas pris possession effective du Rip après notre expédition de 1865 » et « le 2 décembre, au soir, la colonne reprit la route de Kaolakh où elle arriva le 6. »
D’un autre côté, dans leur ouvrage intitulé Le gouverneur et sa gouvernante publié en 2015, François Salvaing et Jacques Carol, s’appuyant sur un demi-siècle de correspondance(plus de mille lettres échangéesentre la France et le Sénégal) retraçant la liaison amoureuse entre Marie Assar, une africaine affranchie qu’il a rencontrée à Gorée en 1849et le Gouverneur Pinet Laprade, confirment que dans une des correspondances, ce dernier reconnait leur défaite a Pathé Badiane et exprimait ses remords.
En plus, deux canons appartenant à l’artillerie française furent arrachés et demeurent, à ce jour, bien gardés par la famille de Tafsir Maba à Niorocomme trophées de guerre.
Donc, ce haut lieu de mémoire, situé à moins de 8km de Nioro sur la route nationale, revêt une importance capitale pour ce qu’il représente dans la construction de la nation et mérite d’occuper une place de choix dans les politiques et agendas de l’État du Sénégal. Ainsi, malgré tout son symbole, car il est important de souligner que le site est classé Patrimoine Historique National, et aussi paradoxale que cela puisse être, aucune infrastructure n’y est réalisée, à l’exception d’un panneau d’indication en ciment.
Sur ce, nous portons ici le plaidoyer et invitons les hautes autorités à prendre en charge la question de la valorisation du site surtout en ces temps où les questions de patrimoine sont, d’une grande importance pour beaucoup de nations. De « Ground Zéro » – ancienne site des Tours Jumelles de la ville de New York détruits par les attentats du 11 Septembre 2003 en passant par les plages de Normandie, symbole des débarquements alliés de Juin 1944 ayant libéré la France de l’invasion allemande, ou encore la place Tahrir au Caire, le patrimoine est valorisé, documenté et intégré dans les curricula d’enseignement pour servir de repère aux générations. Qu’il rappelle un douloureux ou glorieux souvenir, le patrimoine doit être bien gardé car faisant partie intégrale de l’histoire et de l’âme d’un pays et on ne peut pas développer un pays en faisant fi de son histoire, des évènements qui ont jalonné sa construction.
Oui, nous voulons apprendre l’histoire de l’Almamy Tafsir Maba Diakhou BA, un précurseur et un pionnier de la souveraineté nationale du Sénégal. Il incarnait et exerçait l’État et la république et pensait et agissait en termes de territoire national. Ses correspondances avec les colons français établis à Saint-Louis dans lesquelles il leur rappelait toujours que le Sénégal appartient aux Sénégalais et qu’il n’avait d’ordre à recevoir d’aucun colon, quel que soit son grade ou rang en est une parfaite illustration.
Oui, nous voulons conter à nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants du Saloum, du Sine, du Cap Vert, du Cayor, du Walo, du Baol, du Jolof, du Niani, du Fouta Toro, du Fouladou, de la Casamance que c’est dans le champ de bataille de Pathé Badiane que leurs ancêtre savaient versé leur sang, les valeurs de fit, Jom et fayda en bandoulière, pour faire face à l’envahisseur colonial et défendre leur dignité.
Oui, nous voulons enseigner à nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants qu’ils n’ont pas besoin d’importer des héros, des références, ou des valeurs.
Oui, nous voulons enfin que nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants soient des citoyens enracinés, décomplexés et amoureux de leur patrie.
* Par Dr Papa Malick BA, UCAD
Soyez le premier à commenter