Ousmane Tanor Dieng ! Tu préfères nous parler de la vie (Par Serigne Mbaye Thiam, secrétaire aux élections du PS)

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Cher camarade, cher grand-frère, 
Au moment de t’accompagner une nouvelle fois, une dernière fois, la mort nous rappelle ce qu’elle a d’indicible parce qu’innommable : ce qui se ressent sans pouvoir se dire, ces sentiments qui s’entremêlent en nous sans que jamais nous ne puissions y mettre des mots, pas même un seul mot.  

Cette dernière fois est en même temps première fois parce que la mort m’oblige à un monologue, à te parler sans attendre de réponse de ta part, me privant ainsi de l’occasion de dialoguer une nouvelle fois avec toi, le dialogue qui t’était si cher. 
Sans doute, te connaissant, j’imagine ta préférence pour le silence, en ces moments où l’on ne peut dialoguer. 
Ton aversion du brouhaha, de la parole inaudible, t’aurait poussé à nous conseiller le silence, pour que chacun écoute, s’écoute. Je le comprends parce que, diplomate chevronné, tu avais naturellement le sens de l’écoute et du dialogue. 
Alors je m’écoute. Je m’écoute, et nulle envie ne me prend d’entendre parler de la mort. Et pourtant, il faut en parler et y penser ! Nul besoin, après tout, de parler d’une chose dont on sait si peu. Et pourtant, le Saint Coran, les Hadiths et les autres textes sacrés nous en disent beaucoup ! 
De toutes façons, jamais tu n’as aimé parler de ce que tu ne connaissais pas. Sans doute en raison de la prudence que Dieu commande au croyant que tu étais, mais aussi parce que géomètre, avant d’avoir été diplomate, ton art de la précision s’accommodait mal avec les approximations de la parole ignorant ce qu’elle exprime. 
Alors ne parlons pas de la mort. Que nous reste-t-il ? Parler du mort, de toi ?  
Tant l’ont fait depuis que la nouvelle de ton décès est parvenue au monde. Mais au fond, j’imagine ta gêne profonde devant tant de mots à ta personne consacrés. Je sais. Tant de mots importunent ta légendaire discrétion, celle encore du diplomate doublé de l’homme d’Etat que d’aucuns ont comparé à une tombe d’où rien ne filtrait. 
Et pourtant les mots tu aimais, au point que Senghor, le si exigeant Senghor, l’amoureux intransigeant des lettres, acceptât que tu fusses sa plume. 
Je m’écoute. Je m’écoute et mon cœur me commande, malgré tout, de t’écouter nous parler de là où tu es. 
Quitte à écouter un monologue, autant qu’il soit de toi. Au moins, m’éviterais-je de parler vainement de la mort, et une millième fois du mort dont la discrétion était, de son vivant, devenue le nom. 
Dans ce monologue, permets-moi, à ton corps défendant certes, de dire, quelques fois, à ta place, ce que, par pudeur, tu te gênerais à dire. 
Cher camarade, cher grand-frère, 
Plutôt que de toi, tu préfères nous parler de la vie ; de ce combat acharné qu’elle est, mais aussi des horizons infinis qu’elle ouvre à des milliers d’enfants, comme toi de Nguéniène où tu vis le jour en 1947, qui peuvent incarner leur terroir tout en se hissant au service de la République malgré les obstacles qui se dressent sur leur parcours. 
Tu peux me le faire dire sans gêne, cher camarade et grand frère : qui aurait connu Nguéniène si ce n’était toi, Ousmane Tanor Dieng ? De Nguéniène aussi, tu étais le nom, car fier de tes origines et de ton terroir, au point d’en faire ta demeure, ta terre éternelle. 
Cher camarade, cher grand-frère, 
Je t’entends à nouveau me dire que la vie est encore plus un combat acharné lorsque, par devoir envers sa patrie, on a choisi de servir la collectivité à travers ce qui l’incarne par excellence : l’Etat. 
Oui ! Servir l’Etat, c’est en subir jour et nuit les sujétions ; s’oublier pour servir ; sacrifier souvent une partie de soi ; accepter des concessions ; construire des compromis ; recevoir des coups ; vivre des ruptures douloureuses ; endurer des trahisons. 
Oui ! Servir l’Etat, c’est aussi parfois prendre des décisions cornéliennes que l’humain n’aurait pas pu prendre mais que l’Etat a le devoir de prendre et d’assumer, décisions très souvent incomprises. 
Au nom de quoi ? Au nom exclusif de l’intérêt général, du sens de l’Etat, comme tu l’as si bien appris de tant d’années passées aux côtés du président Abdou Diouf dont tu as été si proche.  
Et je peux me permettre de le dire à ta place, cher camarade et grand frère : tout le monde reconnaît ton courage et ta dignité parce que, depuis plus de 40 ans, tu avais mille raisons de te plaindre publiquement, d’abandonner et de te suffire d’une belle carrière de diplomate ; mais jamais tu n’as gémi ; jamais tu n’as jeté l’opprobre ni dit du mal de qui que ce soit. 
Au contraire, tu me fais dire à tes compatriotes, tous tes compatriotes, que la vie est respect de l’autre, modération dans tout, civilité et urbanité en toutes circonstances ; elle est élégance, même dans le port, même dans l’adversité. 
Cher camarade, cher grand-frère, 
Tes compatriotes présents à tes funérailles, parents, amis, camarades de parti, autorités, hommes politiques de tous bords,  anonymes ou connus, t’entendent dire que la vie est faite de convictions, de fidélité dans l’engagement. 
Je les entends acquiescer en se rappelant que socialiste tu as été toute ta vie, sans dévier, en étant ouvert mais intransigeant sur les valeurs et principes que les pères fondateurs ont légués au parti que tu as dirigé. 
Ceux qui t’ont vu à l’œuvre dans l’opposition en témoignent, attestant de ta courtoisie mais aussi de ton endurance ; de ta fermeté, mais de cette fermeté qui ne ferme pas ; de ton autorité, mais de cette autorité qui autorise. 
Le président Abdoulaye Wade, allié par moments, opposant redoutable le plus souvent et chef d’Etat politiquement engagé, sait si bien le dire. 
Ceux qui, depuis 2012, ont vécu ton compagnonnage loyal avec le président Macky Sall, savent que tu as le courage de tes idées, celles qui fondent tes choix politiques et ceux de ton parti. 
Cher camarade, cher grand-frère, 
Jusqu’ici j’ai parlé de la mort et du mort. Autant pour moi ou au temps pour moi, si tu préfères, car « les grands Hommes ne meurent pas ; ils disparaissent ». 
Cher camarade, cher grand-frère, 
Je sais, tu n’as jamais été prolixe ou bavard, par pudeur, par timidité non feinte. Je dois donc te laisser reposer, près de ton papa Birane, à la terre de Nguéniène que tu aimais tant, ta terre. Je sais que tu n’as jamais été seul et tu ne seras jamais seul.  
Qu’Allah, dans Sa miséricorde infinie, te rétribue de tes immenses bonnes œuvres, t’accorde Son pardon, t’accueille en Son Paradis et te remplace auprès de ta famille. 
Allahouma Amiiine. 

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