Oui, président-politicien, mais . . . (Par Mody Niang)

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Comme de coutume, la cérémonie de la fête du travail a été célébrée ce 1er mai 2021. Á l’occasion, le président-politicien s’est adressé aux travailleurs et a répondu à des questions. Ainsi, à une question d’un responsable syndical sur la nécessité de revoir à la baisse les tarifs de l’autoroute à péages, il a apporté une réponse qui a fait naturellement débat. C’est celle-ci : « Á côté, il y a la route de Rufisque. Si vous ne voulez pas payer, il y a des alternatives. On veille toujours à ce qu’il y ait une route pour ceux qui ne peuvent pas payer le péage. Mais si on veut rouler en toute sécurité sans des trous, il y a un prix à payer. » Je ne m’attarde pas sur cette réponse qui a suscité l’indignation et a été largement dénoncée. Le président-politicien nous a d’ailleurs habitués à de telles réponses de mépris. Des exemples foisonnent dans tous ses discours.

Le président-politicien a répondu à d’autres questions, notamment à celle d’un autre responsable syndical qui lui demandait d’aligner l’âge de la retraite à 65 ans. Sa réponse a été catégorique, du moins en apparence. C’est celle-ci : « Sur l’alignement de l’âge de la retraite à 65 ans, je ne suis pas favorable. Pour une simple et bonne raison que 77 % de la population a moins de 35 ans. On ne peut pas continuer à permettre aux séniors de prolonger leur âge à la retraite et à retarder ainsi l’arrivée des jeunes sur le marché du travail. » Et il conclut fermement sa réponse en ces termes : « L’âge de la retraite au Sénégal est de 60 ans et il le reste. Il n’est ni de 65 ni de 55 ans. »

Je suis entièrement d’accord avec lui ici, ce qui n’arrive pas souvent. Á soixante (60) ans, on n’a vraiment plus rien à prouver. On doit surtout faire la place aux jeunes. On le doit d’autant plus qu’au-delà de cet âge, le rendement est généralement négligeable chez nous. Je suis d’accord avec lui mais le problème, c’est que ce discours ne correspond pas du tout à ses actes. Combien l’administration compte-t-elle, en effet, de directeurs généraux, de directeurs, de présidents de conseil d’administration, de conseil d’orientation ou de surveillance, qui ont dépassé largement les soixante ans ? Et les hauts magistrats qui ont dépassé les 65 ans ? Avait-on vraiment besoin de leur ajouter trois ans ? Nous comptons tellement de magistrats qui ont bien moins de 65 ans et qui pouvaient les remplacer ! Un jeune journaliste dépité avec qui j’ai discuté à distance de ces questions-là m’a envoyé ce message : « Ajouter à la longue liste des incohérence existant entre son discours et ses actes, sa sortie du 1er mai. Quand il justifie avec des termes à la fois fermes et chahuteurs pourquoi il est contre l’augmentation de l’âge de la retraite, existent des DG qui sont à la retraite depuis trois ans voire quatre ans, comme le nôtre qui a fait de notre structure une entité privée au détriment des Sénégalais. » Je l’ai cité exactement, Yalla xam na ko (Je prends Dieu à Témoin). Notre administration compte nombre d’autres directeurs généraux qui se comportent comme celui-là.

Á la même question sur l’âge de la retraite il répond, concernant les universitaires : « Pour les universitaires, on pourrait améliorer les codes pour permettre à certains agents de travailler comme vacataires après la retraite, car on ne peut pas garder les avantages de la Fonction publique et vouloir les perpétuer à vie. » Je serais encore d’accord avec lui si certains compatriotes ne gardaient pas à vie leurs avantages de la Fonction publique. Ce n’est malheureusement pas le cas. Les généraux de l’Armée et de la Gendarmerie nationales garderaient à vie leurs avantages. Parmi ces avantages, figurerait en bonne place une indemnité de logement de 500.000 francs. On me rétorquera qu’ « ils sont versés dans la deuxième section ». Á quoi servent-ils à la Nation dans cette deuxième section ? Et puis, qu’ont-ils de plus que les Pr Abdoulaye Bathily, Boubacar Diop, Maguèye Kassé, Boubacar Barry et consorts ?

Á une question sur la baisse de la fiscalité sur les salaires des secteurs les plus touchés par la pandémie, il répondra que l’État a fait des efforts importants d’exonérations d’impôts en faveur de certains secteurs. Il ajoutera : « Des exonérations ont été faites parce que c’est le contexte (…) Quant à la baisse de la fiscalité sur les salaires au moment où on nous demande d’augmenter presque les salaires, toutes les charges, l’État n’a que l’impôt pour pouvoir faire tout cela et nous ne sommes pas nombreux au Sénégal à payer les impôts. » Il ajoutera que « l’État ne peut pas passer tout son temps à augmenter les salaires, à revoir la grille salariale, le système de rémunération pour près de 154 mille Sénégalais travailleurs dans l’administration alors que d’autres priorités et impératifs sont là. » Si ce discours n’était que théorique, je m’y reconnaîtrais parfaitement. Les agents de l’État ne sont que 154 mille, soit moins de 1 % de la population (16 à 17 millions), et leurs salaires et indemnités dépasseraient les 40 % des recettes budgétaires. Ce dont les autorités se sont toujours plaintes, sans oser prendre les mesures qu’il faut pour y faire face. Ainsi, à l’occasion du ‘’Mémorandum sur les réformes économiques pour 2015’’, le Ministre de l’Économie, des Finances et du Plan d’alors, M. Amadou Ba, exprimait déjà son inquiétude en ces termes : « En 2014, nous sommes 100 450 fonctionnaires, soit moins de 1% de la population. Les dépenses de salaires et autres indemnités que nous payons à l’ensemble des agents de l’Etat font 717 milliards pour 2014, soit 43,3% des recettes budgétaires de la même année (1548 milliards). Je pense que cela n’est pas soutenable » (L’AS du mardi 2 septembre 2014, page 6). Nous ne pouvions donc pas continuer, selon lui, de prendre près de la moitié des recettes de l’État pour les donner à moins de 1% de la population et vouloir l’émergence et une société solidaire.

Notre  ministre ne s’arrête pas en si bon chemin et pointe du doigt le très lourd régime indemnitaire. Sans mettre de gants, il déclare : « Ce qu’il y a, c’est qu’il faut revoir le régime indemnitaire. Ce n’est pas la masse salariale en soi qui pose problème, ce sont les indemnités. La masse salariale tourne autour de 492 milliards pour cette année (2014) ; ça veut dire qu’il y a des indemnités d’égal montant à peu près aux salaires. C’est sur les 300 milliards d’indemnités qu’il faut voir, discuter avec l’ensemble des acteurs sociaux, avoir une politique de réallocation de ces ressources.» 
Le ministre Ba était conforté par sa collègue Mme Viviane  Bampassy, alors Ministre de la Fonction publique, du Renouveau du Service public et de la rationalisation des effectifs[1]. Elle déclare : « Le Chef de l’État sait qu’il y a un problème et aujourd’hui, nous travaillons à trouver des solutions avec nos collègues des Finances pour avoir à terme, un nouveau système de rémunération des agents de l’État qui sera juste et équitable. » Dans cette perspective, nous apprend-elle, une étude a été commanditée et a déposé ses conclusions. Celles-ci révèlent « un système désarticulé et à plusieurs vitesses avec des disparités en termes de traitement salarial ». Elle poursuit : « La question des rémunérations est une question récurrente, et le ‘’Forum sur l’Administration’’ a été un débat ouvert entre le Président et les Directeurs nationaux sur plusieurs questions, notamment sur cette question cruciale. » Elle va plus loin et lance cette bombe : « Des agents de l’État qui sont d’une même catégorie ont des disparités énormes en termes de traitement salarial et il faut tout remettre à plat. » Elle révèle que son ministère ne gérant pas les salaires a proposé d’« en revoir la grille qui date de 1961, de revoir tout le package d’indemnités données aux agents de façon désordonnée ». Elle enfonce le clou en soulignant que « des indemnités ont été données à des corps et pas à d’autres ». 


Curieusement, Mme Bampassy sera confortée par le président-politicien qui, dans une conversation avec des fonctionnaires à la fin du ‘’Forum national sur l’Administration’’ de Diamniadio, déclarait sans ambages : « L’État va harmoniser le système de rémunération de ses employés, dans le souci de corriger les inégalités entre plusieurs secteurs d’activité, en matière de traitement salarial. » « Une décision sera prise pour tout remettre à plat. Á un moment donné, il faudra tout harmoniser pour avoir une administration qui marche à la même vitesse », lançait-il. Il poursuivit son ndëpp (c’en était un) en ces termes : « Une administration ne peut pas avoir des corps super-privilégiés et d’autres complètement sacrifiés ». 
Et le président-politicien, comme s’il ne savait rien de tout cela, de se lancer dans une tentative de justifier la situation qu’il donnait l’impression de déplorer. Voici l’argument facile, qui ne le dédouane pas du tout : « L’inégalité de traitement des salaires dans l’administration est une situation malheureuse dont nous avons hérité. Certaines catégories ont des avantages que d’autres n’ont pas, tout en ayant les mêmes profils et les mêmes ressources. » Il révèle enfin « l’audit commandité par le Gouvernement dans le but d’équilibrer le système de rémunération
des employés du secteur public
 ».

J’ai insisté sur cette question des salaires et des indemnités pour illustrer les incohérences du président-politicien qui est un  véritable comédien. Les conclusions de l’étude qu’il a commanditée sont sur sa table depuis 2016. Au lieu de travailler à l’équilibre de la rémunération des salaires et de l’octroi des indemnités, il en creuse profondément les inégalités. Je renvoie le lecteur au décret n°2014-769 du 12 juin 2014 fixant les conditions d’attribution et d’occupation des logements administratifs, au n° 2021-05 du 06 janvier 2021 allouant une indemnité forfaitaire globale à certains personnels de l’État et de ses démembrements et à celui, clandestin, qui alloue une indemnité de quatre millions aux anciens présidents du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Pour ne m’attarder que sur le premier, il attribue des indemnités nettes d’impôt allant jusqu’à un million (1.000.000) de francs et passant par 400.000, 500.000, 700.000, etc. Ces indemnités substantielles ont été attribuées sans état d’âme à des compatriotes déjà privilégiés et fort nantis. Ce sont en général des ministres et autres ministres conseillers, des magistrats, des officiers supérieurs et généraux, des directeurs de cabinet, des secrétaires généraux de ministère et d’autres hauts fonctionnaires.

Avant l’accession au pouvoir du vieux président-politicien et de son digne successeur, l’indemnité de logement était attribuée à des corps spécifiques minutieusement identifiés. Aujourd’hui, tous les agents de l’État y prétendent et ils n’ont pas tort. Au rythme où elle est étendue aux différents corps de l’État, cette indemnité bouffera, à la longue, l’essentiel des recettes budgétaires.

Pour revenir aux réponses du président-politicien aux questions qui lui étaient posées à l’occasion de la fête du 1er mai dernier, il rejetait la demande de baisse de la fiscalité sur les salaires. Je suis d’accord avec lui, mais j’irais plus loin, ce qu’il ne fera sûrement pas. Je  serais pour, en priorité, l’élargissement notable de l’assiette fiscale. Tous les Sénégalais doivent payer l’impôt, en fonction de leurs moyens. En particulier, les hauts fonctionnaires comme les inspecteurs (des impôts  et domaines, du Trésor, des douanes, etc.), les magistrats, les officiers supérieurs et généraux, les politiciens de toutes catégories et certains chefs religieux qui se sont partagé nos réserves foncières et sont propriétaires de plusieurs villas cossues et d’immeubles R + 3-4-5 et parfois plus, doivent être astreints à  un conséquent impôt foncier. Il devra en être de même des entreprises bénéficiant facilement de coupables exonérations d’impôts. Si toutes ces mesures étaient prises, une baisse notable de la fiscalité des salaires pourrait alors bien être envisagée.

Le président-politicien de ce 1er mai 2021 est donc le même que nous pratiquons depuis le 2 avril 2012. Entre ce qu’il dit et ce qu’il fait, il y a toujours un fossé profond. En théorie, il oppose une fin de non-recevoir à toute idée de porter l’âge de la retraite à soixante-cinq (65) ans, de baisser la fiscalité sur les salaires, de revoir en hausse la grille salariale, etc. En pratique, il fait tout le contraire, toujours en faveur des hommes et des femmes de son clan, ainsi que de hauts responsables de l’État qui, s’ils ne sont pas membres du clan, sont susceptibles de l’aider à se maintenir au pouvoir. Parmi eux, on cite souvent, à tort ou à raison, les hauts magistrats, les officiers supérieurs et généraux, les inspecteurs généraux de police, les membres du Conseil constitutionnel, etc. En février 2024, cet homme sera à la tête de notre pays pendant douze ans, douze longues années. Il devra alors rendre dignement le tablier et organiser une élection libre et démocratique. En sera-t-il vraiment capable ? L’histoire jugera.

Dakar, le 10 mai 2021

Mody Niang


[1] Cet important ministère a aujourd’hui, à sa tête, une autre dame qui n’y connaît pas grand-chose.

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