La montagne des conclusions du dialogue politique au terme de deux ans de discussions, de disputes ou de hâbleries a fini par accoucher d’une souris. Pourtant, les partisans du chef de l’APR et de l’Etat brandissent les 23 points d’accord sur les 30 en discussion comme des trophées de guerre alors que ce n’est en réalité que du menu fretin.
Les deux points essentiels de désaccord (adoption du bulletin unique et dissociation des fonctions de chef de l’Etat et chef de parti) et les cinq points en suspens (la suppression des articles L30, L31 devenu L29, L30, la caution, le parrainage à la présidentielle, le rôle de la justice dans le processus électoral, une autorité indépendante chargée de l’organisation des élections) n’ont finalement pas fait partie du projet de loi modifiant le Code électoral.
Finalement, le Dialogue, qui était un espoir pour renforcer la démocratie électorale, est devenu une tragédie qui scelle la peine de mort politique de certains leaders de l’opposition. Dire pourtant qu’il y a des opposants qui n’ont jamais cru à la sincérité du leader de Bennoo lorsqu’il initiait ce soi-disant « dialogue » au lendemain de sa réélection controversée en 2019 ! Stratégiquement, il fallait au président Macky Sall un moyen pour désamorcer une éventuelle bombe populaire qui pourrait menacer sa victoire litigieuse. Une bombe d’autant plus probable que les leaders de l’opposition avaient déjà sonné la charge au soir de la présidentielle.
Aujourd’hui le chef de l’Etat se présente comme un chantre de la démocratie, un homme d’ouverture, un homme de dialogue alors même qu’il est l’archétype de l’autocrate désireux de conserver à tout prix le pouvoir. Ce même si le terme de son second et dernier mandat est 2024. Aujourd’hui, il est clair dans la tête des gens qu’il est en train de mettre en place tous les mécanismes d’une troisième candidature. De plus en plus, le discours des apéristes sur l’éventuelle troisième candidature de Sa Majesté est arrimé à la délibération du Conseil constitutionnel.
Un Conseil constitutionnel où l’on annonce instamment un certain Ismaïla Madior Fall. Certainement que lui ou quelqu’un de sa trempe au sein de la juridiction suprême pourrait jouer un rôle prépondérant pour crédibiliser, voire matérialiser, ce qui se concocte dans les officines de l’APR.
Pourtant, ils n’ont jamais perdu leur inéligibilité
Quand on entend certains participants au Dialogue, surtout ceux de la société civile, déplorer le refus du président de se plier aux exigences de l’opposition, on ne peut que les taxer de collaborationnistes qui roulent à visage masqué pour Macky Sall.
Dire que Macky aurait pu accepter la modification des anciens articles L30 et L31 qui privent Karim Wade et Khalifa Sall de leurs droits civiques, c’est participer à cette imposture qui valide illégalement l’inéligibilité de ces deux leaders politiques. Demander l’amnistie pour Karim et Khalifa, comme le font machiavéliquement certains politiciens participants du dialogue sur fond d’une grande générosité, c’est valider l’« inéligibilité » des deux « K » alors qu’ils n’ont jamais perdu leur éligibilité.
La bataille pour que les leaders de Taxawu Senegaal et du PDS participent aux élections n’est point juridique mais politique. Aujourd’hui, l’atonie dans laquelle baignent Khalifa et Karim atteste la thèse de l’acceptation par eux du sort que Macky leur a infligé. Leur posture aphone et atone est une sorte de résignation à la condamnation à mort politique décidée par les tribunaux politiques de l’APR.
C’est pourquoi, le discours de la société civile est de ne pas demander l’amnistie pour Khalifa et Karim mais d’engager la bataille politico-juridique pour que l’actuel pouvoir reconnaisse que ces deux précités ont toujours gardé intacts leurs droits civiques.
Karim Wade traqué de toutes parts
Après la condamnation du fils de l’ancien président de la République, l’ancien Garde des Sceaux, Me Sidiki Kaba, avait, lors d’une conférence de presse, déclaré que « le chef du Pds n’a perdu aucun de ses droits civils, civiques et de famille ; par conséquent, il est électeur et éligible. » En cela, le ministre avait raison puisqu’il faut que la mention figure expressément sur la décision de justice pour que le condamné perde ses droits civiques.
« Les tribunaux ne prononceront l’interdiction mentionnée dans l’article précédent que lorsqu’elle aura été autorisée ou ordonnée par une disposition particulière de la loi » dit l’article 35 du Code pénal. Et puisqu’aucune disposition de la loi 81-53 du 10 juillet 1981 relative à la répression de l’enrichissement illicite n’interdit l’exercice des droits civiques pour le délit 163 du Code pénal, Wade-fils a toujours conservé entièrement ses droits civiques.
Mais du côté du Palais présidentiel, les faucons, se fondant sur l’ancien article 31 du Code électoral, avaient toujours soutenu que Karim Wade n’est pas éligible du fait sa condamnation à plus de cinq ans ferme. Mais si on y regarde de près, aucun point de cet article n’empêche d’inscrire Karim Wade sur les listes électorales. Selon l’article L31, ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale : les individus condamnés pour crime ; ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement.
L’un dans l’autre, Karim Wade n’est concerné par aucun de ces délits puisqu’il a été condamné sur la base du délit d’enrichissement illicite. Il est clair que le délit d’enrichissement illicite n’empêche pas l’éligibilité d’un candidat. En sus, les partisans de Macky Sall brandissaient l’ancien article L.57 du code électoral qui dispose que « tout Sénégalais Electeur (ndlr, c’est nous qui soulignons) peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi ».
Pourtant, l’article L.115, qui fixe les conditions pour être candidat à l’élection présidentielle, n’arrime pas la recevabilité de la candidature au statut d’électeur inscrit. Voici ce que dit l’article ancien L115 du code électoral sur le dépôt de la candidature à la présidence de la République. Cette candidature doit comporter : les prénoms, nom, date, lieu de naissance et filiation du candidat ; la mention que le candidat est de nationalité sénégalaise et qu’il jouit de ses droits civils et de ses droits politiques, conformément aux dispositions du titre premier du Code électoral ; N° de carte d’électeur. Cet alinéa (N° de carte d’électeur) a été volontairement et illégalement inséré dans l’article pour « plomber » la candidature de Karim Wade.
La mention que le candidat a reçu l’investiture d’un parti politique légalement constitué ou d’une coalition de partis politiques légalement constitués, ou se présente en candidat indépendant ; la photo et la couleur choisie pour l’impression des bulletins de vote et éventuellement le symbole et le sigle qui doivent y figurer.
La signature du candidat.
Last but least, notre charte fondamentale, en son article 28, précise expressément les conditions d’éligibilité à une présidentielle : « Tout candidat à la présidence de la République doit être de nationalité exclusivement sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques ; être âgé de 35 ans au moins et de 75 ans tout au plus. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue française ».
Il appert, au vu de toutes ces dispositions du code électoral et des articles 34 et 35 du code pénal, que le fils du président Wade pouvait bien être candidat lors de la dernière présidentielle et pourra également se présenter en 2024. Hélas, le dialogue-mascarade politique a fini parfaire en sorte que l’ancien ministre « du Ciel et de la terre » soit toujours politiquement condamné à mort.
Khalifa écarté par des articles liberticides
Et ce sont les mêmes procédés machiavéliques qui ont servi à l’écarter de la course à la présidentielle de 2019 qui avaient été utilisés pour se débarrasser de Khalifa Sall. En 2019, « le ‘considérant’ N° 66 de la décision N°2/E/2019 disait effroyablement ceci : « Considérant que Khalifa Ababacar Sall ne peut plus se prévaloir de la qualité d’électeur au sens des articles (anciens, ndlr) L.27 et L.31 du code électoral ; que par suite, ne remplissant pas la condition prévue par l’alinéa 1er de l’article (ancien, ndlr) L.57 du Code électoral, il ne peut faire acte de candidature à l’élection présidentielle ».
En réalité, l’analyse de la portée juridique de ces anciens articles du code électoral (L.27, L.31 et L.57, alinéa 1) visés par le ‘Considérant’ N° 66 de la décision N°2/E/2019 du Conseil constitutionnel met à nu toute la manipulation utilisée pour écarter Khalifa Sall de la présidentielle. D’abord l’article (ancien, ndlr) L.27 dit : « Sont électeurs, les Sénégalais des deux sexes, âgés de dix-huit ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi ».
Or, à ce jour-là, l’ex-maire de Dakar jouissait de tous ses droits civils et politiques. Ni le jugement du tribunal de grande Instance de Dakar du 30 mars 2018, ni l’arrêt N° 454 de la Cour d’appel de Dakar du 30 aout 2018, ni l’arrêt N° 001 de la Cour suprême du 03 janvier 2019 n’avaient prononcé une privation des droits civils et politiques à l’encontre de Khalifa Sall.
Le terme « prononcé » a une signification juridique précise, aime dire mon ami le brillant juriste Seybani Sougou. Il signifie que la Justice doit prononcer la privation des droits civiques formellement (le prononcé doit figurer dans le jugement ou l’arrêt). Le Conseil constitutionnel était dans l’impossibilité de fournir une seule décision de justice dans laquelle figurait la privation des droits civils et politiques de Khalifa Sall.
Par conséquent, le fait de viser l’article (ancien, ndlr) L.27 du code électoral relevait d’une farce grotesque de la part des 7 « Sages ». Ensuite l’article L.31 dit : « Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale : 2) les individus condamnés à une peine d’emprisonnement pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement…».
Khalifa Sall était régulièrement inscrit sur les listes électorales. Sa qualité d’électeur était définitivement acquise le 17 juillet 2018, après la clôture de la révision exceptionnelle des listes électorales, conformément au décret n°2018- 476 du 20 février 2018. Il figurait en bonne et due forme sur la liste électorale issue de cette révision établie de manière définitive par les services du ministère de l’Intérieur, le 17 juillet 2018.
Partant de cette date, l’ancien maire de Dakar ne relevait plus de l’article L.31, puisqu’il était définitivement inscrit sur les listes électorales. L’article (ancien, ndlr) L.31 est extrêmement clair, puisqu’il dispose « Ne doivent pas être inscrits sur les listes électorales… ».
Or, Khalifa Sall étant déjà inscrit sur les listes électorales, l’article L.31 du code électoral ne lui était nullement applicable. Pour une raison simple : toutes les dispositions de l’article (ancien, ndlr) L.31 concernent les condamnés qui ne sont pas encore inscrits sur les listes électorales. Ce qui n’était pas le cas de Khalifa Sall, dont l’inscription était définitive depuis le 17 juillet 2017.
La qualité d’électeur du leader de Taxawou ndakaaru était incontestable dans la mesure où il avait été élu député à l’issue du scrutin du 30 juillet 2017. Mais la volonté de réélection de Sa Majesté avait fini par prendre le dessus sur les lois de la République. Ce qui fait que Khalifa Sall, à l’instar de Karim Wade, avait été privé du droit sacré de demander les suffrages de ses concitoyens.
Tout cela pour dire que demander perfidement aujourd’hui une amnistie pour les deux « K », c’est faire le jeu du pouvoir qui veut encore les écarter de la prochaine course présidentielle. Même si ces articles anciens L30, L31 découlent du code de 1992, il demeure qu’ils doivent être réformés pour les conformer au Code pénal et à la Constitution.
En France, depuis le 1er mars 1994, la déchéance des droits civiques n’excède pas cinq ans pour les délits et dix ans pour les crimes. Et toute personne frappée de cette peine a la possibilité de faire une demande de relèvement ou de réhabilitation parce que le droit de vote est sacré en démocratie.
Il est inadmissible qu’un groupuscule de politiciens, animés par la seule volonté de conserver le pouvoir, refuse toute proposition allant dans le sens d’amender les nouveaux articles L29, L30. Cela dit, pour refuser cette peine de mort politique suspendue au-dessus de leurs têtes comme une épée de Damoclès, Khalifa Sall et Karim Wade doivent se départir de leur mollesse et engager un rapport des forces avec leurs guillotineurs.
Comme le disait le président Mao-Ze-Dong, « la politique n’est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut s’accomplir avec autant d’élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d’amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d’âme ».
Serigne Saliou Gueye, Le Témoin
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