A la veille du démarrage de la campagne électorale, Mamadou Dieng, ingénieur financier et ancien Directeur du Trésor de l’Assemblée nationale et du Sénat, et également candidat à l’élection présidentielle de 2024, jette un regard critique sur l’entreprise et certains segments de l’économie nationale. L’entreprise, qui dit-il, dans cet entretien avec L’INFO, aura été en péril durant le magistère du président Macky Sall. Peignant un tableau sombre de l’économie nationale, l’ingénieur financier, par ailleurs homme politique, trouve qu’en la matière, «c’est d’abord la vision (du chef de l’Etat) qui n’est pas bonne». S’agissant de la présidentielle, l’opposant pense que la question des Institutions et des libertés, «fortement malmenées» durant les deux mandats de Macky Sall, doivent être au centre des débats lors de la campagne électorale.
Macky Sall s’apprête à quitter la tête du pays. A votre avis, l’économie s’est-elle mieux comportée sous son magistère ?
C’est le Chef de la mission du Fonds monétaire international (Fmi) qui a d’abord sévèrement douché les attentes de l’Etat du Sénégal qui criait à hue et à dia que le pays allait enfin franchir la barre psychologique des 10% de croissance, notamment avec la production des premiers barils de pétrole ! Ensuite, l’argentier de l’Etat, à son tour, a signalé que pour 2024, ils devront réviser la croissance de 10,6% à 8,3% et moi je pense que s’ils font 6%, ce sera un miracle. Et pour compléter le sombre tableau, il y’a la dette intérieure abyssale et la Banque centrale qui vient de relever son taux directeur qui passe de 3,25% à 3,50 %. L’on se rend compte ainsi que l’économie, ce n’est pas des incantations.
Qu’est ce qui explique ce sombre tableau que vous peignez de l’économie sénégalaise ?
C’est d’abord la vision qui n’est pas bonne. Macky Sall ne sait pas qu’en pays pauvre, on gouverne par la demande. Cela veut dire qu’il faut bien connaître ce dont les populations ont besoin, pour y appliquer les politiques publiques et non importer des projets qui se succèdent comme un roman à épisodes, sans aucune efficacité. Ensuite, il y a l’emprunt inconsidéré parce qu’on a du pétrole ! Prenons par exemple le TER dont il est si fier. D’après les chiffres dont nous disposons, le Maroc a fait Tanger-Casablanca, soit sur 200 km avec la modernisation de 10 gares, avec la moitié des fonds engagés. Le projet de Bus rapide transit (Brt) quant à lui, risque de constituer le scandale du siècle.
Qu’est ce qui explique ces échecs parce qu’on s’attendait à ce que l’économie reparte après la Covit-19 comme au Ghana, en Côte d’Ivoire….
Il faut d’abord reconnaître que tous les pays sont repassés devant nous alors que sur plusieurs secteurs, on avait une nette avance. Dans le domaine du transport aérien par exemple, Dakar était le hub de la sous-région. Avez-vous vu ce qu’est devenu Air Sénégal ? En matière touristique, l’attraction en Afrique de l’ouest, c’était aussi le Sénégal, par notre potentiel intrinsèque et le caractère naturellement accueillant des Sénégalais. Allez à Saly et vous allez voir qu’il n’y a plus personne. Le secteur de la pêche ce n’est même pas la peine d’en parler tellement l’échec est manifeste. On a signalé aujourd’hui un marché de Dakar où il n’y a pas un seul poisson sur les étals.
Ce sont les seules causes ?
Non, il y’a aussi l’environnement des affaires qui fait que l’entreprise va très mal. L’Entreprise a été en péril sous Macky Sall.La tension est manifeste au sein du Patronat entre ceux qui croient encore en l’Entreprise et ceux qui n’ont plus d’Entreprises et qui se greffent derrière les multiples organisations patronales pour faire du courtage ou se transformer en cabinet d’affaires pour avoir des marchés. Car ces derniers ont compris qu’avec les nouvelles possibilités offertes par la commande publique, notamment depuis la covid, les perspectives d’affaires sans risque sont ouvertes.
Vous êtes quand même bien pessimiste sur les perspectives économiques du pays
Je suis simplement réaliste et parfois même sidéré par ce qui se passe dans notre pays. Comment peut-on laisser l’engrais du Sénégal, un pays à vocation agricole, entre les mains des indiens qui ramènent tout le produit chez eux ? Allez au marché à poissons de Pikine, vous verrez les camions marocains venir approvisionner le Sénégal en poissons, un pays qui a 700 km de côte, parmi les plus poissonneuses du monde.
Ne faudrait-il pas alors faire intervenir le secteur public ?
L’Entreprise publique devait être le moteur de la croissance économique, mais elle est dans les faits le parent pauvre parce que l’Etat en a fait une niche pour la clientèle politique si on analyse le profil des Directeurs nommés par Macky Sall. Lorsque le Directeur général du Port autonome de Dakar, de l’Artp, de l’Aidb …, rivalisent dans les mobilisations politiques et la collecte des parrainages, c’est qu’il y’a un gros problème de confusion de genre, un pousse-crime parce qu’on sait que c’est avec l’argent qu’on fait la politique au Sénégal. Le Passage de Monsieur Ciré Dia à la « Sn la Poste » en est l’illustration manifeste et peut faire l’objet d’étude de cas dans les écoles de management. Je suis encore consterné par l’impéritie de cette nomination qui va nous coûter des milliards pour renflouer la Poste !
Vous êtes candidat à l’élection présidentielle de 2024, quelles doivent être, selon vous, les questions essentielles de la campagne ?
La question des Institutions et des libertés doit retenir toute notre attention parce que Macky Sall les a fortement malmenées pendant ses deux mandats. Cependant, je pense que l’agriculture au sens générique du terme, c’est-à-dire y compris la pêche et l’entreprise, doivent être également au cœur du débat politique. C’est presque une question existentielle parce qu’il n’y a plus d’emplois dans le pays. Nous avons honte en regardant nos enfants emprunter des pirogues pour aller chercher du travail chez les autres. Il faut impérativement réagir !
Propos recueillis par Lamine DIEDHIOU
Soyez le premier à commenter