Macky, pêcheur politique

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Même s’il affirme n’avoir pas rejoint la majorité présidentielle, Bamba Fall fait désormais office de conseiller du chef de l’Etat. Leur alliance politique portera-t-elle ses fruits d’un point de vue électoral ?

Les excuses ne font jamais défaut. Elles sont toujours servies avec presque les mêmes expressions. Le même vocabulaire. «Intérêt supérieur de la Nation», «unité nationale», «main tendue»… Les arguments honorables ne manquent jamais pour justifier les revirements politiques qui mènent nombre d’opposants dans le camp au pouvoir. Les nouvelles recrues ont presque toutes les mêmes mots quand il s’agit de défendre leur choix. Mais à l’heure de la Realpolitik, il faut reconnaître que la transhumance cache toujours des calculs politiques basés sur des intérêts personnels. A chaque fois qu’il y a une nouvelle alliance, il y a derrière un gain politique qui est attendu par le pouvoir. Celle entre le chef de l’Etat, Macky Sall et le maire de la Médina, nouvellement nommé ministre-conseiller auprès du président de la République ne saurait échapper à cette règle.

Si Bamba Fall dit espérer un apport considérable pour le développement de sa commune, le Président Sall vise l’électorat de la Médina, qu’il n’a pu conquérir aux Locales du 23 janvier dernier. Le même schéma a été tracé dans sa collaboration politique avec Idrissa Seck. Macky Sall pensait avoir acquis les 20% engrangés par le leader de Rewmi à la Présidentielle de 2019. Que nenni ! L’entrisme de Idy ne lui a pas permis de gagner pour une première fois la ville de Thiès. Pis, son principal allié, alors maître incontesté de Thiès, a perdu pour la première fois, les trois communes et la Ville. Mais Macky Sall persiste dans sa logique de débauchage d’opposants pour redorer son blason électoral. A-t-il appris de ses erreurs ?

Cette alliance avec Bamba Fall pourra-t-elle avoir l’effet escompté, si l’on sait que la transhumance a mauvaise presse au Sénégal ? Cheikh Yérim Seck, journaliste et analyste politique, y voit un calcul politique avec ses coups et contrecoups. «Je ne sais pas s’il a appris de ses erreurs ou pas, mais ce dont je suis certain est que le débauchage de Bamba Fall est l’acte 1 de la future préparation de Dakar en direction des Législatives de juillet prochain. C’est ça le calcul politique de Macky Sall. Le nombre de députés (07) dans le département de Dakar pèse très lourd. Le choc que Macky Sall a reçu au cours de ces élections locales, il fallait essayer de renverser la tendance et atténuer le choc de la défaite programmée dans Dakar aux législatives.» 

«L’inconvénient c’est que Bamba Fall soit estampillé ‘’transhumant’’ et de ce fait, perde une partie de ses sympathisants»

D’abord du point de vue de l’image que ça renvoie, un opposant qui s’allie avec la mouvance présidentielle est considéré comme un «traître». Idrissa Seck, Banda Diop, Moussa Sy, Oumar Gueye, Aïssata Tall Sall ont tous déjà entendu ça. Bamba Fall est le dernier sur la liste. «Transhumant», le mot heurte et ses conséquences politiques peuvent s’avérer cruelles. La première est celle de perdre sa base et de n’être d’aucun n’apport pour le recruteur. Bamba Fall pourrait passer par là. Aliou Ndiaye, journaliste et directeur de Pikini Productions, s’en explique : «L’inconvénient c’est que Bamba Fall soit estampillé ‘’transhumant’’ et de ce fait, perde une partie de ses sympathisants. Il peut dans l’absolu être sanctionné, mais est-ce que son électorat se soucie de Macky Sall ou de telle ou de telle autre personne avec qui il est ?» Pour Aliou Ndiaye, les sorts de Banda Diop, Moussa Sy et autres peuvent ne pas être liés à leur ralliement au pouvoir. «Il faut éviter d’être superficiel dans l’analyse.

Beaucoup de gens disent que Banda Diop et Moussa Sy ont été sanctionnés simplement parce qu’ils ont rejoint le pouvoir, c’est plus une spéculation qu’autre chose. Il n’y a aucune étude quantitative et qualitative faite auprès des populations de la Patte d’Oie, Grand-Médine, dans le cas de Banda Diop ou auprès des populations des Parcelles Assainies pour savoir si c’est parce que Moussa Sy a rejoint le camp présidentiel qu’il a été sanctionné. Il a été sanctionné peut-être parce que les populations des Parcelles Assainies ont voulu sanctionner le pouvoir de Macky Sall, ou il a perdu parce qu’Amadou Bâ qui pouvait être un de ses soutiens principaux, n’a pas levé le plus petit doigt pour l’aider à gagner cette élection.»

Toujours selon l’ancien directeur de publication de L’Observateur, il est trop tôt pour enterrer politiquement Bamba Fall, puisque bien avant lui, d’autres ont tenté cette collaboration avec le chef de l’Etat et ils ont pu garder intact leur électorat. «Il y a le cas de Amadou Diarra de Pikine Nord qui gagne des élections depuis des années, qui passe allègrement d’un camp à un autre et qui est maintenant dans le camp de Macky Sall et qui n’a pas perdu, rappelle Aliou Ndiaye. Ce que Bamba Fall a eu à la Médina, est-ce que c’est grâce au Parti socialiste (Ps) B de Khalifa Sall ? Je ne le crois pas. Est-ce que ce n’est pas le travail de Bamba Fall lui-même qui le maintient à la tête de la mairie parce que plusieurs fois des assauts ont été faits contre la citadelle de la Médina et les gens ont échoué.

Le Président a mis une armée de ministres contre Bamba Fall et à chaque fois, ils ont perdu. S’ils ont perdu à chaque fois, c’est parce que Bamba Fall a un ancrage local populaire très fort. Les gens doivent éviter de sous-estimer Bamba Fall parce qu’il a, à plusieurs reprises, résisté face à des gens qui ont beaucoup d’argent. Amadou Diarra a, au niveau local, fait un travail de proximité, de bon voisinage qui fait qu’à chaque élection, les gens votent pour lui qu’il soit du Pds ou de l’Apr.»

Des dividendes politiques en questions 

Comme reconnu par Cheikh Yerim Seck, Macky Sall est en train de placer ses pions en direction des Législatives. Il drague l’électorat de Bamba Fall. Mais, «attention aux contrecoups», prévient Moussa Diaw, Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Docteur en Sciences politiques. Il détaille : «Le président Macky Sall, ça m’étonnerait que ça puisse lui apporter des dividendes politiques. C’est vrai que Bamba Fall est un leader connu et qui a une base, mais cette base risque de s’effriter. On verra, d’ici les prochaines échéances électorales, quel sera le résultat. Son avenir risque d’être compromis. Ses argumentations sont superficielles, cela veut dire qu’il y a un problème au niveau de l’appréciation des politiques.

Ce qu’il a décrit, c’est de l’opportunisme politique. On l’a vu avec Idrissa Seck. Généralement les hommes politiques pressés, ils vont dans le mur. Ses arguments sont trop superficiels.» Selon lui, pour le moment, rien ne garantit au chef de l’Etat que Bamba Fall sera suivi dans son choix par la Médina. «C’est encore un transhumant de plus, insiste Dr Diaw. Un soutien massif de ceux qui ont voté pour Bamba Fall n’est pas si prévisible que ça. Il y a eu beaucoup de réactions négatives. Un poste de ministre, c’est un titre, ça ne veut pas dire qu’il va jouer un rôle beaucoup plus important qu’il ne l’est comme maire. Est-ce qu’il va être bien reçu par cette nouvelle majorité parce qu’il y a des gens qui se sont battus depuis très longtemps et qui n’ont pas eu ces titres ? On n’a pas de sondage, mais il faut s’attendre à des sanctions, vu le niveau de surprise de certains. Pendant les élections, il tient un discours d’opposition, il gagne et se range. C’est décevant et surprenant d’avoir des hommes politiques de cette nature qui, dans leur réflexion même pour se justifier, sont incapables de donner des arguments qui sont recevables.» 

Moussa Diaw reste convaincu que le Président Macky Sall n’a pas tiré de leçons des expériences malheureuses des cas similaires  avec Idrissa Seck et Moussa Sy qui ne lui ont rien apporté. Même si pour le cas de Idrissa Seck, le journaliste Aliou Ndiaye ne voit pas de surprise. «La perte de Thiès était inéluctable. Si on regarde bien les chiffres, chaque élection, il dégringole. L’opposition y est assez bien représentée. Il y a des cadres de l’opposition qui sont à Thiès qui sont Thiéssois comme lui, qui ont un discours, un parcours et des arguments. L’usure du pouvoir commence à se faire sentir, la défaite de Idrissa Seck pouvait s’inscrire dans l’ordre normal des choses. Idy serait resté dans l’opposition, il n’y a aucune garantie que la coalition dirigée par Yankhoba Diattara aurait gagné.»

Apport politique aux Législatives

Après les Locales, les Législatives se tiendront le 31 juillet prochain. Des élections qui seront le premier test de l’apport de Bamba Fall dans l’électorat de Macky Sall, si les deux font chemin commun à ces élections. Cheikh Yerim Seck : «Si Bamba Fall a la capacité de drainer son électorat vers Macky Sall, ce sera un apport considérable pour les Législatives. L’idée sera de savoir si Bamba Fall a un électorat docile ou pas», croit savoir le journaliste Cheikh Yerim Seck. Il poursuit : «Il peut y avoir des avantages et des inconvénients, mais c’est selon ce que va rapporter Bamba Fall. Bamba est une prise symbolique, mais comme il a trop parlé avant d’intégrer l’escarcelle du pouvoir, il a beaucoup perdu en crédibilité. Est-ce qu’il va aller avec toute sa base chez Macky Sall ou va-t-il partir tout seul ? S’il réussit à faire rallier toute sa base en faveur des candidats à la députation de Benno Bok Yakaar (Bby), il y a un avantage certain à débaucher Bamba Fall. Si l’inverse se produit, Bamba Fall sera plus un inconvénient qu’un avantage, d’autant que l’opinion sénégalaise est tellement réfractaire à l’idée de transhumance que si Bamba Fall n’apporte pas ses électeurs avec lui, symboliquement, le pouvoir y perd en termes de crédibilité.» Et d’électorat aussi.

Codou Badiane de

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