Le Président Macky Sall semble avoir pris le pli de célébrer le Magal de Touba à sa manière, c’est-à-dire de profiter de cet événement, le plus grandiose pour la communauté mouride du Sénégal, pour, à chaque fois, inaugurer des infrastructures dédiées à améliorer le cadre de vie dans la cité religieuse. Il a coupé, le samedi 18 septembre 2021, en compagnie du Khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké, le ruban symbolique, consacrant l’ouverture de l’hôpital Cheikh Ahmadoul Khadim de Touba. Cet hôpital de 300 lits est doté d’une vingtaine de divers services de santé et constitue le plateau médical le plus relevé du Sénégal. Mieux, le nouvel hôpital de Touba, réalisé grâce à un financement français, «ringardise» tous les hôpitaux de Dakar, par sa modernité, ses équipements de dernière génération et surtout par certains services de pointe qu’il peut offrir aux malades.
Macky Sall ne peut se retenir de clamer que «cet hôpital est le plus moderne de toutes les infrastructures publiques de santé en Afrique de l’Ouest». Le maire de Touba, Abdou Lahad Ka, ne s’y était pas trompé et a tenu à souligner que «c’est la première fois qu’un gouvernement sénégalais, arrive à réaliser une infrastructure publique de cette dimension à Touba».
En effet, le premier hôpital, Matlaboul Fawzayni, de Touba avait été construit grâce à des contributions volontaires des disciples de la communauté mouride, sur instigation du «bâtisseur», Serigne Abdoul Ahad Mbacké, Khalife général des Mourides de1968 à 1989. Le plus gros investissement en infrastructure routière du Sénégal a également été réalisé en direction de la ville de Touba, à savoir l’autoroute Ila Touba. Macky Sall a pu alors dire : «Ce que j’ai réalisé ici à Touba, aucun autre régime n’a eu à le faire.» Ainsi, Macky Sall s’est dit étonné par certaines critiques, entendues ça et là, quant à l’assainissement de la ville de Touba.
Des précipitations de plus de 140 mm (un niveau de pluviométrie jamais enregistré dans la ville depuis plus de vingt-cinq ans)) ont provoqué des inondations dans certains quartiers. Macky Sall a insisté, soulignant que «nul n’a investi autant que mon gouvernement en matière d’assainissement dans la ville et ces efforts seront poursuivis avec la nouvelle composante du Projet d’assainissement et dont les travaux ont déjà commencé.
Il faudrait plutôt nous encourager». Le chef de l’Etat invite donc ses pourfendeurs à un peu plus de circonspection ou de retenue car, assure-t-il, la situation se trouvera davantage améliorée. Dans la foulée, le gouvernement du Sénégal a décidé de prendre à bras-le-corps le problème récurrent de la fourniture en quantité et en qualité de la ville en eau potable. Il en est de même avec le programme de renforcement de l’électrification de la ville de Touba. La société publique Senelec a lancé au mois de septembre 2021, un nouveau programme d’extension et de renforcement de sa fourniture d’électricité dans la zone avec le Projet Touba 2.
Ce qui justifie les «faveurs» faites à Touba
Macky Sall justifie ses efforts en direction de Touba, estimant qu’il se fait un devoir de participer à réaliser l’ambition que Serigne Touba avait dessinée dans son panégyrique «Matlaboul Fawzaïni», pour le devenir de la localité qu’il avait fondée en 1888. Aussi s’engage-t-il à répondre aux souhaits du khalife Serigne Mountakha Mbacké. Au demeurant, les infrastructures profiteront, au de-là des habitants de Touba, à toute la population du Sénégal. La ville de Touba abrite le plus grand rassemblement annuel de personnes à l’occasion du Magal. Et la ville a connu un accroissement démographique qui en fait la deuxième ville la plus peuplée du Sénégal après Dakar. Le Président Sall d’indiquer que «Touba consomme le plus d’électricité, après Dakar, avec une consommation moyenne de plus de 85 mégawatts». En l’occurrence, la politique d’inclusion économique et d’équité territoriale impose de rattraper le retard du niveau des infrastructures dans certaine zones du pays.
C’est dire par exemple, que le choix de faire de gros investissements dans le secteur de l’électricité n’est pas fortuit. Les responsables de Senelec rappelaient notamment que le nouveau projet de la Boucle du Ferlo permettra d’une part de renforcer la fourniture en énergie du poste actuel et, d’autre part, de sécuriser la ville par la possibilité de reprise du réseau de distribution en cas d’indisponibilité du premier poste. Avec ce projet, c’est toute la zone du Ferlo qui sera ainsi alimentée par le réseau électrique, permettant le développement du fort potentiel agro-économique dont elle dispose. «Il en résultera une croissance régulière et soutenue de la demande en énergie électrique. Ainsi donc l’arrivée du réseau interconnecté de transport dans ces zones va permettre de sécuriser et densifier leur alimentation électrique et garantir la qualité de desserte électrique.»
On sait déjà combien la réalisation de l’autoroute Ila Touba a pu faciliter non seulement la liaison entre Touba et Dakar mais aussi a permis de désenclaver ou faciliter l’accès à certaines contrées du Ferlo et du Fouta.
Le Président Sall a en outre expliqué que l’hôpital de Touba fait partie d’un programme de 4 hôpitaux publics nationaux réalisés simultanément, dans un délai record de deux ans, par l’entreprise française Ellipse Projects. Il s’agit des hôpitaux de Kaffrine et Kédougou (déjà inaugurés en fin mai 2021) et celui de Sédhiou qui sera inauguré au mois d’octobre 2021.
Le gouvernement a procédé au recrutement de 800 nouveaux agents de santé, dont 300 médecins pour renforcer les effectifs. Il est à souligner que la ville de Tivaouane devra aussi être dotée d’un nouvel hôpital moderne. Le Président Macky Sall ne voudrait pas s’arrêter en si bon chemin. Il considère que la nouvelle qualité des nouvelles infrastructures hospitalières rend obsolètes nombre d’hôpitaux publics au Sénégal, qui devront aussi être modernisés, pour ne pas dire remis aux normes. Il a ainsi annoncé un ambitieux programme pour réhabiliter les hôpitaux Aristide Le Dantec (Dakar), Roi Baudouin (Guédiawaye) ainsi que les hôpitaux régionaux de Kaolack, Saint-Louis, Ziguinchor, Fatick, Diourbel, Tambacounda, Louga, Thiès.
Macky Sall disait après la Présidentielle de 2019 : «Quel que soit le vote de Touba, je continuerai à faire ce que j’ai à faire pour la ville et la communauté mouride.»
Le Khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké, continue de faire montre d’affection et d’empathie à l’endroit du Président Sall. Il a tenu à rehausser de sa présence la cérémonie d’inauguration de l’hôpital. Il s’inscrit de ce fait dans le même tempo que son prédécesseur Serigne Cheikh Sidi Moukhtar Mbacké, communément appelé Serigne Cheikh Maty Lèye. Seulement, les votes de la ville de Touba, lors des différentes dernières élections, n’ont pas été favorables au camp du Président Sall. D’ailleurs, à la Présidentielle de 2019, le candidat Macky Sall y avait recueilli ses plus mauvais scores électoraux. C’est pourquoi, de nombreuses personnes, présentes à la cérémonie d’inauguration du nouvel hôpital, ont dû se sentir dans leurs petites babouches, à entendre égrener, de manière inexorable, les grandes réalisations faites par le régime de Macky Sall au profit de la localité.
A l’énoncé des réalisations, les partisans de Macky Sall exultaient et lançaient des diatribes bien audibles à l’endroit de certains dignitaires présents. Dans les travées de la tribune, on a entendu des lamentations quant au sort jusqu’ici réservé à Macky Sall par les électeurs de Touba. Le Président a quelque peu remué le couteau dans la plaie en soulignant : «Au moment de la pose de la première pierre de cet hôpital, il y avait des gens qui disaient que ce n’était que des gestes de campagne électorale, mais aujourd’hui, weddi gis boku ci.» (Ndlr : la preuve par les actes). La gêne était perceptible, certains invités ont pu laisser échapper un : «Nous devrions avoir honte !» Une voix fusera de l’auditoire pour souligner : «Comment récompenser des paroles et des promesses et ignorer les actes concrets ?» L’histoire raconte qu’une telle réflexion serait sortie de la bouche de Cheikh Ibra Fall, un des premiers disciples du fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. En effet, Cheikh Ibra Fall voulait prouver son allégeance à son guide spirituel, sa dévotion et sa foi par des actes plutôt que par le seul verbe.
Il reste néanmoins que le Président Sall, avec une certaine subtilité, cherchera à mettre à l’aise son auditoire, quand il dira qu’il n’y aura pas de compétition électorale à Touba pour les prochaines élections locales du 23 janvier 2022, d’autant plus que la pratique politique fait qu’une seule liste est toujours en compétition à Touba, celle dite du khalife. Macky Sall dira que cette liste du khalife sera sans doute la liste de Benno book yaakaar, la coalition présidentielle au pouvoir. On notera que quelques responsables politiques locaux de l’opposition ont été à la tribune.
Au demeurant, le Président Macky Sall a toujours voulu refuser de lier les investissements publics à Touba aux piètres résultats électoraux qu’il engrange dans la ville, d’une élection à une autre.
Au lendemain de la Présidentielle de 2019 au cours de laquelle, il n’avait emporté que moins de 30% à Touba, contre plus de 50% au niveau national, il confiait, stoïque, à certains proches dépités, que son gouvernement poursuivra ses missions et réalisations à Touba, quel que soit le vote défavorable à son camp. Sur un autre registre, l’attitude de défiance de l’électorat de Touba semble porter ses fruits. Malgré l’hostilité des électeurs, le régime de Macky Sall a doté la ville des plus grandes infrastructures réalisées dans le pays ces dernières années ! Alors on pourrait se demander si cette logique ne pousserait pas à en faire davantage, jusqu’à y implanter un Palais présidentiel et finir par faire de Touba «la rebelle», la capitale du Sénégal ! Peut être que rien n’est de trop pour conquérir une belle qui refuse les avances d’un prétendant. Cela expliquerait-il que les habitants de Touba bénéficient encore d’une distribution gratuite d’eau courante, alors que des habitants de localités plus pauvres sont tenus de s’acquitter de leurs factures d’eau ?
mdiagne@lequotidien.sn
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