Lettre à titre posthume à une amie (Par Jean-Marie Biagui)

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Ma Chère Amie,

C’est en mars 2011 que nous nous sommes rencontrés, pour la première fois, à Dakar, dans le cadre d’une réunion consacrée au « Processus de paix en Casamance ».

Je débarquai alors de Lyon, en France, et prenais part au conclave en qualité de Secrétaire Général du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC). Depuis, nous ne nous sommes plus quittés jusqu’à cette date cruelle du 3 août 2019.

Mais, Ma Chère Amie, mon propos, ici, ne consiste pas en un hommage. Car tu étais de ces rares personnes dont on peut dire : ‘‘Il/Elle était l’ami(e) de tous’’. Or, il est une gageure, une épreuve redoutable, que de rendre homme à ‘‘L’ami(e) de tous’’.

Mon propos, Ma Chère Amie, se veut plutôt un cri du cœur, sinon un plaidoyer.

En effet, quand je t’ai croisée pour la première fois, tu tâchais depuis plusieurs années déjà de te refaire, de te reconstruire, comme le suggéreraient en l’occurrence des professionnels. En quelque sorte, tu continuais à vivre ta vie, mais tu t’y exerçais autrement, en puisant l’énergie nécessaire du tréfonds de toi-même.

C’est que tu entreprenais ainsi de t’arracher à une vie antérieure. Et n’eût été une intervention de la Police, salvatrice et salutaire, tout à la fois, peut-être n’aurais-je jamais eu la chance de te connaître.

Or, tu t’étais refaite depuis. Tu avais même renoué avec l’amour de la vie, peut-être même comme jamais auparavant.

Cependant, à ta mort, tu devais compter, aux dépens de ta mémoire, avec des gugusses, qui plus est des intellectuels, pour te renvoyer et t’enfermer, sans ménagement aucun, dans cette partie sombre de ton histoire personnelle.

En effet, en présentant leurs « sincères condoléances » à celui dont la Police te délivra définitivement jadis, non seulement ils te faisaient mourir une seconde fois, mais ils arrêtaient ainsi ta vie et ton histoire, si injustement et si arbitrairement donc, avec ton bourreau, et à la grande jubilation de celui-ci. C’est hors toute éthique et toute morale.

Ma Chère Amie, à la seule évocation du véritable nom du ‘‘dragon’’, déjà, tu étais apeurée, tétanisée, terrorisée. Alors, tu lui préférais ‘‘le dragon’’. Cette forme de thérapie avait ainsi l’avantage de déshumaniser ‘‘le dragon’’, tout en t’humanisant d’autant plus. En fait, tu lui accordais de la sorte, en même temps, quelque circonstance atténuante. C’était bien toi, et tout à ton honneur.

Ma Chère Amie, ton cas avec de telles « sincères condoléances », adressées à ton bourreau d’alors par le biais de la Toile, n’est pas un cas isolé. D’autant qu’il rappelle nombre de cas de condoléances non moins sincères, que d’aucuns s’empressaient, et s’empresseront toujours, sous nos cieux, de présenter aux auteurs de crimes d’honneur.

Et lorsqu’une telle démarche est le fait d’un intellectuel doublé d’un anthropologue, il faut y voir un acte d’anthropophagie.

Car, alors, bouffer (de) la mémoire de la défunte victime, singulièrement en présentant ses « sincères condoléances » à son bourreau, n’est rien de moins qu’un acte d’anthropophagie.

Ma Chère Amie, pour terminer, et pour paraphraser un propos du philosophe français Michel Onfray, il me plait de témoigner que tu as su mourir, et bien mourir, parce que, précisément, fondamentalement, tu avais su vivre. Si l’on sait que savoir mourir, qui plus est bien mourir, est la forme ultime du savoir-vivre.

Ma Chère Amie, avoir été avec toi, t’avoir accompagnée, notamment les derniers moments de ta vie, fut pour moi une aventure humaine, belle et cruelle, tout à la fois. Et de cette aventure humaine, je pourrai toujours dire, je dirai toujours : ‘‘Ça, ça m’appartient !’’

Ma Chère Amie, Chère Carrie, que la terre de Sokone, que tu chérissais tant, et où tu reposes désormais, à tout jamais, te soit éternellement légère.

Dakar, le 8 septembre 2019.

Jean-Marie François BIAGUI

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