L’Etat, les mass médias et les autorités religieuses en Berne au Sénégal ?

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Il semble qu’une société régresse lorsque le bavardage des donneurs de leçon empêche d’entendre le retentissement des actes des bâtisseurs. C’est là une voie bien ouverte à la grossièreté religieuse, entre autres, dans une cécité intellectuelle qui, en réalité, n’est que le baromètre d’une absence de Dieu.

Parlons-en !

La violence verbale ou physique commise au nom d’une religion s’est toujours illustrée par des actes d’une barbarie et d’une cruauté souvent ascendante. Les chrétiens catholiques du Sénégal la subisse maintenant, mais alors intensément et frontalement.

Disons-nous la vérité : la religion est invoquée pour justifier cette violence.  Face à cette situation extrêmement grave, osons aborder la question de fond : les religions sont-elles violentes ? Que faut-il faire pour prévenir et limiter la violence motivée religieusement ?

Je partage la plupart des conclusions tirées des réseaux sociaux suite à la sortie Hô combien hasardeuse d’un Imam sénégalais (Lamine SALL). Je réfléchirai ici en tant que juriste et théologien.

Il est temps de considérer pour la violence religieuse des éléments que le gouvernement, les politiciens et certaines familles ou communautés religieuses préfèrent ne pas aborder sérieusement et qui pourtant, à mes yeux, sont essentiels. Il y a en effet une sorte d’aveuglement de hauts responsables gouvernementaux ou religieux qui veut ne pas saisir certaines facettes du problème. Cette forme d’autocensure n’a rien à voir avec de l’ignorance ou un manque d’informations, ni même forcément avec une mauvaise volonté. Elle résulte d’une part d’une limite méthodologique du discours politique sur les religions (qui n’a pas de compétence pour juger du contenu d’une religion particulière) et, d’autre part, d’une série d’interdits tacites du discours politico-religieux sur certains sujets sensibles ou contentieux. C’est cette autocensure qui me motive à écrire ces lignes qui n’engagent que moi.

Religions et non-violence

Un argument prioritaire, il y en a.

Les religions ne sont pas en soi  (per se) violentes, mais sont susceptible de le devenir dans certaines circonstances, notamment politiques.

Pourquoi peut-on devenir violent en religion ? Est-ce des facteurs sociaux qui font basculer dans la violence ?

Toutes les religions font l’expérience et reconnaissent habituellement que la conviction intime, l’adhésion à une foi religieuse ne peuvent être imposées à quelqu’un par la force. Tout comme l’expérience mystique ne se commande pas, croire ressort de la liberté intérieure. Forcer à croire, c’est dénaturer la foi.

Toutefois à cette première évidence, un sentiment commun largement partagé, ne correspond pas nécessairement que toute religion ait développé une doctrine de non-violence, notamment envers ceux qui rejettent cette foi ou s’en séparent. Qui plus est, la prétention à la vérité présente au cœur de toute religion implique une hiérarchisation des « visions du monde » qu’elles commandent. Cette prééminence se convertit aisément en prédominance sociale, laquelle tend à son tour à se confondre, avec le temps ou par volonté délibérée, avec la puissance économique, le pouvoir politique et l’état de droit.

Il faut donc affirmer que le pouvoir et l’usage de la force ne sont nullement étrangers aux religions. Comme chaque religion forme également une communauté sociale, elle assigne également un sens et une place à l’usage du pouvoir et de la force quelle que soit sa nature; chacune prévoit le refus de croire ou l’abandon de la foi, précise les mœurs et les lois qui régissent la coexistence des croyants ainsi que le rapport aux non-croyants ; chacune prévoit la légitimité du pouvoir religieux, politique ou économique ainsi que leurs limites respectives ; certaines ont un discours sur la violence en réglementant les cas où elle pourrait être légitime et là où elle sera illégitime.  

L’objet de cette violence verbale

L’étendue et la gravité des violations de la liberté religieuse au Sénégal, en appelle à une analyse des causes de cette violence verbale commise au nom d’une religion.

Je m’attache aux faits réels de violence verbale contre la communauté chrétienne catholique auxquels, tous nous sommes témoins, commis au nom d’une conviction religieuse particulière. Certains affirment que cette violence n’est pas le fait d’une religion, mais d’êtres humains adeptes d’une religion bien précise. L’auteur des violences religieuses n’est pas un principe abstrait (la religion) mais toujours une ou des personnes. Il faut donc se concentrer sur ces acteurs réels de la violence pour en comprendre l’origine, qui ne sera ainsi jamais uniquement religieuse, mais aussi religieuse. Il y a certainement un lien entre une religion particulière et la violence commise en son nom.

Dans notre cas s’agit-il d’abord d’une attaque contre la cohésion sociale nationale? Ou contre le christianisme ou encore contre autre chose ? C’est toujours l’irréalisme qui nous perd. Il faut voir le réel tel qu’il se présente à nous, si l’on prétend vouloir le comprendre et, pourquoi pas, dans la mesure de nos forces, le corriger.

Les religions ont été historiquement et de manière prédominante des vecteurs de paix, d’ordre et d’humanisation des sociétés bien plus que des raisons de guerres et de luttes fratricides. Aucune religion ne fait, en soi, l’apologie de la violence. En soi, c’est-à-dire comme ensemble de croyances cohérentes et rationnelles. On ne trouve en effet pas de « religion de la brutalité, de la guerre et de l’oppression » parmi les religions révélées. On ne peut donc pas réduire la violence faite au nom d’une religion à l’ensemble des croyances qui la constitue comme si elle en était la cause, comme si la violence en était l’expression authentique. Aucune religion ne promeut la figure du « violent » comme étant celle du « croyant exemplaire ».

Cependant, l’interprétation erronée d’une religion n’acquitte pas de la violence commise en son nom. Les religions peuvent se prêter à justifier la violence dans certaines circonstances et doivent donc être vigilantes non seulement quant à leur instrumentalisation politique, mais aussi quant aux interprétations abusives du corpus de croyances qui les constituent.

En appelant à condamner explicitement ces manipulations et interprétations erronées, je mets en exergue la responsabilité qui incombe aux autorités religieuses et politiques qui contrôlent et valident l’interprétation du corpus de croyances, les communautés religieuses et leurs dirigeants, y compris. La responsabilité qu’elles portent pour la violence religieuse est importante. Il ne suffit pas de démentir telle ou telle interprétation, ni de protester que ces violences n’ont rien à voir avec la religion, mais il faut s’engager activement contre la diffusion de ces enseignements et lutter contre ces violences.

Là je ne parle pas des actes isolés de violence religieuse, mais bien leur caractère organisé et même structurel. Il y a comme une violence religieuse commanditée par des institutions qui sont en phase de l’appliquer comme un système ou comme principe de droit dans des circonstances bien plus que précises.

Les circonstances d’une violence commise au nom d’une religionsont des facteurs de violence religieuse qu’on peut identifier comme des causes profondes de la violence religieuse. C’est justement ce « contexte » des religions, dans toute sa complexité sociopolitique, qui joue le rôle de déclencheur de la violence religieuse.

Dans certaines circonstances sociales, culturelles, politiques et économiques précises, une religion aura tendance à tolérer, à accepter ou à encourager la violence verbale.  L’identification de ces circonstances (l’actualité sur l’homosexualité par exemple) qui peuvent transformer une communauté religieuse en un véhicule de guerre, de barbarie et de violences doit être un programme et une préoccupation de tous, en premier de nos dirigeants politiques et religieux ; identifier principalement les acteurs capables d’exercer un certain contrôle sur la violence religieuse ; identifier parmi les acteurs sociaux tous ceux qui prennent part à son déclenchement. Soit ils fomentent la violence religieuse soit, de manière indirecte, ils ne s’y opposent pas. Là, il existe une « responsabilité conjointe » largement partagée entre ces différents acteurs dans l’explosion de la violence religieuse. Il faut donc éviter à tout prix les simplifications qui réduisent la responsabilité pour la violence religieuse à un seul et unique acteur qui en serait comme la source. Une telle réduction de la responsabilité commune pour la violence religieuse relève souvent d’une stratégie de déni de sa part de responsabilité propre dans les violences qui sont commises.

Cet état de fait est à apprécier dans notre pays, le Sénégal.

La violence religieuse incombe d’abord à la responsabilité de l’État du Sénégal qui est garant des libertés publiques, de la liberté religieuse et de la liberté de culte, des individus qui la commettent , des autorités religieuses qui ne s’y opposent pas publiquement et opportunément, ensuite des médias qui la relayent ou l’encouragent d’une manière ou d’une autre, de la société civile et enfin de la communauté internationale garante du droit international et des droits de l’homme.

 

Les États

Le rôle de l’État comme cause de la violence commise au nom d’une religion : il y a un rapport direct entre violence religieuse et états défaillants ou en déroute. L’incapacité d’un État à assurer la sécurité de ses citoyens et l’état de droit, à garantir la paix et la stabilité, une éducation de base pour tous, des perspectives de travail et un développement économique sont autant de facteurs qui favorisent l’émergence d’une radicalisation religieuse d’une frange de sa population. La religion remédie alors à la vénalité et à l’incurie du gouvernement, en imposant une morale et un ordre social religieux stricts. Au chaos social (anomia) répond et se substitue l’ordre que procure l’éthos religieux (nomos). La religion, en tant qu’elle ordonne une vie commune et lui procure des règles, confère aux populations une sécurité et une stabilité que l’État s’avère incapable de lui donner. Ce repli sur le religieux comme principe d’organisation sociale et politique est à l’origine de l’instauration de régimes théocratiques pour qui les autres dénominations religieuses sont une menace directe à l’ordre politique et social qu’ils ont établi. C’est le cas des communautés religieuses qui jouissent d’une autonomie à tous égards. C’est là,  une des causes principales de la violence religieuse.

À long terme, toute politique étatique partisane favorisant l’exclusion de certaines minorités ethniques et/ou religieuses devient pour peut constituer une des causes de la violence religieuse. Plus précisément encore, l’exclusion plus ou moins systématique de la participation civile et politique des minorités religieuses ou ethniques à la vie publique peut favoriser l’émergence de revendications violentes à long terme. La religion sert ici de catalyseur, qui permet à ces minorités de se ré-identifier contre ceux qui les excluent. La radicalisation augmente ainsi du fait de l’exclusion.

Une autre source de la violence religieuse est l’impunité, la banalisation de la violence et la culture du silence. L’impunité est un terreau fécond pour le fanatisme et la radicalisation religieuse. La désinformation, les rumeurs, les théories du complot sont autant d’éléments qui aggravent la violence et l’intolérance. L’irrationalité de la violence religieuse se nourrit de la culture du silence qui entoure la violence habituelle.

 

Le rôle des mass media comme circonstance de la violence religieuse

Parmi les autres protagonistes de la violence religieuse, il faut souligne la responsabilité des mass media dans sa propagation ou/et reproduction. Le manque d’information, tout comme la désinformation (propagande) par les mass media sont des vecteurs de violence. La manière dont l’information est collectée, dont elle est mise en forme, le choix de ce qui est diffusé et le public qui est visé sont autant de lieux qui se prêtent à l’exacerbation de la violence religieuse. Dans les situations de conflits de toutes sortes, l’information tend à devenir partisane, comme instrument de propagande pour l’une des parties au conflit. Ce faisant, les médias peuvent donc aussi être des acteurs (et non seulement des témoins) de la propagation de la violence religieuse.

La responsabilité des médias de rester fidèles aux faits et de résister aux manipulations, de promouvoir le débat public respectueux et de lutter contre la culture du silence est plus que jamais une obligation déontologique. Ils ont une responsabilité directe en matière de violence religieuse s’ils dénigrent ou le permettent les autres communautés ethniques ou religieuses, s’ils appellent à la haine religieuse ou s’ils se prêtent à la désinformation par la diffusion de rumeurs infondées et de théorie du complot.

 

Les autorités religieuses

Le rôle des autorités religieuses en tant qu’interprètes et garantes de l’expression authentique du corpus religieux est à souligner et à soutenir. À ce rôle d’interprète correspond une responsabilité pour la violence commise au nom d’une religion. En ne condamnant pas de manière efficace et réelle les actes de violence verbale, commis au nom de leur foi, les autorités religieuses s’en font complices et favorisent la reproduction de tels actes violents par une culture du silence. Il ne suffit pas pour ces autorités d’innocenter leur foi en répétant que ces actes de violence n’ont rien à voir avec leur corpus religieux. Il faut les condamner activement et exercer toute l’autorité de leur charge pour éviter leur diffusion. Il faut que malgré les difficultés les autorités religieuses trouvent le courage de dénoncer les dérives fanatiques et violentes en leur sein.

En définitive comment et par quels moyens chrétiens ou non, pouvons-nous répondre à la violence verbale qu’engendre encore un inextricable cocktail mauvaise candeur, d’injustice, de mensonge, de négation  et, à la limite, de haine de l’Église ? Ce que nous nommons aujourd’hui tolérance n’est bien souvent que la charité du faible et le masque de la peur. Les paroles de l’Imam SALL à la face de chrétiens ressemblent à celles de soldats qui croient avoir conquis un territoire : le Sénégal. Ce Sénégal appartient aux sénégalais, parmi lesquels des chrétiens  Elles dégoulinent, ces paroles, de ce fiel du fanatisme tueur dont Adrien CANDIARD a montré qu’il n’était pas le fruit d’un excès de religion, mais d’une absence de Dieu. « La diffusion de la foi par la violence est contraire à la raison, disait le pape Benoît XVI. Elle est contraire à la nature de Dieu et à la nature de l’âme. »

« Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. » (Jn 16, 33). Nous sénégalais en général, les responsables politiques et religieux en particulier, qui ont été parfois égarés par l’idéologie, par la peur ou par la naïveté, auront tout à gagner à se tourner vers le réalisme, car ainsi qu’a encore dit le Christ, « la vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32).

Dr. Abbé Aloyse SENE

Président de l’Union du Clergé Sénégalais (UCS)

Président du Tribunal Interdiocésain

                                                                  Chancelier Diocèse de Thiès

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