Les formations ethniques et sociales en Mauritanie : de la domination des négro-négro- africains à la suprématie des maures

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L‘espace géopolitique mauritanien actuel, circonscrit entre le Mali, le Sénégal, le Sahara occidental, l‘Algérie, le Maroc et l‘Océan Atlantique depuis 1900, comprend deux grandes composantes ethnico-raciales et culturelles: les Négro-africains et les Arabo-Berbères.

  1. La composante négro-mauritanienne.

Elle est la première qui occupa le pays, de la préhistoire à l‘arrivée des Berbères, au IIIe siècle avant J.-Christ. Très apparentée aux autres ethnies d‘Afrique occidentale, elle est surtout composée de sédentaires, agriculteurs dans leur majorité. Elle serait issue de deux anciens grands groupes culturels : le groupe tékrourien (Hal Pulaaren, Wolof, Sérère) issu de ce que j‘appellerai le “groupe Wakoré”, et le groupe Mandé (Soninké et Bambara) issu de ce que j‘appelle le “groupe Wangara”.. Ces deux groupes seraient eux-mêmes issus d‘autochtones sahariens que les traditions mauresques et négro-africaines appellent les Bâfour. Ce peuple – noir, selon les traditions mauresques – se serait plus tard en partie mélangé aux Berbères nouvellement arrivés du Maghreb au IIIe siècle de l‘ère chrétienne. Il fut à l‘origine de la plupart des palmeraies des oasis de la Mauritanie septentrionale.
Les sociétés négro-mauritaniennes issues de ces peuples anciens sont agricoles dans leur écrasante majorité. La redistribution et la mobilité géographiques actuelles des populations mauritaniennes résultent du dessèchement historique du Sahara et de l‘occupation par les Arabo-Berbères de ce Sahara abandonné par les Noirs, dont le repli se fera vers le sud, dans la vallée du Sénégal. Les modes et systèmes de productions fondamentaux chez les Négro-mauritaniens étant agraires, c‘est une lapalissade de rappeler que là où ces populations ont trouvé l‘eau en abondance, elles ont établi avec elle et avec les autres ressources du milieu des contrats immémoriaux d‘utilisation et de conservation durables, empreints de totémisme.
Il faut donc considérer comme condition déterminante des replis vers les zones humides et les plaines d‘inondation, non pas les pressions des nomades, mais les altérations du climat et du milieu, qui obligèrent les Négro-Mauritaniens à chercher fortune ailleurs. Lorsqu‘elles descendront définitivement dans la vallée du Sénégal et ses affluents dans la deuxième moitié du XIXe siècle, elles n‘en continueront pas moins de résister aux diverses pressions et tentatives de domination des nomades du Nord. Ceci est d‘autant plus vrai que la nécessité du repli que leur imposa le dessèchement historique du Sahara vers les zones humides plus méridionales ne videra pas totalement les oasis du Nord de leurs autochtones noirs.Tant que les peuples de l‘espace mauritanien vivaient dans des États différenciés, et avant que la colonisation ne les réunisse dans l‘État territorial actuel et se situant au même niveau technologique, ils avaient su adopter des stratégies de défense qui protégeaient leurs sociétés respectives contre l‘agression de leurs voisins, avec les mêmes types d‘armes et les mêmes possibilités de les fabriquer ou de les acquérir. Quoi que l‘on sache, et malgré l‘accent mis par certaines études aux conclusions trop hâtives sur la prétendue supériorité militaire du nomade sur le sédentaire, il est démontré qu‘au cours de l‘histoire qui précède la traite négrière atlantique, des tribus entières de nomades maures avaient été très souvent assujetties par les États noirs agricoles, comme l‘empire du Tékrour, du Ghana, du Mali, du Djolof, du Cayor, du Songhaï et du Fouta Toro (des Satigui et des Almami). Les États berbères Sanhadja d‘Awdaghost et almoravide avaient également très souvent soumis beaucoup de tribus noires de l‘espace mauritanien médiéval.

  1. La composante arabo-berbère

Apparentée aux populations du Maghreb et du Proche-Orient, la communauté maure beydane (blanche) est née de la rencontre des autochtones Berbères d‘Afrique du Nord et des Arabes Beni Hassan en mal de territoire et à la recherche d‘un pays d‘accueil. Après que leurs ancêtres Beni Hilal furent chassés d‘Arabie par les khalifes abbassides au XIe siècle, et après une longue odyssée au Maghreb, les Beni Hassan sont eux-mêmes chassés du Maroc au XIVe siècle. Berbères et Arabes fusionnent à l‘issue de longs conflits et d‘alliances qui tournèrent en faveur des seconds dans le contrôle de la société maure.
L‘élite beydane, ou maure blanche arabisée, qui contrôle les sommets de l‘État mauritanien contemporain, cherche depuis 1965 à étendre cette arabisation aux ethnies négro-mauritaniennes ayant leurs langues et cultures propres. Cette arabisation est le prolongement de celle entamée à la fin du XVIIe siècle en milieu maure par les Arabes Béni Hassan, et qui a fait disparaître la langue et l‘identité berbères de Mauritanie. Une partie des esclaves et affranchis noirs qu‘on trouve dans la communauté maure est issue des groupes négro-africains de la Mauritanie saharienne d‘avant le désert. Ces esclaves, Haratines et Abîd, forment la composante sociale démographiquement la plus importante du pays, selon tous les recensements de ces dernières années.

  1. Esclavage et recomposition ethnique et sociale

L‘espace mauritanien est un espace ouvert de compétition et de compénétration ethniques, malgré les conflits historiques connus qui traversent son histoire. Ces conflits sont producteurs d‘esclaves et recomposent toujours les formations sociales et culturelles de l‘ensemble mauritanien. Les ressortissanats de chaque communauté ethnico-culturelle se sont vus asservis les uns par les autres. Ainsi les esclaves provenaient de toutes les ethnies de cet espace mauritanien et des espaces voisins. Les Maures eurent à se battre contre l‘Empire des Déniyanké, dits des “Oulad Tenguella” qui, depuis le Satigui Sawa Lamu (XVIIe siècle), dominait bon nombre de leurs tribus.

C‘est contre leurs descendants que les Croisés de la Char Babba de Nacer Eddine – noblesse de robe maure – se sont heurtés pour s‘affranchir de leur tutelle avant de retourner leurs armes contre les guerriers arabes soutenus par les Sultans marocains et l‘Atlantique. Ces guerres portèrent les guerriers Beni Hassan à la tête de la société maure au détriment des marabouts berbères (Zwaya).C‘est le phénomène quasi-inverse qui se produisit en milieu négro-africain du Fuuta Tooro, entre autres, où les marabouts vainquirent la monarchie militaire pour y faire aboutir, un siècle plus tard, le projet théocratique et d‘abolition de la traite esclavagiste initié par l‘élite musulmane maure berbère. En effet, après l‘abolition de la traite esclavagiste dans ses Etats, l‘Almamy du Fuuta Tooro, Abdel Kader Kane porte la guerre aux émirats arabes Hassan des Trarza et des Brakna et les soumet au paiement de tributs à la nouvelle République du Fouta.
Il est donc temps de dépasser les clichés du schéma linéaire, inlassablement reproduit et fixé dans les esprits et les écrits récents, d‘une suprématie presque “congénitale” du nomade sur le sédentaire, du Blanc sur le Noir. Ce schéma raciste et partisan est difficilement soutenable en Mauritanie. Ceci de l‘empire du Ghana (VIIIe siècle) à la république du Fuuta (XVIIIe-XIXe siècle).
Si les sédentaires noirs avaient toujours été soumis aux Maures, selon une certaine historiographie, donc dans une position très peu enviable d‘éternels asservis, d‘où viendrait alors l‘adoption, puis l‘assimilation, par le plus grand nombre de tribus mauresques, des patronymes tékrouriens (Pulaar, Wolof) et wagadou (Soninké)?
Je suis tenté pour ma part de répondre plus simplement qu‘avant de porter l‘habit arabe, plus valorisant après le XVIII ème siècle, le beydane trouvait plus gratifiant d‘appartenir au moule culturel négro-africain, plutôt qu‘à celui d‘un Maghreb alors condescendant à son égard. Bien avant que l‘idéologie récente de l‘ultra-arabisme rejette cette négrité revendiquée, ou cette partie nègre dans le Maure qui fait de lui un métis dans tous les sens du terme, le regard du nomade beydane était davantage tourné vers les fastes des ensembles culturels, politiques et civilisationnels négro-africains du Moyen-Âge soudanais.

En effet, les Idaw Aly, Tendagha, Ikoumleylin, Tadjidbit (Berbères), Oulad Ahmed Min Daman et les Ulad Daman (Arabes Hassan), etc… portent les noms totémiques négro-africains de Fall. Les Oulad deyman devinrent des Dieng. Les Oulad Biri (tribu du Président Mokhtar Ould Daddah) préfèrèrent pour eux le patronyme Diakhaté. LesTadjakant celui des Baby (c‘est à dire Bah). Les Idag Jë devinrent des Dia. Les Laghlal, des Sibi (soninké), et j‘en passe. Pourquoi ces tribus pourtant assez puissantes adoptèrent-elles ces patronymes négro-africains ?

Les Diagne restent attifés du superlatif de “maure” : “Diagne-Naar” (c‘est-à-dire “Diagne le maure”), et sont wolof et pulaar. Et tous ces Halpulaar, Wolof, Soninké ou Bambara qui se cherchent, à juste titre, des ancêtres arabo-berbères, réels ou fictifs ? Les familles Kane, Wane, Sy, Ly, Hanne, comptent de nombreux Maures d‘origine parmi elles. Que dire des Soninké devenus Hal-pulaar, Wolof et Maures (Laghlal) ? C‘est de tous les côtés que la compénétration ethnique s‘est opérée.

Source: professeur SEYDOU KANE

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