L’élevage extensif est la forme la plus répandue de l’élevage au Sénégal. Cette façon de pratiquer l’élevage oblige souvent les éleveurs à vivre hors des gros villages, des villes, dans de petits hameaux dispersés.
Durant la saison sèche, ils peuvent se déplacer sur un, deux ou trois cent kilomètres à la recherche de pâturages et de points d’eaux.
Ainsi voit-on des caravanes d’éleveurs, les femmes et les enfants sur des charrettes, leurs pauvres meubles de campement posés dessus, se déplacer du Ferlo dans les régions de Fatick, de Kaolack et de Tambacounda à la recherche de l’herbe fraîche et de l’eau.
L’eau est une préoccupation permanente des éleveurs de la région de Louga. Je suis toujours impressionné, entre Louga et Dahra Djolof, entre Touba et Dahra Dahra Djolof, entre Dahra Djolof et Linguère, par ces femmes peules minces, avec leurs cheveux finement tressées, ñari, flottants aux vent, debout sur des charrettes, entourées de chambres à air noires remplies d’eau.
Elles me rappellent les films rodéo de mon enfance.
Derrière ces scènes pittoresques de la vie quotidienne, il faut lire la souffrance de ces femmes dont une partie de leur temps est uniquement consacrée à la recherche de l’eau pour les besoins de la famille et pour le bétail qu’ils chérissent autant que leurs enfants.
Les éleveurs, notamment les peuls, sont des nomades dans l’âme.
Même lorsqu’ils se convertissent à d’autres activités, ils gardent souvent cette culture d’habiter solitaire loin des autres concessions. Au Sénégal, les peuls ne sont pas les seules populations ayant une tradition d’élevage, il y a les sérères qui sont de grands éleveurs, il y a les bédik qui possèdent sans doute les plus belles vaches dama, les maures et d’autres populations qui, à proximité des peuls, se sont aussi converti à l’élevage.
Les peuls s’ils pratiquent en général l’élevage, exercent d’autres activités selon les endroits.
Ainsi a-t-on des peuls grands horticulteurs dans les Niayes, des peuls pêcheurs sur le littoral de la Grande Côte, des peuls riziculteurs dans la vallée du Fleuve Sénégal, des peuls producteurs d’arachides et de mil dans le bassin arachidier, etc. Ils ont adopté les activités de leurs voisins et finissent petit à petit à se fixer, à se sédentariser.
Les déplacements des éleveurs nomades empêchent la scolarisation de leurs enfants ou les obligent à les confier à des parents ou à des amis pour leur scolarité. Cette situation explique le défaut de scolarisation de beaucoup d’enfants d‘éleveurs peuls.
Depuis l’indépendance les gouvernements successifs du Sénégal ont refusé d’adopter le système des enseignants itinérants accompagnant les nomades et formant leurs enfants. Ainsi, peut-on imaginer le nombre d’enfants privés du droit élémentaire d’étudier. Dans ces conditions, avec cette population en grande majorité analphabète en français, la modernisation du secteur de l’élevage marque le pas.
L’éducation et la formation des enfants des éleveurs et des jeunes éleveurs constituent le premier défi que les pouvoirs publics continuent à ne pas suffisamment prendre en compte.
Dans le Dièri les populations d’éleveurs ont pris conscience de l’importance de l’école, elles se cotisent pour construire des écoles de fortune, recrutent des instituteurs qu’elles payent. Ce sont souvent des classes multigrades. L’État affecte peu d’instituteurs dans ces écoles.
La création du corps des instituteurs itinérants à l’image de certains pays du Sahel devrait permettre d’accélérer la scolarisation des enfants des éleveurs de même que l’affectation de Maitre formés à la pédagogie des classes multigrades dans les hameaux les plus reculés.
Le souci majeur des pouvoirs publics devrait être qu’aucun enfant de la République ne soit sans scolarité.
Cette question de la scolarisation des enfants concerne aussi les enfants des pêcheurs qui abandonnent très souvent l’école après le CM2.
L‘eau est une denrée stratégique pour l’éleveur.
L’État depuis les indépendances a construit beaucoup de forages cependant il reste encore dans certaines localités des efforts à poursuivre pour assurer un accès à l’eau.
Les éleveurs dans leurs pérégrinations avec leurs troupeaux sont confrontés à la distance à parcourir pour atteindre le forage le plus proche, à la cherté de l’eau qu’ils partagent avec les populations sédentaires et surtout dans certaines localités à l’interdiction d’accéder au forage.
La question de l’eau est sans doute l’une des questions les plus stratégiques dans le processus d’atteinte du bien-être de toutes les populations.
Elle est la clé pour la transformation de l’agriculture, de l’élevage et de l’aquaculture.
Pour les éleveurs, le règlement définitif de l’accès à l’eau pour tous les usages permettra de de développer la culture de récupération du fourrage durant l’hivernage, la culture de plantes fourragères, la stabulation du bétail et l’augmentation de la production laitière.
L’accès à l’eau va permettre de libérer les femmes de cette tâche très pénible pour leur permettre d’exercer des activités humainement plus enrichissantes.
La disponibilité de l’eau est donc un facteur important de fixation des populations d’éleveurs.
Pendant longtemps les éleveurs sont restés en marge des cadres de décision.
De plus en en plus, ils s’y intéressent. Fervents soutiens des pouvoirs en place, de plus en plus, les éleveurs ont des velléités de défiance, de défense de leurs intérêts et de manifestations publiques, et à haute voix, face aux injustices dont ils sont victimes.
Les pouvoirs publics devraient prêter plus d’attention à ces complaintes, à certains actes délibérés de violation des droits des citoyens, au règlement pacifique des différends entre éleveurs et cultivateurs, à l’arrêt définitif des exactions de certaines brigades de représailles contre les hameaux d’éleveurs, etc.
L’administration territoriale et les collectivités territoriales ont le devoir de veiller scrupuleusement à la stabilité dans tous les endroits du territoire national, au respect des droits des citoyennes et des citoyens et au règlement dans le cadre de la Loi des conflits inévitables entre éleveurs et cultivateurs.
Si les éleveurs ne sont pas toujours irréprochables, les cultivateurs aussi n’ont pas toujours raison.
Nous sommes en présence de deux communautés qui ont l’obligation de vivre ensemble, de s’aider mutuellement et dont les activités sont complémentaires. L’élevage enrichi les terres cultivables tandis que l’agriculture permet à l’élevage d’avoir des fourrages de qualité à la fin des récoltes.
Depuis les indépendances, les différents pouvoirs n’ont pas su résoudre la question des terres de pâturage qui sont considérées de facto comme des terres sans propriétaire. Ainsi se rétrécissent-elles chaque jour sous le coup de boutoir des champs, des projets publics et privés. Les éleveurs dépossédés, fatalistes, sont à chaque fois obligés de déménager avec leur troupeau sans indemnisation et sans accompagnement.
La question des terres de pâturage est un problème pressant qu’il faut résoudre définitivement pour un bon développement de l’élevage.
Le cas du Diael dans la région de Saint Louis est un exemple frappant de dépossession des terres par une entreprise avec le soutien des pouvoirs publics.
En revanche l’exemple du Ranch de Doli devrait être multiplié dans les grandes zones Sylvo-pastorales.
Comme l’alphabétisation pour toute la population sénégalaise, l’amélioration génétique des races animales, notamment bovines, est le point névralgique du développement et de la modernisation de l’élevage dans notre pays.
Il s’agit de l’autosuffisance en lait et en viande et de l’érection de l’élevage comme secteur majeur dans l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire et de sa contribution au produit intérieur brut.
La clef est une campagne nationale, entièrement subventionnée par l’État, d’insémination artificielle de toutes nos vaches dans une période de trois ans pour changer complètement la qualité et la quantité de la production laitière du pays.
Cette initiative nationale , supportée entièrement par les pouvoirs publics, aura pour conséquence l’accès de tous les enfants au lait frais, la fin des importations de lait en poudre, le développement de la chaîne de valeur du lait et l’exportation de produits laitiers.
Elle donnera l’opportunité aux familles d’éleveurs de devenir plus riches et à la jeunesse d’avoir envie de pratiquer un élevage plus attrayant et plus smart.
La question des terres concernent sur le littoral de la Grande Côte les éleveurs et les horticulteurs. Il s’agit des déplacements des populations pour l’exploitation du zircon et lorsque le moment de restauration des terres arrive, les habitants de ces terres ne les retrouvent plus, dépossédés qu’ils sont au profit de sociétés immobilières à l’affût. Il y a aussi le problème de la zone de restauration qui empêche la délivrance de titre de propriété sur cette zone.
Il y a quelques jours, à Sinthiou Mbadane Peul, à côté de MBour, un policier a tiré, dans sa case sur un jeune. L’émoi est grand face à un tel fait inacceptable.
Peu importe la raison.
Il devient urgent de prendre des mesures pour former les forces de sécurité et l’administration pour que de tels actes ne se renouvellent plus. Dans tous les cas une enquête rigoureuse doit être menée et les conséquences tirées pour apaiser et rassurer les populations.
En définitive, l’élevage est un secteur à très fort potentiel de développement. Il est capable, adossé à l’éducation, à la formation, à la science, à la technologie et à l’innovation, d’enrichir le Sénégal, les éleveurs et d’apporter une une contribution notable à l’éradication du chômage des jeunes.
Dans Sénégal de demain, l’élevage jouera un rôle déterminant dans la conquête de sa souveraineté alimentaire, dans la réalisation des espoirs de la jeunesse et dans la construction assumée d’un pays uni, pacifique, solidaire et heureux.
Louga, jeudi 12 janvier 2023
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