Afin de lutter contre les transferts illégaux d’électeurs, la loi exige la production d’un certificat de résidence pour l’inscription sur les listes électorales de certains citoyens. Le hic, c’est que les maires ou leurs délégataires chargés de les délivrer sont accusés de les instrumentaliser pour en faciliter l’obtention à leurs potentiels électeurs, en privant les adversaires des mêmes facilités.
Cela peut paraitre très anodin. En temps normal, il suffit de se rendre chez n’importe quel chef de quartier, de demander un certificat de domicile moyennant 200 F CFA ou moins, pour ensuite disposer facilement du certificat de résidence au niveau de la mairie où le contrôle est presque inexistant. Le document étant si banal que les maires ne s’en occupent que très peu. Souvent, ils délèguent cette compétence à des agents de moindre envergure.
Mais, en période d’élections, surtout territoriales, la donne change de façon radicale. Le banal document devenant très précieux. Pour beaucoup de maires, c’est la clé du succès. Moyen de transfert massif d’électeurs, le certificat de résidence peut aussi être utilisé pour empêcher les probables adversaires de s’inscrire sur les listes électorales.
Commune de Dakar-Plateau. La guerre fait rage. Déjà, certains partis de l’opposition accusent, à tort ou à raison, le maire Alioune Ndoye d’instrumentaliser ces titres pour empêcher certains électeurs d’en disposer en vue de leur inscription sur les listes électorales. Saisi, le gouverneur de la région de Dakar, dans une note circulaire en date du 3 août, avait enjoint les autorités qui s’adonneraient à de telles pratiques, d’y mettre un terme, car ‘’contraire aux principes qui fondent l’action publique’’. Laquelle se doit d’être ‘’générale et impersonnelle’’. Par la même occasion, l’autorité administrative invitait les parties au ‘’sens élevé des valeurs de la République pour un retour à l’orthodoxie administrative, en délivrant l’acte demandé par le citoyen dès que ce dernier satisfait aux conditions d’obtention prévues par les lois et règlements’’.
Interpellé, Déthié Faye renvoie aux articles L40 et L36 du Code électoral, qui fixent respectivement les conditions requises pour avoir droit au sésame et pour s’inscrire sur les listes électorales d’une commune (voir ci-contre). Il peste : ‘’Les choses sont très claires, aux yeux de la loi. Ce sont les maires qui, de façon discriminatoire, en usent et abusent, pour s’adonner à des transferts d’électeurs qui leur sont favorables, bloquer les autres qui ne leur sont pas favorables. Il faut que ça cesse.’’
De tout temps, la délivrance des certificats de résidence a revêtu des enjeux bien spécifiques, à la veille des élections, surtout locales. Même si, cette année, la question a atteint des proportions rarement égalées. Pour Déthié Faye, c’est que les enjeux sont ‘’exceptionnels’’ et qu’il y a un vent de changement qui fait peur aux tenants du pouvoir, aussi bien sur le plan local que sur le plan national. Pour lui, la solution serait de donner compétence à la police et à la gendarmerie de délivrer de tels actes.
‘’Je pense qu’on devrait permettre aux citoyens de pouvoir obtenir ces documents par la gendarmerie et la police. Ces administrations, si le document est faux, elles peuvent le détecter facilement. Je pense que c’est la meilleure solution. Le maire, lui, il est juge et partie. Tant qu’il aura l’exclusivité, il va en abuser’’.
Un moyen de transfert d’électeurs
Dans ses conclusions, la mission d’audit du fichier électoral avait pourtant fait des propositions concrètes dans le sens d’encadrer cette délivrance. En sa recommandation 30, elle préconise : ‘’Afin de circonscrire ces pratiques tendant à délivrer illégalement les certificats de résidence pour des besoins purement électoralistes, il est nécessaire de doter les Ceda (Commission électorale départementale autonome) des moyens de contrôle de la délivrance des certificats de résidence.’’
Loin de Dakar-Plateau, à Thiès, le maire Talla Sylla est aussi accusé d’instrumentaliser la loi pour empêcher les électeurs d’avoir le certificat de résidence, après une fermeture de 15 jours de l’état civil, en pleine période de révision des listes électorales. Pour Amadou Ba, responsable à Pastef/Les patriotes, l’édile de Thiès est coupable des mêmes ‘’excès’’.
‘’Pour les certificats de résidence, Talla Sylla refuse catégoriquement de les délivrer. Il renvoie systématiquement aux autres mairies des communes avoisinantes… Ces méthodes de punition collective des populations pour empêcher l’inscription sur les listes électorales, sont une politique officielle bénie par Macky Sall lui-même…’’. Il énumère les cas de Dakar-Plateau, Notto Diobass… ‘’Désormais, dit-il, il faut plus de pièces pour obtenir un certificat de résidence que pour avoir un passeport diplomatique’’.
Dans beaucoup de communes, aujourd’hui, les maires ont repris cette prérogative qu’ils avaient pourtant déléguée à d’autres agents. ‘’Dans la commune de Dey Ali où je me trouve actuellement, à 30 km de Touba, le maire avait confié cette tâche à une secrétaire. Mais avec la révision des listes, il l’a reprise. S’il n’y avait une volonté de manœuvrer, il l’aurait laissée à la même personne. C’est valable dans beaucoup de localités. Il faut que le président de la République et la Cena s’impliquent pour y mettre un terme avant qu’il ne soit trop tard’’.
Plateau botte en touche et accuse
En tout cas, au niveau de Dakar-Plateau où la polémique ne cesse d’enfler, les proches du maire Alioune Ndoye bottent l’accusation en touche et dénoncent une mauvaise foi des partisans de l’opposition.
Dans une tribune publiée il y a trois jours sur la page Facebook intitulée ‘’Jeunesse de Dakar-Plateau’’, Sélé Dièye rappelle à qui veut l’entendre. Membre de la cellule de communication du maire, il déclare : ‘’… Ceux qui ne comptent en réalité que sur la fraude et le transfert d’électeurs étrangers à la commune n’auront pas d’autre choix que le désistement. Ceux qui veulent se convaincre que les primo-votants sont leurs militants ; ceux qui affirment sans sourciller qu’ils entendent inscrire des jeunes, s’ils ne disent pas l’avoir déjà fait et qui comptabilisent toutes ces voix à leur compte, ne trompent personne sinon eux-mêmes.’’
A l’en croire, pour disposer du certificat de résidence, il faut impérativement remplir les conditions d’obtention prévues par les lois et règlements. Et de s’interroger : ‘’Y a-t-il un cas patent d’un citoyen ayant rempli les conditions et qui aurait vu sa demande refusée ? C’est justement cela qu’il suffit de démontrer…. Quant aux plaignants qui s’imaginaient avoir le droit de récuser la signature du maire, ils devront bien méditer le silence du gouverneur et celui du sous-préfet par rapport à cette question qui est pourtant la quintessence de leur lettre, et par rapport aussi à d’autres, comme la restitution aux officiers d’état civil le pouvoir de délivrer ce dit document’’.
Selon lui, les plaignants ont étalé à la face du monde leur totale ignorance des textes de la décentralisation. ‘’Parce que, souligne-t-il, l’officier d’état civil, c’est le maire ; il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer ses attributions à des profils indiqués ; mais il est constant que cette décision de déléguer ou pas ne dépend que de sa seule volonté. Et cela, ni le gouverneur ni le préfet ne peuvent la lui dénier, parce qu’il la tient de la loi (article 108 du CGCT)’’.
Ce que prévoit la loi
Aux termes de l’article L40 ancien du Code électoral, la commission administrative doit faire figurer sur la liste électorale les renseignements demandés par l’administration chargée de l’établissement des listes électorales et susceptibles d’identifier l’électeur. Il s’agit notamment des prénoms, nom, date et lieu de naissance, filiation, profession, domicile ou résidence de tous les électeurs.
L’alinéa 2 de l’article 1er précise : ‘’Pour toutes opérations au niveau de la commission administrative, si l’adresse domiciliaire qui figure sur la carte d’identité biométrique CEDEAO ne se trouve pas dans la circonscription électorale, l’électeur est tenu de prouver son rattachement à la circonscription par la production d’un certificat de résidence ou par la présentation de tout autre document de nature à prouver le lien avec la collectivité locale déterminée suivant les conditions posées par les articles L.36 et L.37 du présent code.’’
Il résulte de l’article L36 ancien que les listes électorales des communes comprennent : ‘’1) ceux qui y sont nés ; 2) ceux dont l’un des ascendants au premier degré y réside ; 3) tous les électeurs qui ont leur domicile réel dans la commune ou qui y résident depuis six (06) mois au moins ; 4) ceux qui figurent depuis trois (03) ans au moins sans interruption au rôle de la contribution foncière des propriétés bâties ou non bâties, entre autres.’’
Mais, dans les faits, force est de reconnaitre que la plupart des partis politiques, opposition comme pouvoir, manipulent les dispositions législatives, en vue de maximiser leurs chances de gagner dans certaines collectivités, par le mécanisme des transferts d’électeurs. Sauf que sur ce registre, les maires sortants partent toujours avec une nette avance.
MOR AMAR
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