En cette période des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre, l’heure est venue de dénoncer non seulement les violences physiques, mais aussi celles plus insidieuses, gravées dans nos lois et nos traditions.
Pour la petite histoire, depuis trois ans, dans une école de Kaffrine, des élèves de CM2 rêvent d’un voyage à Dakar. Mais ce rêve s’éteint, chaque année, devant une barrière administrative absurde : l’exigence de la signature exclusive du père pour autoriser le déplacement. Les mères, pourtant seules à assumer au quotidien l’éducation de leurs enfants, se heurtent à un mur. Un mur érigé par l’article 277 du Code de la famille sénégalais.
Cet article, ancré dans une conception dépassée de la parentalité, stipule que l’autorité parentale est exercée uniquement par le père en tant que chef de famille . Il constitue une forme de violence structurelle et légale envers les femmes. Une disposition qui, en 2024, fait l’effet d’une relique patriarcale dans un monde où les rôles familiaux ont profondément évolué.
Quand la loi devient un levier d’exclusion
En quoi cette loi, conçue pour encadrer la responsabilité parentale, sert-elle l’intérêt des enfants lorsque leur mère, présente, aimante, et investie, est réduite à l’impuissance par un texte rigide ? Comment justifier qu’un père absent physiquement, parfois émotionnellement, détienne un monopole sur les décisions cruciales concernant ses enfants ?
Dans le cas de Kaffrine, les élèves ont vu leurs sorties pédagogiques compromises par des pères absents, parce qu’ils sont à l’étranger. La police et l’administration scolaire, liées par l’interprétation stricte de l’article 277, refusent tout compromis. Le formulaire d’autorisation doit être signé par le père, accompagné de sa pièce d’identité originale, et certifié . Autant dire, pour ces familles, un parcours du combattant.
Des conséquences humaines désastreuses
Si les violences physiques et psychologiques dominent les débats, les violences institutionnelles restent souvent dans l’ombre. Pourtant, elles sont tout aussi destructrices, car elles privent les femmes d’un droit fondamental : celui de décider pour leurs enfants, même lorsqu’elles en assument l’entière responsabilité au quotidien. Ce texte de loi, sous couvert de protéger une supposée unité familiale, produit des fractures. Il marginalise les mères, pourtant premières actrices de la vie des enfants, et place les enfants eux-mêmes dans une situation d’injustice.
- Pour les mères, c’est une double peine : elles assument seules mais ne peuvent décider seules. Leur rôle se limite à celui d’exécutantes.
- Pour les enfants, c’est une privation d’opportunités essentielles : des sorties pédagogiques, des voyages scolaires, des activités qui construisent leur épanouissement.
- De manière générale, le déséquilibre de pouvoir au sein de la famille est renforcé , laissant la mère dépendante de la volonté ou de la disponibilité du père
Un pouvoir qui peut devenir un abus
L’article 277 n’est pas qu’un cadre légal dépassé. Dans certaines situations, il devient un outil d’abus. Combien de pères, après une séparation, refusent de signer des autorisations par pur esprit de revanche ? Combien d’enfants se retrouvent au cœur de conflits où le droit de grandir, d’apprendre et de découvrir est sacrifié sur l’autel de disputes d’adultes ?
La loi, au lieu de protéger, devient une arme. Une arme entre les mains d’un parent et une entrave pour l’autre. Est-ce cela, l’esprit de justice et de responsabilité que doit refléter notre Code de la famille ?
L’urgence d’une réforme
Ces 16 jours d’activisme nous rappellent que la lutte contre les violences basées sur le genre passe aussi par la réforme des lois injustes. L’article 277, loin de protéger les enfants ou de garantir la stabilité familiale, perpétue des inégalités criantes :
- Les mères sont dépossédées de leur rôle , malgré leurs implications au quotidien.
- Les enfants deviennent des victimes collatérales , prises en otage par des procédures administratives insensées.
- La société reste figée dans une vision de la parentalité incompatible avec les réalités de notre époque.
Plaider pour une réforme de cet article, c’est poser une question simple mais fondamentale : à qui sert cette loi ? Certainement pas à l’enfant. Définitivement pas aux mères. Et si elle confère un pouvoir au père, ce pouvoir est-il légitime lorsqu’il est exercé en dehors de l’intérêt supérieur de l’enfant ?
Une réforme s’impose. Il ne s’agit pas de priver un parent au profit de l’autre, mais de reconnaître une vérité simple : la parentalité est une responsabilité partagée. Des pays voisins et des systèmes juridiques plus modernes l’ont compris. Pourquoi le Sénégal s’accroche-t-il encore à cette vision archaïque, qui met à mal les familles au lieu de les protéger ?
Au-delà de la loi : un appel à l’équité
Repenser l’article 277, ce n’est pas céder à une revendication féministe ou céder aux pressions des ONG. C’est un impératif de justice. C’est reconnaître que, dans une société où les mères portent une part écrasante du poids familial, elles méritent également une voix, une reconnaissance légale de leur rôle.
Parce qu’une loi qui divise au lieu de rassembler, une loi qui entrave au lieu de libérer, n’a pas sa place dans un Code de la famille qui se veut moderne. Parce qu’un enfant a le droit d’avoir deux parents responsables, pas un qui décide et l’autre qui subit.
Conclusion : bâtir un avenir équitable
L’histoire des élèves de Kaffrine est une tragédie silencieuse, mais elle révèle une vérité bruyante : le Code de la famille sénégalais a besoin d’être réformé. L’autorité parentale ne doit plus être un pouvoir exclusif, mais une responsabilité partagée.
En attendant, chaque enfant qui reste à quai, chaque mère impuissante devant une signature manquante, est une preuve vivante que l’article 277 est un frein, pas une protection. Et si la loi devait évoluer, ce serait pour que l’amour et la responsabilité soient au cœur de chaque décision parentale, ensemble, et non pas en opposition.
Astou Thiam
Dakar, le 2 décembre 2024
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