Les élites africaines ont remplacé les négriers et autres « apôtres » concubins de la politique. Elles ont toujours tiré profit de la détresse et de la candeur de leur peuple. Elles n’ont jamais cherché à amener les masses vers la lumière, vers un humanisme affranchi de tout obscurantisme et de tout calcul mercantile. Nous n’avons pas inventé la démocratie, mais nous l’avons apprivoisée à des fins antihumanistes. Nous n’avons pas non plus inventé les religions révélées, mais nous en avons fait un succédané des pires entreprises d’exploitation de l’humain et de l’humanité en nous.
La politique sert une minorité, et n’a d’autres orientations que la prise en charge des problèmes ponctuels.
Aucune vision prospective, aucune planification typiquement locale à long terme, aucun souci de transformation structurelle de la société. Les rois qui vendaient des esclaves ont réussi à mouler nos mœurs dans le mépris de soi : c’est le même principe qui est perpétué aussi bien dans la sphère politique que dans celle religieuse. L’exemple de Mamadou Dia est illustratif du complot qui se joue contre les biens et les intérêts du peuple. Ce grand monsieur défendait les intérêts du peuple, il voulait faire payer aux députés et aux débiteurs occultes leurs dettes, il voulait mettre fin aux privilèges
accordés sans raison à des minorités et on l’a trahi. Cheikh Anta Diop a connu le même sort : ostracisé et mis en mal avec les élites maraboutiques, son discours était devenu inaudible, même parmi les intellectuels.
Les élites religieuses (toutes religions confondues) ont travesti l’essence de la foi, ils l’ont sécularisée et réduite à un ensemble de stratagèmes pour le salut terrestre. Et que je dis salut terrestre, ne croyez surtout pas qu’il s’agit de celui des fidèles : il s’agit bien et exclusivement du salut des élites. Le culte à ciel ouvert n’a jamais développé un pays. Le nombre de fêtes religieuses dans les pays africains est irrationnel, déraisonnable et fortement suspect. La religion, telle qu’elle est pratiquée en tout cas dans nos pays, ne peut pas développer nos sociétés. Une société se développe d’abord par la foi au premier cadeau que Dieu a fait à l’homme : la raison. Une religion qui étouffe ou congédie la raison n’est pas humaniste.
Nous ne sortirons jamais des ténèbres sans une critique sans complaisance de notre « religiosité ». Nous ne sortirons jamais de l’esclavage, car nous sommes encore doublement esclaves ou esclaves d’autres esclaves.
Nos sociétés ont besoin d’être reformées en profondeur. Nous n’irons nulle part avec nos mœurs politiques et religieuses actuelles. Notre hypocrisie nous tuera, notre torpeur intellectuelle nous enchaînera davantage dans la pauvreté, notre peur de regarder la réalité en face et de prendre notre destin en main nous damnera éternellement. Il est temps, pour nous, de penser à la communauté et de dépasser nos mesquines individualités. Ce n’est pas acceptable que dès qu’un citoyen accède à un poste, son premier réflexe soit de distribuer des prébendes aux siens et à des élites qui n’en ont aucun droit. Ce n’est pas acceptable que le rêve de tout intellectuel se résume à un mot : nomination ! Il faut abolir la culture de la rente, il faut se battre pour que la religion et la politique ne soient plus des espaces de rentes. Il nous faut une révolution culturelle pour sortir notre
peuple de cette situation qui n’est ni esclavage ni souveraineté. La peur inhibe ; la croyance, quand elle n’est pas réfléchie, aliène l’homme : nous devons renaître si nous ne voulons pas mourir.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal
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