La démocratisation des espaces politiques de l’Afrique francophone avait soulevé d’immenses espoirs auprès des peuples africains. Tout laissait penser que, corrélativement à l’ouverture du grand chantier qu’est l’édification de l’État de droit, ils allaient, enfin, satisfaire leurs attentes ratées par l’accession à l’indépendance. Celles-ci étaient posées en termes de souveraineté nationale, de croissance économique et de redistribution équitable des ressources.
À la faveur de cette ferveur intrinsèque à cette bourrasque politique que fut la démocratisation, la tenue de conférences nationales par-ci et d’élections libres par-là fut accueillie avec un enthousiasme débordant. Même le coup d’État, perpétré au Mali, par Amadou Toumani Touré bénéficia d’une bienveillante attention.
Le rêve était d’autant plus permis que la perspective de l’enterrement au premier plan des autoritarismes politiques était à la fois le gage de l’expression plurielle et la garantie de la satisfaction des droits essentiels, tels que formulés dans les nouvelles constitutions désormais estampillées républicaines.
Mais, une trentaine d’années après la sommation de la Baule, le désenchantement est devenu presque total, comme en atteste la nature des contradictions qui, présentement, structurent l’espace politique de l’Afrique francophone.
Édifiante, à ce sujet, est la trajectoire empruntée par le Mali au cours de ces trois dernières décennies.
Au lieu de revenir ici sur le cours tumultueux qui a prévalu au Mali depuis l’avènement du Général Amadou Toumani Touré, nous mettrons plutôt l’accent sur les espoirs suscités par l’élection de Ibrahima Boubacar Keita. L’enthousiasme avec lequel les Maliens s’étaient rendus aux urnes, lors du premier scrutin post crise de 2013, laissait entrevoir l’ouverture de nouveaux horizons. Mais, l’escalade de la guerre du Nord conjuguée avec la récession économique et le bras de fer avec les forces coalisées dans le M5 et le Président en exercice offrirent aux militaires, comme par rituel, l’opportunité de revenir au Palais de Koulouba. Ainsi, en août 2020, Bah Ndaw s’est vu confier la transition, avant d’en être évincé par son vice-président, le Colonel Assimi Goïta.
En Guinée, le 5 septembre 2021 un détachement de l’Armée, dirigé par un membre des unités spéciales, Mamadi Doumbouya mit un terme au pouvoir dictatorial d’Alpha Condé. La junte au pouvoir justifiera son acte par « la situation sociopolitique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la, justice, le piétinement des droits des citoyens, la pauvreté et la corruption endémique ».
Comme une épidémie, le Burkina Faso vivra un coup d’Etat…à la malienne.
En janvier 2022, le Président élu, Roch Marc Christian Kaboré, est renversé par Paul Henri Sandaogo Damiba, lequel sera destitué, au mois de septembre de la même année, par le jeune capitaine Ibrahima Traoré.
Le syndrome des coups d’État militaires franchira les frontières de ce pays pour faire du Niger son théâtre d’opération. Un coup de force avec toutes les apparences d’un coup de théâtre si l’on considère que Mahamadou Issoufou, le prédécesseur de Mohamed Bazoum, le Président renversé, avait posé un acte majeur donnant le sentiment que, au moins, au Niger, l’État de droit était profondément ancré. Alors que dans la sous-région la quête du troisième était la forfaiture républicaine la plus partagée, Mahamadou Issoufou s’en était proprement démarqué faisant, du coup, montre d’une lucidité politique et d’un esprit républicain dont l’exemplarité a été magnifiée ! Toutefois, sur toile de fond de multiples contradictions, la tentative de coup d’État, jugulée en 2015, puis en 2022, a fini par réussir en juillet 2023. La junte militaire porta, à la présidence de l’Exécutif nigérien, le Général Abdourahmane Tchiani, Commandant de la garde présidentielle.
Pratiquement, un mois après, jour pour jour, le nouveau syndrome de coup de force militaire déborda l’espace ouest- africain pour élire domicile au Gabon sur lequel a régné la dynastie des Bongo depuis 1967. Ainsi, le 30 aout, dans un contexte marqué par de fortes protestations contre la réélection de Aly Bongo, le Général Brice Oligui Nguema, lui aussi ancien Chef de la garde présidentielle, prit la tête de l’Exécutif gabonais.
Ces juntes militaires, une fois au pouvoir, rencontrent de sérieuses difficultés pour tenir leurs promesses faites à leurs concitoyens. Économiquement, les sanctions, qui leur sont appliquées par les organisations sous-régionales voire par la Communauté internationale, réduisent drastiquement leur marge de manœuvre. Au niveau politique, elles sont souvent vivement contestées par des partis politiques et des organisations de la société civile qui leur reprochent, en plus de suspendre les libertés publiques, de se presser lentement pour réunir les conditions de retour à l’ordre constitutionnel. Dans un pays comme le Mali, le M5 donne le sentiment que les militaires lui ont presque usurpé le pouvoir. Enfin, au Burkina Faso et au Mali, des voix regrettent le bilan sécuritaire mitigé, alors que les militaires avaient fait de l’anéantissement des djihadistes un de leurs objectifs principaux.
Les autres pays de l’espace africain francophone, pour être encore gouvernés par des civils, n’en sont pas, pour autant, des terres d’ancrage des principes républicains. Au Cameroun, tout comme au Congo, sous l’apparent immobilisme politique, des contradictions grosses de tous les dangers couvent. Notamment, le pays d’Ahidjo, qui, en plus d’être confronté à la crise anglophone, est interpellé sur la délicate équation de l’après- Paul Biya, avec la rumeur de faire monter au Sommet son fils, Frank Biya.
Au Tchad, au lendemain de l’intronisation de Mahamat Idriss Deby, à la suite du décès de son père, en avril 2021, la question de la stabilité du pouvoir demeure à l’ordre du jour. Les manœuvres pour la pacification de l’espace politique sont compromises par les rebelles du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT) et la dynamique contestataire portée par les Transformateurs sous la direction de Succès Masra.
Même un pays comme le Sénégal, pendant longtemps crédité du statut flatteur de vitrine de la démocratie en Afrique, n’est pas épargné par les zones de turbulence. Le Président Macky Sall, après avoir réitéré à maintes reprises son engagement à s’en limiter à deux mandats, avait fini par servir à ses compatriotes un flou artistique par son « ni oui ni non ». Si on ignore quel désordre aurait résulté d’une déclaration ” prématurée” de sa renonciation au troisième mandat on sait, en revanche, que son teaming choisi pour annoncer son attachement au code d’honneur a exposé le pays à pas mal de périls.
Des violences d’une rare intensité avec mort d’hommes, accompagnées de pillages et d’actes de vandalisme de sites du savoir, avaient, à partir de 2021, infecté le quotidien des Sénégalais. Présentement, l’embastillement de Mr Ousmane Sonko, suivi de la dissolution de son parti, au terme d’un processus rocambolesque et la nature des contradictions qui structurent les rapports entre la F24 (coalition de partis politiques, d’organisations de la société civile et de personnalités indépendantes) et la mouvance présidentielle témoignent de l’état grippal du système politique sénégalais.
En tout état de cause, la situation asphyxiante, qui prévaut dans l’espace de l’Afrique francophone, atteste du fait que, pas plus que les drastiques Politiques d’Ajustement Structurel, la démocratisation n’a pas mis un terme au mal-être des Africains. Et les peuples sont d’autant plus déroutés que les bailleurs de fonds ne se focalisent que sur le taux de croissance, au moment où la paupérisation se développe de manière vertigineuse.
Le malentendu découle du fait que les peuples africains s’attendaient à l’amélioration qualitative de leurs conditions d’existence, alors que la démocratisation reste plutôt une panacée imposée par les bailleurs de fonds aux États africains, empêtrés dans le bourbier du totalitarisme politique et de la gabegie économique.
Par une approche fortement imprégnée de l’ultralibéralisme, Paris avait érigé l’instauration de l’État de droit en conditionnalité. Mais, cette stratégie s’est avérée progressivement anachronique dans un contexte où la complexité de la mondialisation permet de trouver des partenaires qui ont fait du formalisme démocratique le cadet de leur souci. Avec cette nouvelle donne, s’amorce une reconfiguration qui emporte le pré carré français.
Il est révélateur, à ce sujet, que des coups d’État ont été perpétrés au nez et à la barbe des Français. Bien plus, ces coups de force ont été accompagnés par de virulentes manifestations d’hostilité contre l’ancienne puissance coloniale, avec parfois -signe des temps- des drapeaux russes ! Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, les militaires français ont été mis en demeure de plier armes et bagages.
Il se laisse à voir que le mal-être des Africains persiste. Toutefois, au regard des capacités de résilience dont les peuples ont toujours fait montre, l’espoir est permis. Aussi revient-il aux élites africaines de bien se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain. Il leur incombe de repenser le projet démocratique en le délestant de la perspective néolibérale qui a, jusqu’ici, présidé à sa tentative de greffage en Afrique francophone. Sous ce rapport, leur mission est de favoriser l’émergence d’une véritable citoyenneté dont la vertu est de donner de la vitalité à l’État de droit et d’insuffler l’âme républicaine aux institutions.
Auteur, entre autres, de L’espace politique de l’Afrique francophone, en question (25 ans après le Sommet de la Baule), Paris, édition L’harmattan, 2017.
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