La tromperie chez les politiciens (Par Pape Sadio Thiam)

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Quand un politicien dit « personne ne peut tromper le peuple », c’est qu’il est en train non seulement de le tromper, mais d’effacer les preuves de sa tromperie. Il y a dans la communication politique quelque chose de fortement similaire à la conquête d’une femme par un gentleman. Quel homme est assez masochiste ou maladroit pour ne pas faire croire à la femme convoitée qu’elle est sans doute la plus difficile qu’il a eu à rencontrer dans son expérience, qu’elle est aussi mûre que belle et d’autres facéties de ce genre ?

En cherchant à persuader le public qu’il n’est guère la proie de la propagande des politiciens, on fait d’une pierre deux coups. D’abord on se présente comme son ami, celui qui le respecte et qui n’a aucunement envie de lui mentir, de se mettre dans la peau de l’innocent à qui il ne traverse même pas l’esprit de chercher à manipuler le peuple. Ensuite on dresse le peuple contre ceux qui sont tacitement ou même explicitement désignés comme de potentiels manipulateurs. Les hommes politiques qui adoptent le plus cette stratégie sont : Seydou Gueye, Bassirou Diomaye Faye, Ousmane Sonko, Barthélémy Diaz, Mame Mbaye Niang, Serigne Mbaye Thiam. Leur art de la persuasion est de loin leur arme politique la plus efficace.

La première sortie de Seydou Gueye au soir de la victoire de Macky sur Wade a révélé aux observateurs sa prétention à changer des pierres en pain, pour employer un langage biblique. Il n’a pas hésité à mettre une relation entre l’élection de Macky et la fine pluie (hors-saison) de ce soir-là. Il savait parfaitement que c’est un phénomène climatique qui s’explique par des causes purement naturelles et même banales. Mais il ne pouvait pas se permettre de rater cette occasion de faire un détour dans l’inconscient collectif du peuple pour en faire une exploitation politique : la mythologie est un des piliers essentiels de la propagande de masse. Faut-il rappeler d’ailleurs que le mystique et le mysticisme jalonnent la marche de tous les grands hommes de l’histoire ?

Bassirou Diomaye Faye excelle quant à lui dans l’art de projeter sur le journaliste ses propres faiblesses ou angoisses : il n’hésite pas à prendre la place de l’intervieweur et de mettre le journaliste dans la posture de celui qui doit se défendre ou s’expliquer sur son ignorance coupable d’une évidence. Cette tactique consiste à susciter la culpabilité chez son interlocuteur : on feint d’être étonné qu’il ne soit pas au courant de ceci ou cela, de ne pas penser comme on veut qu’il pense ! Qui ne se rappelle le jour où il voulait faire accepter à Maimouna Ndour Faye que Sonko a été le seul et premier homme politique à récolter un peu plus de 15% des votes lors de sa première participation à une élection présidentielle ? Et quand la journaliste lui a rappelé que Moustapha Niass avait fait mieux, il persista dans son scepticisme et son étonnement. Comment pouvait-il ignorer à ce point l’histoire électorale de notre pays et feindre d’être si persuasif ?

Ousmane Sonko est aussi une parfaite illustration de l’art de la communication politique qui prend les habits d’une science voire d’une religion. La prestance physique de Sonko est en soi un argument, mais les communicants du Pasteef en ont fait un intrant essentiel dans leur stratégie de communication. La sanctification d’une image, d’un symbole se fait à travers l’omniprésence de la figure, l’identification du personnage avec des éléments de langage empruntés à la religion. La pureté, la mythification, le dévouement aveugle de ses partisans, une liturgie laïque consistant à entourer le personnage de toutes les qualités propres aux saints et aux héros et en décrétant qu’il est par nature hors forme de souillure.

La symbolique en politique est un puissant levier de communication, car elle agit plus qu’elle ne parle ; elle persuade avant et au lieu de démontrer ou d’argumenter. La symbolique est en communication politique une tentative de faire descendre le Ciel sur la terre, d’élever l’homme au statut d’un « idole ». La symbolique est une fétichisation d’un homme par des paroles, des images, des représentations. Tous observateur remarquera que le personnage de Barthelémy Dias est travaillé pour renvoyer constamment à la virilité politique : il symbolise le courage même pour dire ou faire les choses les plus ordinaires. Aucun journaliste n’a jamais réussi à imposer à Barth une logique de communication : il impose toujours l’orientation de l’interview qu’il accorde. Il y a une autre forme de communication dans l’espace public sénégalais qui consiste à noyer ses interlocuteurs.

Le souci de la vérité et du sens n’est ici pris en compte. Débattre avec de telles personnes n’est pas chose aisée, car sans être forcément cohérents et profonds dans leurs analyses, ils ont la manie de captiver l’attention et du public et de leurs interlocuteurs. L’obstruction et la carricature de ses adversaires permettent de les disqualifier dans un débat, des sorte que ces derniers investiront plus d’énergie et de temps à déconstruire ce mur d’obstruction qu’à exposer clairement leurs idées. Le spécialiste de cette forme de communication est sans aucun doute Serigne Mbaye Thiam : pour un détail insignifiant, ils peut en faire un scandale ou pour en noyer un autre. Lorsque le problème du verdict de le Cour suprême à propos des enseignés exclus pour raison de fraude a secoué l’Assemblée et les chaumières, il a réussi à renverser la culpabilité. Aucun fondement juridique ne pouvait justifier son refus d’appliquer la décision de justice, mais il a réussi à faire oublier cette faiblesse de sa position en concentrant tout le débat sur les pratiques de fraudes présumées et leur impact absolument nocifs sur le système éducatif.

La communication politique aujourd’hui n’est pas très éloignée de la mise en scène : l’homme politique doit avoir certaines aptitudes de comédien. L’expression consacrée « mentir vrai » le prouve largement. L’homme politique doit savoir jouer sur le registre des émotions telles qu’elles peuvent être exprimées non pas seulement par le langage articulé (qui est souvent insuffisant à le faire d’ailleurs) mais aussi par son propre corps. Alors qu’on s’attendait à le voir abattu, triste, exaspéré, angoissé, il doit réussir à apparaître sobre, réfléchi (digne même dans la tristesse), mentalement et physiquement solide. Aussi le deuil, la joie, la colère, etc. de l’homme politique sont-ils des moyens de lui sculpter un personnage conforme aux aspirations et aux représentations du public. Comme l’acteur, l’homme politique doit s’incarner admirablement dans les différents rôles que son personnage est appelé à jouer.

L’essentiel, avait énoncé Machiavel, ce n’est pas ce qu’il est, mais ce qu’il paraît être, car la plupart des hommes savent voir mais rare savent tâter. Si vous n’êtes pas capable de verser de larmes alors que vous n’êtes pas tristes, c’est que les chemins de la politique sont très compliqués pour vous. Si vous n’êtes pas capable de sourire alors que la peur d’aller en prison ou de perdre vous ronge intérieurement, écarter-vous des chemins de la politique. Si vous n’êtes pas capable de compatir avec votre pire ennemi (alors que son malheur vous est manifestement profitable), c’est ce que vous trop sérieux pour vous aventurer en politique. Communiquer efficacement en politique ce n’est ni dire la vérité, d’être toujours vertueux, ni même d’être brillant : c’est de savoir agir sur les masse.

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