« Défendre projet bi », « Gueum projet bi ». Wade avait son « Sopi », un mot devenu à lui seul, une tradition politique. Ousmane Sonko, quant à lui, a créé une culture avec ce mot de « Projet » : il est évidemment plus facile de retenir un mot et de le proposer comme réponse à toutes interpellations. C’est une stratégie simple, mais avec plus de résultats que toutes les théories développées dans les instituts de communication par les communicants professionnels, qui passent très souvent à côté de l’essentiel.
Car l’essentiel dans la communication politique, n’est pas le sens intrinsèque du message, c’est plutôt ce qu’il suscite comme pathos et comme ethos. Il est donc impératif, pour plus d’intelligibilité de la dynamique de Pastef, de s’interroger que les leviers communicationnels qui ont permis à cette formation politique, en un temps record, d’amener pratiquement toutes les couches de la société à s’approprier aussi largement ce projet.
Le matérialisme dialectique nous a suffisamment fourni d’arguments probants là-dessus : tout changement qualitatif a pour point de départ objectif, une transmutation quantitative de la réalité dont il est par ailleurs le résultat. Plus un fait, un objet ou un mot est usité par le plus grand nombre, davantage les individus isolés ont confiance en sa véracité en sa légitimité et en sa pertinence. Le Projet est un mot magique en ce qu’il exempte de la nécessité et de sacrifier à l’exigence de réfléchir et d’argumenter face aux intellectuels de vocation, dont la pugnacité est un véritable plomb dans les ailes de l’homme politique en général.
L’on se rappellera l’effet fureur qu’a été cette vidéo de ce charretier qui circule sur le net et où le cocher y va avec sa théorie d’autant plus efficace qu’elle est simple et affilée : « projet bi gnete beugou gnouko : nitt kou dioubadi, sathi bi nek ci ngour gi beug rawale xaalissam ak ku beugoul reew’am ». Cette vidéo est révélatrice de l’appropriation du projet de Pastef par les populations, toutes couches confondues.
Quand, le 18 octobre 1806, le jour où Léna fut occupé par les Français, Hegel vit Napoléon sortir de la ville pour aller inspecter ses troupes victorieuses, il pondit sa célèbre et énigmatique formule : « J’ai vu l’Empereur, cette âme du monde-sortir de la ville pour aller en reconnaissance; c’est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine… tous ces progrès n’ont été possibles que grâce à cet homme extraordinaire, qu’il est impossible de ne pas admirer».
On pourrait aujourd’hui le parodier, en affirmant sans risque de se tromper que l’âme du champ politique sénégalais aujourd’hui, est assurément le projet incarné par Ousmane Sonko. On peut ne pas partager les idées exposées dans ce fameux projet, on peut même penser qu’elles n’ont ni originalité ni pertinence au regard des défis qui nous interpellent, mais personne ne peut douter de la fécondité du projet lui-même. C’est tellement vrai qu’on pourrait ici évoquer l’allégorie du contenant et du contenu : un groupe d’hommes qui meurent de soif et qui aperçoivent à quelques mètres d’eux, un bocal en or, se précipiteraient à le ramasser non pour étancher leur soif, mais pour la valeur marchande du récipient.
Le contenu est certes plus vital que le contenant, mais celui-ci est plus important au regard de ce qu’il peut générer en termes de revenus, qui pourraient racheter indéfiniment le contenu. Ceux qui continuent à exiger des membres du Pastef qu’ils éclaircissent le concept de Projet, ne se rendent pas finalement compte de la vanité de leur demande, mais de son effet contre-productif pour eux : ils deviennent par leur demande, la caisse de résonnance ou l’amplificateur sono de l’effet « Projet ».
Pape Sadio THIAM
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