gouvernement a annoncé, le jeudi 13 juin 2024 une baisse des prix des produits de grande consommation. Les nouveaux prix seront effectifs à partir du lundi 24 Juin. Nous voyons à travers les sorties des boulangers et des meuniers que l’application de ces mesures pourrait avoir un impact négatif sur la santé financière de ces entreprises. L’État fait très certainement beaucoup d’efforts en réduisant certaines taxes, telles que la TVA sur la farine, les taxes douanières sur le riz et l’huile, ou encore la suppression de la parafiscalité sur le ciment, mais ces mesures posent plusieurs problèmes.
Le premier problème concerne l’immédiateté de l’application de ces réductions. Un boulanger, un meunier ou un importateur de riz doivent nécessairement constituer des stocks pour assurer la pérennité de leur activité. Comment leur demander d’appliquer ces baisses de tarifs sur des produits achetés avant la diminution des taxes par l’État ? Un délai de transition est donc nécessaire entre la mise en œuvre des efforts par l’État et la réduction effective des prix. Les anciens stocks doivent pouvoir être écoulés même si on sait que cela ouvre la porte à des fraudes potentielles.
De plus, ces mesures ne sont pas structurelles. Sous les présidences de Macky Sall et d’Abdoulaye Wade, nous avons eu le temps de constater que de telles décisions sont avant tout des moyens de communication coûteux pour l’État mais efficaces, visant à apaiser temporairement les tensions sociales. Les prix remontent presque systématiquement après quelques mois. En novembre 2022, le Président Macky Sall avait pris plusieurs mesures pour réduire le coût de la vie, fixant le prix du riz brisé à 325 FCFA le kilogramme. Dix-huit mois plus tard, ce prix est à 450 FCFA, et la réduction actuelle le ramènera à 410 FCFA.
Nous pourrions passer du temps à énumérer ce qui ne fonctionne pas dans cette approche populiste héritée de notre premier régime libéral, mais il y a plus grave. Cette baisse des prix est l’arbre qui cache la forêt. Il ne s’agit pas d’une bonne nouvelle pour Gorgorlou, mais plutôt de l’annonce de la mise en branle d’une politique qui mènera inévitablement à l’augmentation généralisée des prix. Les tensions économiques et donc sociales sont devant nous.
Pourquoi cette crise inflationniste ?
Le 26 juin 2023, le Conseil d’administration du FMI a approuvé une Facilité Élargie de Crédit (FEC) et un Mécanisme Élargi de Crédit (MEC) d’un montant de 917,5 milliards de FCFA, ainsi qu’une Facilité pour la Résilience et la Durabilité (FRD) d’un montant de 198,1 milliards de FCFA avec le Sénégal, soit un total de 1 115 milliards de FCFA. Le FMI a ainsi consenti à prêter à l’État sénégalais un montant équivalent à 18% de son budget annuel, dépassant de loin les 1 000 milliards du fonds Covid.
« Le programme soutenu par le MEC/FEC est censé aider le Sénégal à répondre aux besoins prolongés de balance des paiements et à remédier aux déséquilibres macroéconomiques. » En d’autres termes, le FMI considère que l’État sénégalais n’est pas un très bon gestionnaire et a décidé de l’aider à assainir ses comptes en contrepartie d’efforts budgétaires.
En bon créancier, le FMI n’a pas déboursé la totalité de la somme immédiatement. Un premier versement de 132 milliards a été effectué à la signature, les autres versements suivent un échéancier et sont conditionnés par les efforts d’assainissement budgétaire de l’État du Sénégal.
Quels sont les conditions fixées par le FMI ?
Le FMI considère depuis longtemps que l’État du Sénégal vit au-dessus de ses moyens, avec un déficit qui a culminé à 6,5% en 2020 et qui est aujourd’hui à 5,1% alors que le Sénégal avait prévu 4,9% pour l’année 2024. Le seuil attendu par l’UEMOA est de 3% à l’horizon 2025. Pour réduire ce déficit, on aurait pu naturellement penser à la réduction du train de vie de l’État, par exemple en diminuant la lourde masse salariale de 1 000 milliards de FCFA via une rationalisation des agences et des directions. Mais le FMI a choisi de s’attaquer à quelque chose de plus essentiel : les subventions à l’énergie.
Il faut savoir que ces subventions représentent l’équivalent de plus de 4% de notre PIB. En 2023, l’État a subventionné l’électricité, l’essence, le gasoil et le gaz butane à hauteur de 804,5 milliards de FCFA, avec une subvention de l’électricité de 279,8 milliards de FCFA et des produits pétroliers et du gaz de 524,7 milliards de FCFA. Pendant ces deux mandats, le Président Macky Sall n’a pas hésité à recourir à la dette pour financer notre déficit.
En souscrivant à ce prêt avec le FMI, le Président Macky Sall a finalement décidé de se plier à l’injonction du FMI de supprimer totalement ces subventions à l’énergie. Vous avez bien compris, on ne parle pas de réduction de la subvention mais d’une suppression totale. L’horizon de cette suppression est l’année 2025.
Depuis 2023, le Président Macky Sall a commencé le réajustement des prix de l’électricité et de l’essence. Les usagers s’en sont rendus compte dans leurs factures Senelec. Les services du FMI ont effectué deux visites de revues au Sénégal depuis l’accession au pouvoir du Président Diomaye pour valider que celui-ci mettait en œuvre le plan signé avec Macky Sall. Le Président Diomaye Faye a donné tous les gages nécessaires. « La feuille de route pour la suppression des subventions dans le secteur de l’énergie à l’horizon 2025 » sera bien appliquée par le Président Diomaye Faye. Elle est d’ailleurs disponible sur le site du ministère des Finances et du Budget (Voir lien ci-dessous).
Quelles sont les impacts concrets de cette feuille de route ?
La mise en œuvre de cette feuille de route a commencé depuis 2023, avec l’augmentation des prix de l’essence super, du diesel et de l’électricité sur les tranches au-dessus de la tranche sociale.
Sur l’électricité
Une augmentation du prix de l’électricité de 41,3% pour les clients basse tension (donc nous les citoyens) et de 43,5% pour les clients hautes tensions. Le prix du KWH d’électricité passe de 115,35 FCFA à 162,95 FCFA.
Un usager qui payait une facture de 50 000 FCFA d’électricité devra payer 70 650 FCFA.
Un client haute tension comme la Sococim qui avait payé une facture d’électricité de 14,2 Milliards en 2022, devra payer 25,2 milliards FCFA en 2025 avec la même consommation.
Sur l’essence et le gasoil
Chaque litre de gasoil vendu coûte 448 FCFA au Trésor public, contre 192 FCFA pour chaque litre de super. La suppression des subventions entraînera une hausse significative des prix de ces carburants.
Une inflation des prix sans précédent
Les conséquences peuvent être terribles. Une augmentation aussi drastique des prix de l’électricité, des produits pétroliers et du gaz entraînera de facto une augmentation des coûts des denrées de première nécessité. Une inflation comme le Sénégal en a rarement connu est à prévoir. Le FMI et la Banque mondiale en sont conscients. Le rapport de la banque mondiale sur situation économique du Sénégal de Juin 2024, indique que « le mécontentement social, qui pourrait résulter de la suppression progressive des subventions à l’énergie, et l’incertitude politique pourraient compromettre l’assainissement budgétaire envisagé. » Des tensions sociales que devront gérer le Président Diomaye FAYE et le premier ministre Ousmane SONKO.
Une déstructuration de notre tissu industriel
J’ai étudié la consommation énergétique des 12 clients « Haute Tension » de la Senelec de 2019 à 2022. Voici quelques exemples de variation de la facture électrique de ces entreprises :
– SOCOCIM, avec une facture passant de 14 milliards en 2022 à 25 milliards pour la même consommation.
– FABRIMETAL Sénégal, avec une facture passant de 7,6 milliards en 2022 à 13,5 milliards pour la même consommation.
– Sen-Eau et l’usine KSM3, avec une facture passant de 10,7 milliards en 2022 à 19 milliards pour la même consommation.
– Le TER, avec une facture passant de 1,3 milliard en 2022 à 2,4 milliards pour la même consommation.
– Les ICS, avec une facture passant de 648 millions de FCFA en 2022 à 1,1 milliard de FCFA pour la même consommation.
En résumé, les entreprises les plus compétitives du Sénégal, telles que Sococim, Fabrimetal et ICS, verront leurs factures électriques augmenter de 43%, impactant automatiquement le prix du ciment, de l’engrais et des métaux. Ces entreprises, étant parmi les seules à exporter et évoluant dans des secteurs hautement concurrentiels, verront leur compétitivité sévèrement affectée.
De plus, le secteur du transport ferroviaire, avec le TER, et notre société des eaux risquent également d’être impactés. Quels domaines seront donc épargnés ? Il faut aussi considérer que la facture électrique ne constitue qu’une partie des dépenses énergétiques de ces entreprises. Le groupe Sococim dépense des milliards chaque année pour transporter le ciment entre le Sénégal et le Mali. Les impacts liés à l’augmentation du prix de l’électricité s’ajouteront à ceux liés à la hausse du prix de l’essence.
Nos champions nationaux devront donc augmenter leurs prix pour survivre, ce qui affectera le niveau de vie des citoyens et mettra en péril leur capacité à conserver les marchés dans la région sous-régionale et à en conquérir de nouveaux. Certains pays de la CEDEAO et même de l’UEMOA présentent des coûts énergétiques beaucoup plus favorables, créant de réels risques pour l’avenir de nos entreprises et/ou des risques de délocalisation pour certaines d’entre elles, comme Fabrimetal du groupe MMD.
Des mesures d’accompagnement et d’atténuation sont prévues dans la feuille de route mais elles ne sont pas dimensionnées pour absorber un choc national d’une telle ampleur.
Une vulnérabilité aux chocs énergétiques
Les présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall ont dû faire face à de nombreuses crises (chocs pétroliers, guerres, pandémie…) entraînant des crises énergétiques à l’échelle mondiale. Ces chocs ont été relativement bien encaissés grâce à la subvention énergétique. Avec la suppression de cette dernière, les variations mondiales des prix de l’énergie auront un impact direct sur le porte-monnaie des citoyens et sur nos entreprises qui sont souvent vulnérables.
Quelles sont les solutions envisageables
Ce long texte ressemble à une ode à la subvention ou à la vie sous perfusion mais Il souligne tout juste la brutalité du plan préconisé par les institutions internationales. Le cas du Nigéria, qui traverse depuis deux ans une crise économique et monétaire sans précédent, déclenchée par la suppression des subventions à l’énergie est un parfait exemple pour nous.
Avant l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, le président Abdoulaye Wade avait lancé le plan Takkal, incluant la création d’usines à charbon pour la production d’électricité. La découverte des gisements gaziers a mis fin à ce volet du plan Takkal. Le Sénégal envisage désormais une option « Gaz à électricité », ce qui réduira le coût de production de l’électricité.
Le Président Diomaye doit suivre l’exemple de son prédécesseur Macky Sall qui a resisté, diplomatiquement, pendant des années aux exigences du FMI. Cette feuille de route hérité de Macky doit être suspendu pour les trois premières années du mandat de Diomaye (Même si l’Etat est une continuité). Cela permettrait à notre nouveau président de mettre en place une nouvelle politique économique sans être sous la menace de tensions sociales, de démarrer l’exploitation du pétrole et du gaz, et surtout de s’astreindre à une orthodoxie budgétaire en réduisant le train de vie de l’État et en augmentant les recettes fiscales (des actions sont déjà en cours sur ce volet).
La subvention à l’électricité ne doit pas être supprimée tant que nous ne serons pas capables d’avoir un mix énergétique permettant d’obtenir un prix du KWH bas. L’exploitation du gaz doit aussi servir notre marché intérieur et nous permettre d’investir à long terme dans des sources d’énergie durables. Je suppose que le Sénégal et la Mauritanie, qui exploitent ensemble le gisement gazier du Grand Tortue Ahmeyim (GTA), pourront plus facilement s’entendre sur la construction d’un nouveau barrage hydroélectrique sur le fleuve Sénégal (sans financements étrangers). Des efforts pourront également être faits sur le solaire.
Les partis politiques du Sénégal et la société civile doivent se tenir prêts. Le FMI a recommandé au gouvernement du Sénégal de lancer une vaste campagne de communication sur le sujet. C’est ce qu’a fait le ministre des Finances, Cheikh DIBA, qui n’a pas hésité à comparer les subventions énergétiques à un cancer. Un front social solide est aussi une arme que pourra utiliser le Président Diomaye pour résister au FMI. Les populations rejoindront ce front dès que ces mesures graduelles se feront sentir davantage.
Cheikh T. CISSE
Expert en Intelligence Economique
Ingénieur Informatique
Ct.cisse1@gmail.com
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