Khalifa Sall gracié, Macky Sall enfin libéré ? (Par Jean-Marie Biagui)

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Il y a, avant le commencement : l’arrestation arbitraire en 2013 de Karim Wade, son embastillement dans la foulée à la prison de Rebeuss, et sa condamnation (six ans fermes) ; puis sa libération en 2016 par la grâce du président Maky Sall, suivie immédiatement de son exil forcé au Qatar. Viennent ensuite le commencement et avec lui le tour de Khalifa Sall, où, sous prétexte comme précédemment d’une demande sociale, qu’il faut entendre comme la masse des émotions ou des humeurs populaires provoquées à dessein, le président Macky Sall le fait arrêter, puis le fait embastiller à Rebeuss, avant de le faire condamner à cinq ans de prison. Découvrant que cela est « bon », le président Macky Sall s’en délecte ; ses alliés de Benno Bokk Yakaar (BBY) aussi. Et tout cela de se produire au su et au vu de tous, « sauf » de Dieu, pour être le fait souverain du président Macky Sall, ici-bas.

Les populations pour leur part, notamment de Dakar, s’en émeuvent ; les plus courageuses ou les plus zélées se révoltent puis investissent les rues de la Capitale, avant d’être gagnées par la résignation et l’usure du temps. Tandis que le président Macky Sall va, quant à lui, s’emmurer dans le sentiment de toute-puissance. « Que vous le vouliez ou non, vous allez subir ma politique », se plait-il à rappeler dans ses discours à qui en douterait.

En fait, ce formidable euphémisme de ‘‘Vous allez me subir, que vous le vouliez ou non’’,révèle, déjà, un Macky Sall littéralement submergé par le doute (tant mieux !) et l’agacement (oh ! plutôt inquiétant), face à un Khalifa Sall imperturbable, qui ne daigne même pas lui en vouloir. Il va même prier, en tant que Républicain et homme de foi, tous les jours que Dieu fait, pour le chef de l’Etat. C’est que, pour Khalifa Sall, il y a là, dans cette forfaire dont il est la victime, comme de l’eau bénite. A moins que ce ne soit plutôt du pain bénit.

Or, passé le plaisir nécessairement volage d’avoir banni aussi Khalifa Sall, place maintenant au désir, et bientôt au plaisir, tout aussi nécessairement volages, de le rendre à sa famille biologique, à ce qu’il reste de sa famille politique, à ses amis et à ses nombreux sympathisants. Désir et plaisir officiellement et publiquement dédiés comme tels à l’intention notamment d’une opinion sénégalaise par trop distraite, d’abord ; et, ensuite, actés en tant que tels par la grâce du président Macky Sall. C’est-à-dire par décret présidentiel. Et donc « à l’insu » de Dieu, même si, pour le coup, et après coup, nous pouvons en l’espèce prêter au Bon-Dieu quelque divine complicité bienveillante, et bienvenue, fût-ce par procuration. C’était le 29 septembre 2019. Plus de deux ans se seront ainsi écoulés – déjà ! ou tant que ça ! – depuis l’embastillement de Khalifa Sall à Rebeuss.

Je rentrais alors d’une partie de sport, la marche, mon sport favori depuis que je ne pratique plus le football, quand, longeant la prison de Rebeuss, je tombai, soudain, devant une foule aussi spontanée et impressionnante par le nombre qu’elle ne paraissait ahurie et indisciplinée face à ‘‘L’Evénement du jour : Khalifa Sall et ses codétenus Yaya Bodian et Mbaye Touré sont libres’’. Les Dakarois, que l’on croyait naguère avoir cessé d’espérer contre toute espérance quant au devenir de leur maire déchu, exprimaient ainsi, de fort belle manière, leur adhésion et leur consentement à Khalifa Sall. Hors scrutin ! soit dit en passant.

Comment dès lors ne pas y voir, du moins pour l’heureux témoin fortuit que je suis de ce qui se déroule soudainement sous mes yeux, comme la manifestation de la nature (rire !), qui me renverrait ainsi, avec générosité, quelque menu fretin précieux, en souvenir de ma présence – si anonyme fût-elle, mais engagée et engageante, en tous les cas voulue et assumée comme telle – parmi ceux-là mêmes, très nombreux, qui se seront obligés jadis à faire bloc autour Khalifa Sall, tout impuissants, quand en mars 2017 les autorités s’affairaient de manière cavalière à le conduire tel l’agneau du sacrifice à Rebeuss ? Soit ! Sauf qu’à y regarder de plus près, on conviendra avec Barthélémy Dias que, avec l’élargissement de Khalifa Sall par la grâce du président Macky Sall, celui-ci s’est plutôt libéré lui-même. C’est que le président Macky Sall vient ainsi de se réconcilier avec lui-même. Toutefois, sa réconciliation d’avec lui-même sera totale et belle, quand, et seulement quand, à la faveur d’une loi d’amnistie, Karim Wade et Khalifa Sall auront recouvré leurs droits civils et politiques. Mais tous leurs droits civils et politiques ! Et ce sera la fin.

Il faudra dès lors qu’il se résolve à l’idée de faire le deuil de la perspective inavouée d’un 3ème mandat. Ce qui ne va pas de soi, si l’on sait qu’il y a droit, parce que la Constitution l’y autorise, alors que le noyau dur de ses partisans n’attend plus qu’une chose : un signal, sinon une consigne, autorisant ces derniers à faire investir massivement les rues et autres places de la Nation, pour réclamer un 3ème mandat, pardon ! un 2ème mandat de cinq ans, pour leur mentor. Pour eux, en effet, la question n’est pas/plus de savoir si le président Macky Sall veut ou non, ou s’il a droit ou non, à un 3ème mandat, mais quand ils doivent descendre massivement dans la rue, précisément pour le réclamer, tout persuadés qu’ils sont qu’ils n’y rencontreront aucune résistance. Ou pratiquement aucune. Le président Macky Sall saura-t-il y résister ? Ou, à tout le moins, aura-t-il jamais la volonté d’y résister ?

Qu’à cela ne tienne, souvenons-nous que le président Macky Sall, comme aucun autre leader de sa trempe, a compris que, en démocratie, notamment sénégalaise, tel qu’il la conçoit tout au moins, les populations et singulièrement les Citoyens n’ont plus que le pouvoir de dire ‘‘oui’’ ou ‘‘non’’. Et ce, réalité imparable, uniquement au moment des élections (présidentielles, législatives et locales) ou bien lors d’un référendum. Le président Macky Sall assimile ainsi, inconsciemment peut-être, l’élection à une guerre (politique) sublimée, à l’issue improbable pour l’ennemi, mais cependant probable pour lui, tel qu’il en fera la démonstration. C’est du reste sous cet angle qu’il conçoit et banalise la transhumance, synonyme en politique de reddition, avant de la pratiquer avec une incroyable dextérité. Soit le prix à payer selon lui pour un Sénégal artificiellement politiquement stable, avec toutefois un Macky Sall président de la République, encore et toujours. ‘‘Vous allez me subir, que vous le vouliez ou non !’’ Le « dialogue politique » en cours, abusivement rebaptisé « dialogue national », s’inscrit du point de vue du président Macky Sall dans cette logique.

Générer ou susciter ou provoquer de l’adhésion ou du consentement populaire à sa personne et à sa politique, par tous les moyens à sa disposition, y compris donc par « l’eugénisme politique » ! Voilà donc pour le président Macky Sall le seul viatique qui va canaliser son énergie et sa dévotion, comme l’auront illustré fort bien : le « oui » au référendum sur la révision constitutionnelle acquis avant la lettre en 2016, puis la loi sur le parrainage, ainsi que la disqualification de Karim Wade et de Khalifa Sall pour la Présidentielle du 19 mars 2019.

Certes, entre deux échéances électorales, les ambitions politiques, en tant que sources d’énergie vitale en démocratie, ont en principe tout le champ et la latitude nécessaires à leur expression, d’abord ; en vue de leur actualisation sous la forme d’un projet de société voire d’un programme de gouvernement, ensuite, ou éventuellement. En l’occurrence, les ambitions politiques de Karim Wade et de Khalifa Sall sont légitimes ; et elles ne sont, en soi, ni « bonnes », ni « mauvaises ».

Cela, le président Macky Sall le sait et le comprend, peut-être même mieux que personne. Mais il ne le veut point, ni pour Karim Wade, ni pour Khalifa Sall, parce qu’il estime que leurs ambitions politiques respectives, pour autant qu’elles soient légitimes, sont nécessairement « nuisibles » à sa « survie ». C’est cela la conviction du président Macky Sall, qu’il va décliner comme sa volonté, pour ensuite la concevoir en tant que son dessein propre, mais guère celui de Dieu.

Non ! tout le monde le sait, et au premier chef les Religieux, ça n’est pas Dieu qui a jeté Karim Wade puis Khalifa Sall en prison. Qui plus est, c’est avec le président Macky Sall, et seulement avec lui, que le Grand-Serigne des mourides a eu à traiter de cette double affaire douloureuse.

Quid alors de la volonté des Sénégalais ? Oui ! que veulent vraiment les Sénégalais ? Sont-ils jamais capables de vouloir ?

Il est navrant et désolant, et même déprimant, de nous entendre ressasser à longueur du temps que Karim Wade, puis Khalifa Sall, ont été jetés en prison, puis contraint à l’exil en ce qui concerne le premier, à la faveur d’un décret divin. C’est-à-dire du fait de la volonté de Dieu. Cette manière outrageusement confortable de minorer la responsabilité y relative des autorités d’une part, et de se déresponsabiliser soi-même par rapport entre autres à ces deux affaires d’autre part, est pour ainsi dire d’une irresponsabilité innommable. Car, alors, cela n’est rien de moins que renvoyer dos-à-dos les deux parties, avec lâcheté donc, comme pour leur signifier qu’on est avec elles, tout à la fois, indistinctement ; et qu’en réalité on n’est avec personne, pas même avec les victimes, en l’occurrence Karim Wade et Khalifa Sall, tous deux victimes de l’arbitraire.

C’est-à-dire, toutes choses égales par ailleurs, comme d’aucuns se plaisent – pour s’y complaire petitement et imperturbablement, et Dieu sait qu’ils sont nombreux ! – à renvoyer dos-à-dos l’Etat et le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC), dans ce qui les oppose mutuellement depuis 1982. Comment est-ce possible ? Si l’on conçoit que n’être avec personne, c’est être avec tout le monde. Ce qui, naturellement, est plus « grave », sinon plus « dangereux », que d’être courageusement ou laborieusement avec l’une des parties contre l’autre.

Sous ce rapport, il urge que les Sénégalais rompent définitivement avec cette espèce bien sénégalaise de passivité coupable, symptomatique d’une complexion morale défaillante bien sénégalaise et avec elle d’une éthique bien sénégalaise tout aussi défaillante, et qu’ils aient alors, dorénavant, toujours à l’esprit : (i) que la démocratie, ça n’est pas seulement ‘‘un électeur, une voix’’, mais encore ‘‘un électeur, une voix’’ plus ‘‘le verbe en tant que potentiellement créateur aussi bien que destructeur (telle la dynamite)*’’ plus ‘‘des comptes’’ ; (ii) et que, sans peur, ni tabous, ils doivent en permanence demander des comptes à leurs élus et à leurs gouvernants ; (iii) quitte à régler leurs comptes avec eux avant terme ; (iv) sans cependant jamais oublier, mais alors jamais, qu’avant d’être un Electeur, on est d’abord un Homme, de devoir, et non de pouvoir, à l’égal bien évidemment des autres Hommes, puis un Citoyen, avec des droits, cela va de soi, mais aussi et surtout avec des devoirs, en fait ses lumières.

Je veux bien réduire ceux que je nomme ‘‘les Sénégalais’’ à leurs leaders ou à leurs élites. Car c’est à eux que revient une telle exigence démocratique, d’abord et avant tout ; qui doivent ensuite, à cette même fin, activer, actionner, instrumentaliser même les masses. En toute légitimité démocratique !

C’est précisément dans ces conditions précises, et dans ces conditions seulement, que la démocratie peut être pourvoyeuse de développement, socioéconomique, culturel, et politique.

Dakar, le 4 octobre 2019.

Jean-Marie François BIAGUI

Président du Parti Social-Fédéraliste (PSF)

(*) Souvenons-nous par exemple des mémorables « wax-waxeet » des présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall.

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