Hommage au maître professeur Malick Ndiaye

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« Chaque âme goûtera à la mort ». [Sourate 3, verset 185]. Ce verset coranique nous rappelle l’invincibilité de la mort par l’homme.

Ceci n’est qu’un prétexte pour rendre un juste hommage que nous devons à la mémoire du cher Professeur Malick NDIAYE qui vient de nous quitter.

Il n’est certes pas facile de faire l’éloge funèbre de quelqu’un qui n’en souhaitait point, et qui avait choisi de quitter la scène de l’Université avec la même discrétion qu’il quittera, quelques années plus tard, la scène de la vie.

On n’enterre que des hommes exceptionnels dont il est tout de même curieux qu’il faille attendre leur trépas pour en remarquer les éclatants mérites.

S’agissant du Professeur Malick NDIAYE, nous sommes toutefois un grand nombre à avoir reconnu ces qualités et ton talent depuis bien longtemps.

Aussi n’était-il pas concevable de le rendre hommage sans évoquer son attachement au Ceedo et au mourdisme, ni de taire l’affliction ou d’étouffer l’émotion envers un Professeur admiré, un grand maitre à penser.

« Je l’entendais en chaire, et j’en fus effrayé, je le revis à table, et j’en fus rassuré. ». Ces vers du plus célèbre des fabulistes pourraient s’appliquer mutatis mutandis au Professeur Malick NDIAYE car il y avait deux angles sous lesquels on pouvait le considérer : l’homme qu’il était, le maître qu’il s’est révélé.

Ce qui ressortait aussitôt de sa personne, c’était son exquise courtoisie, favorisée par une parfaite urbanité qui semblait parfois l’avoir extrait du Grand Siècle. A tel point qu’on eût pu penser qu’il détonnait quelque peu dans le nôtre, où il n’y a plus suffisamment de mœurs ni de manières.

On n’a jamais pris le Professeur Malick en défaut dans l’observation des règles élémentaires de du savoir-vivre universitaire. Parler de sa correspondance renvoie nécessairement à son style. Le Professeur avait une très belle plume, aussi précise que concise, aussi profonde qu’ésotérique. Il avait des lettres, de la culture (pas seulement socio-anthropologique, tant s’en faut !), ainsi que le sens inné du mot juste, tant il est vrai que, sans un bon vocabulaire, il n’y a pas de bon sociologue.

Le langage du Professeur Malick était châtié, sans être aucunement précieux ni pédant. La distinction de son élocution était au diapason. C’est parce que son esprit était sans détour que son verbe était limpide. Son style reflétait son âme.
Il respectait la langue comme il respectait les gens. Plus exactement, il respectait la langue parce qu’il respectait les gens. S’adresser à eux de manière correcte est une forme suprême de l’élégance, cette autre marque de sa personnalité. Ce faisant, il incarnait parfaitement cette catégorie d’« intellectuels avertis » qui ont permis de repenser la nature de l’engagement politique en rupture avec les politiciens traditionnels. Ce faisant, le Professeur Malick avait une grande capacité de se mettre en scène efficacement de manière à légitimer son influence aux yeux des élites politiques et des masses populaires mais aussi une capacité de désarticuler le couple savoir/pouvoir et de revêtir quand la nécessité des luttes politiques les y oblige, l’habit de l’intellectuel.

Pour parodier un grand frère sociologue, il a su grâce à ses deux facettes de sa personnalité créer cet équilibre ô combien important entre la générosité et la fermeté, entre le personnel et le professionnel, entre le stratégique et l’opérationnel, entre la reproduction et l’innovation, etc.

Le Professeur Malick NDIAYE fut un véritable maître, tant du cercle universitaire que celui du champs « politis ». À preuve, les nombreux témoignages reçus de ses anciens étudiants pour exprimer leur gratitude posthume à un enseignant qui les aura si fortement marqués du haut de sa chaire où, à défaut de les « effrayer », il les impressionnait.

Il faut dire qu’il vivait pleinement son cours. Il souffrait même pour son cours. Celui-ci terminé, il suffisait de le voir tout en sueur, souvent épuisé, tant il s’était impliqué dans la totalité de sa puissance intellectuelle. Aussi, un profond silence déférent s’imposait aussitôt à son arrivée dans l’amphithéâtre. Car ce qu’avait à dire ce Professeur n’était jamais banal. Ses leçons étaient toujours un morceau d’éloquence. L’originalité de sa pensée ne procédait pas d’un calcul d’esthétisme, elle était naturelle à cet esprit jamais en repos.

Il n’est pas exagéré de dire qu’il concevait sa charge comme un véritable sacerdoce et sans doute se voyait-il un peu comme un missionnaire, le missionnaire des sciences sociales, pour révéler la bonne sociologie – cette « beauté sociologique » à ses contingents annuels d’étudiants.

Le Professeur Malick NDIAYE avait la passion de la sociologie et des sciences sociales chevillée au corps, ainsi que l’atteste son œuvre magistrale, orale et écrite, dont il appartiendra à d’autres, bien plus qualifiés que moi, d’exploiter désormais toutes les richesses. Car cette œuvre qu’il nous laisse en héritage est appelée à durer et à inspirer les générations futures en sciences sociales. Il était habité par une idée aussi haute qu’exigeante de la sociologie et de l’histoire propre à nos réalités.

Il fustigeait le phénomène de transposer les idées « extérieures » de plus en plus erratique dans sa prétention à tout régenter au point d’outrager la réalité au nom d’une fallacieuse modernité. Or, le professeur ne se voulait sûrement pas « moderne ». Il n’était pas à la remorque des idées de son temps car, comme le disait Aristide Briand, « Marcher avec son siècle ? Encore faut-il savoir dans quoi il marche ! »… Il n’était pas de ces « âmes tièdes » dénoncées par Camus. Sous sa personnalité policée se cachait, en réalité, un tempérament de feu qu’il savait cependant maîtriser par des écrits où la sérénité compensait à peine l’absence de concession ou d’« accommodements raisonnables », car « on ne va pas au vrai par une route oblique » pour parler comme Victor Hugo.

De fait, le Professeur Malick NDIAYE croyait à nos valeurs valeureuses africaines. Toute son activité intellectuelle et professionnelle fut animée par la quête incessante du vrai et du juste, qui sont les deux faces de l’unique mission d’un véritable scientifique. Il n’a jamais prétendu élaborer de nouveaux systèmes, ni même créer une école mais inviter à repenser par nous et pour nous les concepts de développement, d’éducation, d’éthique entre autres. Insensible à l’avoir et au pouvoir, il n’était intéressé que par le savoir.

Tel fut, l’homme et le maître dont il est indispensable de rendre hommage à ce jour. Peut-être n’a-t-on pas su, dans notre société lui donner toute la place que lui aurait value son talent. Peut-être même l’Université sénégalaise en général a-t-elle manqué à une meilleure audience à son influence doctrinale.

A tout le moins, ses étudiants, et tout particulièrement ceux de l’Université Cheikh Anta DIOP ont-ils mesuré leur chance d’avoir pu bénéficier des leçons d’un maître de cette envergure morale et intellectuelle dont ce modeste hommage a voulu prolonger le rayonnement qui lui survivra.

Mamadou NDIAYE
Socio-anthropologue
Parcelles Assainies
Email : mdouz@live.fr
Tél : 77 326 77 37

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