Hommage à Serigne Same Mbaye, 24 après : Serigne Same, le conférencier

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L”année 2022 marque certes la 24ème commémoration du rappel à Dieu de Serigne Same Mbaye, mais également, le centenaire de la naissance du savant lougatois. En effet, Serigne Same Mbaye a tiré sa révérence le samedi 14 mars 1998 à l’hôpital Principal de Dakar à la suite d’une longue maladie qu’il a toujours réussi à dissimuler avec dignité et stoïcisme en vue d’accomplir, jusqu’à son dernier souffle, la mission qui fut la sienne après 76 ans de vie sur terre et 26 ans en tant que « conférencier ». La première conférence publique connue, datée et référenciée de Serigne Same Mbaye remonte à l’année 1972 et fut tenue à Rufisque avec comme thème « le Coran et la Science ». Cela veut également dire que Serigne Same a effectivement commencé l’accomplissement de sa mission à l’âge de 40 ans (âge de la maturité en Islam) tout comme le Prophète Mouhamed (PSL).

Serigne Same Mbaye, le « conférencier »

C’est sans doute un truisme de dire qu’à chaque fois que lorsque l’on prononce le nom de Serigne Same Mbaye en public, l’opinion pense aussitôt au « conférencier ». En effet, Dieu avait doté Serigne Same d’immenses qualités intellectuelles et morales mais aussi de beaucoup de connaissances dans divers domaines et secteurs de la vie. Il avait non seulement une parfaite maîtrise de la religion musulmane dans toutes ses composantes et dimensions, mais également, une connaissance approfondie de la science moderne dans toute sa diversité. Il était aussi bien au fait de l’évolution du monde contemporain, et surtout, de l’« Homme » pris orthogonalement dans ses trois principales composantes en tant qu’être biologique, social et cognitif. S’y ajoutent sa parfaite maîtrise de la socio-anthropologie du pays, de l’histoire (en tant que sciences sociales), sa connaissance du monde arabe et des cultures orientales et occidentales. Bref, Serigne Same, comme l’indique et à juste titre le Pr. Ahmadou Sakhir Mbaye de Thiès, avait « une intelligence qui plane au-dessus de toute agrégation ». Son parcours scolaire et professionnel, sciemment escamoté dans cet article, illustre à bien des égards ces propos de son disciple thiessois. Et c’est véritablement pour cette raison qu’il était énormément sollicité pour animer des conférences sur divers thèmes d’actualité, mais également sur des questions religieuses de toutes sortes. Plus encore, il ne déclinait jamais une invitation à l’animation d’une conférence religieuse quels que soient par ailleurs le lieu, le groupe social, la tranche d’âge ou encore la catégorie socioprofessionnelle qui l’invitait. Il avait toujours en bandoulière cette recommandation coranique, « وَذَكِّرْ فَإِنَّ الذِّكْرَىٰ تَنْفَعُ الْمُؤْمِنِينَ ». Voilà ce qui le poussait à dire à plusieurs reprises, « si je refuse de répondre à une invitation dont l’objet est d’échanger sur une question inhérente à la religion, je craindrais bien que l’on m’interpelle là-dessus le jour du jugement dernier. Voilà pourquoi je ne refuse jamais lorsqu’on m’invité à une quelconque cérémonie religieuse pour venir dire ce que je sais pour le compte et au nom de l’Islam ».

Il faut savoir toutefois que Serigne Same n’avait pas commencé avec l’animation des grandes conférences qui font aujourd’hui sa grande réputation d’islamologue-conférencier sénégalais. Non ! Il avait démarré d’abord avec des causeries, entouré de petits groupes de personnes à qui il prodiguait des conseils et racontait l’histoire des grands mystiques de la religion musulmane parmi lesquels Imam Ghazali, Imam Chafi’i, Imam Ahmad Ibn Hanbal, Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Abdoul Aziz Dabakh, Ibn Arabi, Cheikh Abdou Khadr Jeylani, Seydatouna Rabia Al Addawi entre autres grands ascètes de l’Islam. Ces causeries se faisaient pour la plupart dans l’enceinte de sa maison à Louga, généralement, sous forme de questions – réponses après un bref exposé sur les qualités de la personnalité du jour. C’est par la suite qu’il commença à donner des conférences sur l’histoire du Prophète Mouhamed (PSL) lors des Gamou avec une forte présence de fidèles qui venaient l’écouter raconter chronologiquement l’histoire des prophètes et le sens de la célébration de la nuit de naissance du Prophète Mouhamed (PSL). On était alors au tout début des années 1970 et, progressivement, il sera découvert par les communautés religieuses du Sénégal qui ne cessèrent de l’inviter pour leur animer des conférences. C’est de là d’où commença le cycle de ses grandes conférences islamiques qui avait fini par le révéler au grand public à l’échelle nationale et internationale. Voilà chronologiquement comment s’est construite sa grande réputation « conférencier sénégalais ».      

Des causeries tout au début 

Le plus vieil enregistrement audio retrouvé de Serigne Same Mbaye date de 1974. Il s’agit d’une causerie tenue dans l’enceinte même de la cour de sa maison sise au quartier Santhiaba portant sur l’ouvrage de son illustre grand frère et ami, Serigne Ibrahima Mbaye (1904 – 1993) dont le titre est le Guide du perplexe sur les miracles de l’éducateur Ahmad As Saghir. Cette causerie est (pour le moment) le plus ancien enregistrement audio retrouvé de Serigne Same Mbaye, titré, daté et localisé dans lequel il évoquait, devant une assistance composée essentiellement de disciples de la famille, les miracles de son illustre père Mame Cheikh Ahmadou Kabir Mbaye tels que déclinés par l’auteur. Il faisait fréquemment ces genres de causerie dans l’enceinte de la demeure familiale sur divers autres thèmes. La plupart de ces causeries n’étaient malheureusement pas enregistrées comme l’indique un de nos interlocuteurs très proche de la famille, « les conférences et causeries perdues au cours de cette période sont mille fois plus importantes, en termes de nombre, que celles retrouvées et portées à la connaissance du grand public ».

Les « Gamous » comme déclic

La célébration de la nuit de la naissance du Sceau des Prophètes a été un moment décisif dans le parcours de conférencier de Serigne Same Mbaye. Ce fut un moment très attendu par les fidèles. Le public qui venait l’écouter raconter l’histoire merveilleuse des Prophètes avec une aisance jamais égalée, en sus d’une maîtrise parfaite de la « sirra », ne cessait de s’agrandir au fil des années. À ses débuts, la causerie se tenait dans la grande salle de la maison familiale et l’assistance dépassait à peine dix (10) personnes assises sur une natte, en face du conférencier. À l’époque, il faisait juste un bref exposé sur l’histoire des Prophètes alors que l’essentiel du temps était consacré aux questions-réponses. De ce fait, ce n’était pas une conférence « formalisée » telle que nous la connaissons aujourd’hui avec un sujet bien donné, un modérateur ainsi que tout le protocole qui l’accompagne. Il s’agissait juste d’un échange entre un guide spirituel et ses disciples, pour ne pas dire, entre un père de famille et ses enfants. Cependant, l’affluence ne manquait pas au fil des années et il avait été obligé de le délocaliser dans la véranda de la maison.

La véranda se révélera très rapidement trop exiguë pour contenir la forte affluence qui ne cessait de s’agrandir au fil des années. Serigne Same était alors obligé, de nouveau, à trouver un endroit plus spacieux à même d’accueillir les centaines de fidèles qui venaient désormais l’écouter disserter sur la vie et l’œuvre du Prophète Mouhamed (PSL). Il décida alors de tenir désormais les causeries dans la grande cour de la maison familiale. Le nombre important de fidèles noté dans son domicile chaque année à l’heure de la causerie, l’obligea encore une fois à délocaliser la conférence hors de son domicile. De concert avec son grand frère Serigne Ibrahima Mbaye, calife à l’époque de la famille, ils décidèrent désormais de les tenir dans l’esplanade de la grande mosquée de Mame Cheikh Ahmadoul Kabir en vue d’en faire bénéficier le plus de monde possible, mais aussi et surtout, pour permettre à tous ceux qui venaient l’écouter de le faire dans les meilleures conditions qui seyaient. La causerie sur l’histoire des Prophètes avait fini par être l’une des plus grandes attractions de la nuit et le Cheikh changeait constamment de thème en vue de permettre à son assistance de connaitre l’évolution socio-historique de l’implantation et de la propagation de l’Islam dans le monde. Et l’autre a raison de dire, «si vous faites une compilation des gamous de Serigne Same Mbaye, vous aurez un portrait parfait du Prophète Mouhamed (PSL) ». 

Le cycle des grandes conférences islamiques

D’après nos recherches, les premiers à lui demander de leur animer des conférences furent les tidianes, une communauté avec laquelle il entretenait d’excellentes relations, et au sein de laquelle il comptait également beaucoup d’amitiés. Les tidianes avaient en effet une longue tradition d’organisation de conférences, en termes notamment de préparation et d’organisation (planning, cadre d’accueil et sujets d’exposé), contrairement aux autres communautés qui avaient d’autres méthodes d’animation et de vulgarisation des œuvres de leurs fondateurs qui leur étaient également spécifiques. Les conférences étaient souvent suivies de débats sous forme particulièrement de contributions, de commentaires et de questions-réponses comme le modèle très connu du mouvement des Mourtachidines[1] à l’occasion notamment des universités du ramadan. En ce moment-là, le modèle mouride était plutôt orienté vers les diwaan, majalis, bamba moos xam, çant entre autres formes d’organisations moins « formalisées ». Dans ces genres de rencontre, les causeries étaient l’affaire d’un « orateur de carrefour » qui cherchait à mettre les disciples dans un état second en relatant les innombrables miracles et acquis du Saint homme de Touba[2]

Quoi qu’il en soit, il faut savoir que c’est bien après les tidianes que les mourides, eux aussi, commencèrent à l’inviter dans leurs rencontres afin qu’il leur parle de leur guide et de l’histoire de leur confrérie vu la relation étroite qu’il y avait entre Serigne Touba et Mame Cheikh Mbaye Kabîr, son vénéré père. Rappelez-vous, Mame Cheikh Mbaye a fait une bonne partie de son apprentissage religieux auprès de Cheikhoul Khadim avec l’aval de son grand frère Serigne Abdoulaye Mbaye, fondateur du village de Dépal. Différentes formes d’alliances existent également entre les familles Mbaye de Louga et Mbacké de Touba. Les mourides qui avaient rapidement décelé chez Serigne Same des talents d’orateur hors-pair ainsi qu’une parfaite maîtrise des sujets qu’ils lui demandaient de traiter sur des thématiques aussi diverses que variées portant sur la voie mystique (soufisme), l’histoire du mouridisme, l’itinéraire spirituel de Cheikh Ahmadou Bamba, les signes avant-coureurs de la fin du monde (aaxiru zaman), le Tawhid, le Fiqh entre autres sujets les préoccupant, ne le lâchèrent plus. Ils tinrent désormais leur « conférencier ».

La conférence qui a le plus solidifié sa relation avec la communauté mouride fut sans nul doute celle animée au siège de l’Unesco à Paris en 1979 lors de la semaine culturelle dédiée au fondateur de la Mouridiya. Ce jour-là, différentes sommités intellectuelles s’étaient succédé du haut de la tribune de l’Unesco. Cependant, l’excellente prestation de Serigne Same Mbaye devant de hauts dignitaires mourides commis en France par le calife général Cheikh Abdoul Ahad Mbacké semble être le catalyseur de tout l’amour que lui porte depuis lors cette communauté, et surtout, des diverses sollicitations qu’elle n’a cessé dorénavant de lui adresser. La journaliste Aïcha Fall Tall note à ce propos « plus d’une heure de tribune en français, où l’érudit confronte son savoir à ceux d’autres universitaires et finit par rallier tout le monde à sa cause dans le débat académique et religieux. Les Mourides ne le lâchent plus… »[3].           

Outre les Tidianes et les Mourides, Serigne Same était également fréquemment sollicité par la communauté Ibaadu Rahman dont il connaissait la plupart des têtes de fil au Sénégal pour avoir, non seulement cheminé avec eux dans les pays arabes durant son long périple en quête de connaissance, mais aussi rencontré au sein de l’Union Culturelle Musulmane avant son éclatement en 1978. En 1989 au quartier Carrière de Thiès, il avait animé pour le compte de cette communauté islamique une conférence, ô combien intéressante et pleine d’enseignements, sur le thème de l’entraide entre les musulmans (Al Muhawuna). Il était tellement percutant durant son exposé que l’assistance avait du mal à contenir sa joie et sa satisfaction ne cessant d’exalter Allah à chaque fois que le « conférencier » mettait l’accent sur les maux véritables qui gangrénaient la communauté musulmane ou encore sur l’Omnipotence, l’Omniprésence et l’Omniscience d’Allah (SWT). « Cette conférence est l’une des meilleures prestations de Baye Same » ne cesse de rappeler un de ses disciples « du fait que toutes les références citées tout au long de l’exposé sont tirées soit du Coran soit des hadiths du Prophète » renchérit-il. À l’instar de leurs frères de Thiès, la communauté Ibaadu Rahman de Louga l’invitait aussi beaucoup afin qu’il leur anime des conférences sur différents sujets. Si Serigne Same était autant sollicité par la communauté Ibaadu Rahman, c’est parce qu’au-delà d’être un mystique confirmé parfaitement en phase avec l’islam confrérique sénégalais, il fut aussi un grand intellectuel qui savait parler à chaque peuple sa langue. Très à cheval entre le spirituel et le temporel, il était constamment sollicité du fait de cette transversalité. Pour dire in fine que Serigne Same n’avait pas de frontière au niveau des différentes confessions musulmanes du Sénégal puisqu’il était sollicité par toutes les organisations musulmanes sans distinction d’appartenance confrérique ou confessionnelle.

Abdoulaye CISSE,

Psychosociologue, auteur de l’ouvrage

Serigne Same Mbaye itinéraire d’un homme de Dieu, 372 pages.

abdoulayecissesam@gmail.com


[1] Mouvement religieux, politique et intellectuel de la tidianiya créé à la fin des années 1970 par Serigne Moustapha Sy, fils de l’ancien calife général de ladite confrérie Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Makhtoum.  

[2] Dr. Khadim Syll, p. 35, Histoire générale des dahiras chez les mourides : fondements et principes, genèse et évolution, les éditions Miname, 2016, 78 pages.

[3] Aicha Fall Thiam, Cahier Ramadan 2016 – Il était une fois : Serigne Same Mbaye, trajectoire d’un parfait érudit, journal L’Observateur n°3831 du jeudi 30 juin 2016, page 10.

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