Hommage à l’ancien Directeur général de l’UNESCO, Monsieur Amadou Mahtar MBOW

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« L’homme Amadou Mahtar MBOW », témoignage de sa fille Awa MBOW KANE

Excellence, Monsieur le Président de la République du Ghana,
Madame la Directrice Générale de l’UNESCO,
Madame la Ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture du Sénégal représentant Monsieur le Président de la Président de la République du Sénégal,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Madame la Présidente de la Conférence Générale
Madame la Présidente du Conseil Exécutif
Monsieur le Président du groupe Afrique de l’UNESCO,
Excellences Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs et Délégués permanents auprès de l’UNESCO,
Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord, Madame la Directrice générale et chère Audrey Azoulay, de vous réitérer, à vous-même et à l’ensemble de la communauté de l’UNESCO, les remerciements de ma famille, pour les marques de sympathie et de considération témoignées du vivant et lors du décès de Monsieur Amadou Mahtar MBOW. Vos mots bienveillants ont été d’un grand réconfort, et ont été suivis avec attention par les hautes autorités de notre pays et par la communauté internationale.
Par ma voix, la famille d’Amadou Mahtar MBOW exprime sa reconnaissance particulière pour le choix symbolique de la date du 14 novembre 2024, marquant le cinquantième anniversaire de son élection à la tête de l’UNESCO, pour rendre hommage à cette figure emblématique qui a marqué de façon indélébile l’histoire de l’institution.

Les racines d’un destin exceptionnel
Amadou Mahtar MBOW a eu une vie riche et belle. Mais elle ne fut jamais un long fleuve tranquille. J’ai choisi de vous en conter une partie personnelle voire intime.
Le jeune sahélien qu’il était, a vécu l’âpreté d’un environnement aride et souffert de la sécheresse des années 1930. Il a connu la douleur de perdre sa mère, décédée à 33 ans. Peu après, l’accès au lycée lui fut refusé pour cause de dépassement d’âge. Les obstacles à sa scolarité se multiplièrent, durant l’administration coloniale, et il fut renvoyé de l’école pour rébellion contre le fait du prince. Alors à 14 ans, il dut prendre le chemin de Dakar pour y suivre une formation puis travailler.
Pourtant, dès sa naissance, son destin portait la marque de l’espoir. Mahtar, l’enfant patiemment espéré et ardemment désiré par son père qui lui avait donné un prénom signifiant « le choisi », Mahtar, grandit entouré de la tendresse de sa mère et de ses tantes, les autres épouses de son père, qui, par les récits et contes dont elles le berçaient lui remplirent la tête de rèves.
Son éducation, ancrée dans les traditions africaines, lui a insufflé sagesse, art-de-vivre, et d’autres savoirs précieux absents des cursus conventionnels. Il a pris part aux travaux agricoles des cultures vivrières et de l’arachide, a appris la teinture des tissus. Il est donc allé à l’école de la vie ; il est aussi allé à celle de l’éducation coranique où il a appris le culte de la rigueur et l’entretien de la mémoire. Engagé dans sa communauté il a été profondément imprégné de ses valeurs de dialogue et de paix. Puisa-t-il dans cette double culture son inébranlable optimisme ?
On pourrait le penser !

Un homme de convictions et de passions
Au sortir de l’adolescence il était donc armé pour faire face à toutes les vicissitudes qui seraient celles de sa vie, qu’il s’agisse de celles de la guerre 39-45 dans laquelle il s’engage volontairement, qu’il s’agisse de sa radiation de son poste de professeur parce que, lui reprochait-on, « il n’avait pas voulu empêcher la grève des élèves» du lycée où il enseignait, – qu’il s’agisse des batailles politiques du Sénégal, qu’il s’agisse de celles que vous connaissez bien, qu’il a menées à l’UNESCO, qu’il s’agisse de celle, à l’automne de sa vie, des Assises Nationales du Sénégal, qu’il accepta de présider, pour ne pas se dérober à l’appel du peuple, ou qu’il s’agisse enfin, de celle menée contre la maladie qui l’emporta.
Il n’a jamais failli !
Sa personnalité rayonnante se nourrissait de passions diverses.
Sa bibliothèque riche de plus de 12000 ouvrages témoignait de son amour de la lecture.
Dans son jardin il s’adonnait à la culture de plantes aromatiques et prenait soin avec amour de la constellation de fleurs qu’il y semait. Il en faisait de beaux bouquets qu’il offrait à son épouse, et à ses amis.
Mais n’était-ce pas là une réminiscence du jardin médicinal de son enfance à Louga ?
La photo était un autre de ses hobbies et il photographiait les fleurs avec art.

Un éducateur dans l’âme
Professeur jusqu’au bout des ongles, il se plaisait à demander à tous ceux qu’il rencontrait leur origine et leur racontait l’histoire de leur pays, de leur ville, de leur peuple.
Doté d’un véritable talent de conteur, soutenu par une mémoire prodigieuse, il captivait son auditoire par ses récits.
Il relatait, entre autres, son enfance, l’histoire d’Haïti, sa vie d’étudiant à Paris, la création de Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), son rôle dans la lutte anticoloniale. Son engagement valut au professeur qu’il devint, d’être affecté, par l’administration coloniale, à Rosso, en Mauritanie, « exil » qui fit le grand bonheur de ses élèves !
Nommé Directeur du service de l’éducation de base pour le Sénégal et la Mauritanie, une structure initiée par Jaime Torres Bodet, alors Directeur Général de l’UNESCO, il prit l’initiative de se rendre au siège parisien de l’organisation pour mieux appréhender sa mission. Ce fut son premier contact avec l’organisme dont il allait être le premier directeur africain, 22 ans plus tard. L’éducation de base lui permit de sillonner, d’observer et de connaître parfaitement son pays natal, bien avant d’en devenir le ministre de l’éducation puis le représentant auprès de l’UNESCO.
L’Education de base exigeait souvent de la diplomatie. Lors d’une mission, il s’était vu notifier, par le chef d’un village de Casamance, l’interdiction de projeter un film. Le cinéma, c’est tabou, disait-ce dernier. Après avoir réuni son équipe, il décida de capter des images des villageois dans leurs activités quotidiennes. Il se rendit le lendemain chez le chef du village pour lui montrer son film, et le chef lui-même demanda à être enregistré. Les projections du documentaire sur le village et du film de Charlie Chaplin eurent un tel succès que les habitants en redemandèrent tous les soirs.
Amadou Mahtar Mbow avait l’art de surmonter les obstacles en douceur !
Il racontait ses années de jeune adolescent, éclaireur dans le mouvement scout laïc où on le surnomma « écureuil actif », le bien-nommé dirais-je !
Amadou Mahtar Mbow est resté très actif jusqu’à un âge très avancé. Il se rendait à des réunions, travaillait beaucoup et en homme moderne qu’il continuait d’être, envoyait des mails et des messages par whatsApp, jusqu’au moment où, à 98 ans, une malencontreuse chute vint lui ôter sa pleine mobilité. Il garda tous ses esprits jusqu’à ses derniers instants.

Un homme de cœur
Il recevait tout le monde, aidait les démunis, les prenait avec lui dans son véhicule, apportait soutien et réconfort à ses proches et à tous ceux qui venaient à lui. Il était considéré comme un père ou un grand-père par des milliers de personnes.
Je n’ai jamais, au grand jamais, vu mon père en colère. Contrarié, oui, mais même alors, sa légendaire courtoisie ne le quittait jamais.
Les expressions « je suis occupé », « je n’ai pas le temps », « nous verrons cela plus tard » ne faisaient pas partie de son vocabulaire. Il avait un attachement profond pour sa famille. Père attentionné, malgré ses écrasantes responsabilités à la tête de l’UNESCO, il trouvait toujours le temps de rendre visite à ses enfants et petits-enfants chaque semaine.
Ses petits-enfants soulignent « sa volonté constante de leur transmettre le courage de travailler dur pour faire briller notre continent et pouvoir aider nos communautés ». « Sa confiance débordante a été pour moi un grand moteur de ma vie. Il m’a poussée à rêver, à avoir de grandes ambitions » dira l’une d’elles.
Epris d’un amour tendre pour son épouse, il chantait sur l’air de la Paimpolaise, « j’aime les Cayes et sa belle haïtienne » en prenant la main de sa Raymonde, sa compagne pendant 73 ans.
L’amour tenait une telle place dans sa vie qu’en apprenant qu’il était parti au ciel, l’une de ses arrière petites filles s’exclama, « Oh, j’avais encore tellement de bisous à lui faire !
Un être lumineux
La fresque offerte par l’UNESCO, sise sur la bibliothèque de l’Université portant son nom à Dakar et qui le représente entouré d’un soleil éclatant, est à son image, celle d’un être lumineux.
Si ses mots se firent rares dans les derniers moments, seul son ultime souffle de vie lui ôta son merveilleux sourire.
Amadou Mahtar Mbow aima infiniment les peuples du monde qui le lui rendirent bien.

​​​​​​​Palais de l’UNESCO
​​​​​​​Paris le 14 novembre 2024

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