LE MAGNIFIQUE LAMINE EST PARTI !
Difficile de démarrer cette homélie du fait d’une peine grossissante et tenace que je tente de dominer, depuis la lecture du texto de Abdoulaye dit Baba envoyé à 2heures 57 minutes du matin et lu à 05 heures. « Mablaye, ton ami Lamine BIAYE est parti, suite à un malaise ! ». Je fronce mes yeux, ne comprenant pas la phrase que je relis puis pose le téléphone sur le lit, via son écran, gestes répètés comme un loufoque, avant de m’écrier la « khalimatou saada », « laa ilaaha illa lahi », de manière ininterrompue, comme dans une chanson, je sens la désagrégation d’une partie de mon corps. Je craque. Mon frère Lamine vient de rendre l’âme.
L’autre épreuve devant moi est l’annonce de la terrible nouvelle à mon épouse, juste au moment où je quitte le domicile. « Je viens de perdre un ami. Un grand ami. Un véritable ami. Un ami au vrai sens du mot. Un ami pas comme les autres : Lamine BIAYE ». Lui dis – je, comme un poète.. Histoire de la préparer à recevoir le coup de massue, qui lui fait baisser la tête.
Le chapelet à la main, en route pour le quartier des Mamelles, à Ouakam, où, toi, tu viens de déménager, depuis neuf mois, je contemple les posters qui portent ton effigie, planqués depuis quelques mois dans toutes les grandes artères de la ville. Toi, le bel homme vêtu d’un costume bleu de nuit, assorti d’une chemise bleu – ciel, parlant au micro, avec la gestuelle spécifique aux grands orateurs. « Allahou Akbar », marmonnai – je, comme dans un refrain.
Il est 6 heures 35 minutes, au moment où je franchis le seuil de ta belle villa, qui renvoie à ton goût prononcé de l’Élégance et de l’Excellence. Mon récurrent « Laa ilaaha illa lahi » emplit l’atmosphère de la maison. Inconsolable et abattue, madame BIAYE, au milieu des siennes et de son oncle Daouda SEMBÈNE, le regard perdu, mesure, à coup sûr, la dimension de la perte subite d’un époux atypique, d’un ami, d’un confident, d’un cousin à plaisanterie.
En dépit de la présence des urgentistes appelés aux secours, SOS – Médecins et SUMA Assistance, munis de leur matériel médical de dernière génération, tu rends l’âme au Maitre de ton destin, soutenu par tes braves enfants, Pape Salif, Adja Mariama, Madame BIAYE et tes frères venus à la rescousse, je parle de Abdoulaye dit Baba et de Moussa. Le petit Hamza et ton frérot Moustapha étant absents. Le verdict divin est prononcé. Tu pars, après avoir effectué un baroud d’honneur, le vendredi 1 er juillet 2022, à Dieuppeul, le quartier de notre enfance, où tu présentes tes condoléances au décès d’un frérot Babacar SÈNE, dont je t’avais fait part, comme à chaque fois qu’un événement survient dans la localité. Du coup, nombre de dieuppeulois allèguent t’avoir vu ce vendredi, comme par prémonition, à l’annonce de la tragique nouvelle.
Boy Lamine, comme, affectueusement, tu m’appelais aussi, boy Mablaye ou boy Mabs, tu ne m’as rien dit ; tu ne m’as pas averti ; tu ne m’as pas montré de signes précurseurs du voyage sans retour. Et pourtant, de mes imperfections d’humain, j’ai toujours pensé que le jour de ma mort, c’est toi qui témoignerait devant Dieu et devant les hommes de ce que fut ma vie. Parce que nul ne me connait mieux que toi. Hélas, Le Grand Planificateur en décida autrement. La mort dans l’âme, je me résigne devant cette mort qui est venue te cueillir, cette mort qui précède la vie, dans sa légendaire ponctualité, comme décrite dans la sourate « Moulk », « Khalakhal mawta wal hayaata ». Celle – là, à laquelle, nul n’échappe.
En compagnie de Pape Salif et de son ami, nous nous rendons à la morgue où Baba et les Professeurs El Hadj SECK et DIOUF nous rejoignent. Chose extraordinaire ! À l’évocation de ton nom devant l’agent du service, au tirage du tiroir où tu reposes, j’eus l’impression que c’est le visage de ta maman, ma tante Mariama SONKO, qui t’est prêté. Juste le beau visage d’une personne qui dort. « Allahou Akbar ». Je dis d’abord au quidam : « ce n’est pas lui ». Il relit le nom correspondant. Et Baba, de rétorquer par l’affirmative. Je réalise l’effectivité de ta disparition. Mes silencieux sanglots retentirent. Je fais l’effort de ne point m’emporter devant note fils, à qui je dois réconfort, sans être fort, au tréfonds de moi-même. Je m’efforce de lui recommander de venir te regarder, au moment où lesdits sanglots redoublèrent d’intensité.
Sur la route de la grande mosquée de Castors, je prends place dans le corbillard, juste devant toi, te couvrant de prières lues sur le livre « Haayatoul makh soudatoul koubraah », à côté d’un de tes neveux, tandis que Baba s’installe aux côtés du chauffeur. Contournant le rond – point de la station SHELL du Point E, le véhicule tombe en panne. Me rappelant de l’effet « Siissou » souvent constaté et évoqué par les anciens, consistant à ordonner au fils, à la fille, ou à la conjointe du défunt de devancer le décédé, au risque de vivre une immobilisation permanente, d’un signe de la main, je demande au Professeur SECK, qui conduit Pape Salif de dépasser le corbillard. Sitôt qu’il s’exécute, nous démarrons en trombe. Un événement irrationnel, mais vrai. Tant tu as aimé ta progéniture.
En vue de la préparation de la toilette mortuaire, Baba, courageux, prend ses responsabilités, à la morgue de la mosquée. La levée du corps te ressemble et rappelle celle de ton ami et marabout, l’imam Mouhamadou POUYE. Tant ton altruisme traduit la présence de ce monde fou – parents, proches, communauté universitaire, connaissances, et j’en passe – débordant l’enceinte du lieu de culte, venu prier pour toi et t’accompagner à ta dernière demeure.
Au demeurant, cette foule qui rappelle la levée du corps des grands hommes, manifeste sa patience devant les imams qui nous renvoient aux versets du Coran et aux « Hadith » du prophète Mohamed ( psl ) afférents aux circonstances. Le professeur Samba NDIAYE de l’Ecole de l’Art Oratoire s’envola dans un speech digne d’une démonstration de prise de parole en public, truffé de citations du Saint Coran et focalise l’attention de l’assemblée, énumérant tes qualités morales, humaines, ton rôle dans cet établissement et tes relations privilégiées avec son directeur fondateur, Docteur Cheikh DIALLO.
Suite au témoignage de deux de tes parents, Baba fait ton éloge, en mettant l’accent sur ton sens de la parenté, ton exemplarité à plusieurs points de vues, l’émulation dont tu fais preuve aussi bien pour tes jeunes frères biologiques que ceux du quartier tant tu fixas la barre des études si haute. Alors que ma fierté résultant de notre compagnonnage s’amplifie, je laisse parler mon cœur à haute voix sur tous les aspects de notre vie commune, de l’école coranique, à l’âge de quatre ans, à maintenant, en passant par nos cycles élémentaire, moyen, secondaire et universitaire. J’évoque les deux discours prononcés par l’imam Mouhamadou POUYE et moi-même, lors de ton mariage, à Rufisque, aux côtés de nos oncles de Dieuppeul, Ibrahima SADIO et Malamine BADJI. Ce fut relativement long mais par devoir, devant les anges présents en de pareilles circonstances, je me dois de relater la quintessence de ta vie de sexagénaire, qui reflète ta dimension, ta stature, tes qualités, ton cursus, tes combats sur le chemin de l’honneur, la publication de tes deux livres dans le secteur de la communication et les deux autres, qui paraitront à titre posthume et que sais – je ? « Allahou Akbar » !
Boy Lamine, ensemble, nous avons, joué au football sur la pelouse du jardin public de Dieuppeul 2 ; nous nous sommes laissés glisser sur cette balançoire à tour de rôle ; nous avons joué aux cinq pénaltys comme il était de coutume, aux petits camps, à la course de vitesse où personne ne t’égalait au regard de ta musculature d’athlète, d’où ton surnom de gamin de « Le fou » ; nous avons été adversaires à l’UASSU, sur le terrain des Cours Sainte Marie de Hann, toi dans l’équipe du Collège Notre Dame du Liban et moi dans celle du lycée Van Vollenhoven ; nous nous sommes retrouvés à l’école coranique, au daara de Serigne CISSÉ, chez les Momar NIANG et chez les Amine SÈNE ; nous avons appris à danser ; nous avons dansé sur moult pistes ; nous avons appris à bien nous habiller, à aller au stade Demba DIOP ; nous avons suivi l’évolution de Dieuppeul. Comme nos quatre cents coups, en commun.
Boy Lamine, je te revois, tiré à quatre épingles, avec ta cravate rouge – bordeaux, coupée, ta chemise à manches longues de couleur beige, assortie à ton pantalon marron foncé, alors que nous devrions avoir 14 ou 15 ans, incitant un de nos ainés à dire que Boy Lamine est votre « grand ». Nous nous sommes battus une fois chez Vieux NIANG, à l’âge de 9 ou 10 ans, alors qu’on s’apprêtait à démarrer le bal, belliqueux que je fus, je t’ai surpris par mon attaque ; ce que tu m’as reproché et rappelé récemment. Tu aimes à rappeler l’avance que j’avais sur nombre d’entre nous à l’école coranique et qui me faisait accuser du retard quant à rejoindre notre équipe de football.
Boy Lamine, le littéraire, je rigole toujours quand l’image de la préparation du baccalauréat me revient à l’esprit, lorsque je t’ai trouvé dans votre salon en train de souffrir à l’épreuve d’un exercice de mathématiques relatif aux exponentielles, si simple pour moi, qui fus en série scientifique. Tu étais torse nu du fait de la chaleur suffocante du mois de juillet, en sus de celle dégagée par l’opération, anecdote que j’ai racontée ailleurs pour te chambrer.
Boy Lamine, à bas âge, tu incarnas le professeur de français que tu es devenu, toi le fils de l’éminent enseignant normalien, formé à l’école normale de Katibougou, au Soudan français, le discret El Hadj Salif BIAYE, ancien directeur de l’école de Clémenceau, homonyme de Pape Salif. Ton pater dont tu m’as raconté les péripéties de son cursus scolaire balisé de voyages de districts en districts, en fonction de ses classements de premier de la classe.
Boy Lamine, ton honorable parcours d’universitaire mérite d’être évoqué dès lors que tu as toujours réussi aux examens du mois de juin, avec la mention s’il vous plait, au département de lettres modernes, spécialité littérature africaine. Et tu décroches la licence, la maitrise, le sésame d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure, le Diplôme d’Etudes Approfondies (D.E.A.), le Certificat d’Aptitude à l’Enseignement Supérieur (C.A.E.S.), à l’Université Cheikh Anta DIOP. Plus tard, tu soutiens ta thèse de doctorat à l’Université Gaston Berger de Saint Louis, sous la houlette du Professeur KABACOULOU. Tu enseignes au Groupe scolaire Thierno Souleyemane BAAL, au lycée Aoun SANÉ de Bignona, au lycée Thierno Seydou Nourou TALL, au lycée technique Maurice Maurice Delafosse, à l’Université de Ziguinhor, à l’Université Cheikh Anta DIOP, à l’Université de Dakar – Bourguiba, à l’Université Amadou Hampathé BẬ, au C.E.S.A.G., à l’Université Virtuelle du Sénégal (U.V.S.) dont tu fus un des précurseurs. Tu rends visite au maire que j’étais avec comme doléance la recherche d’une grande salle, qui puisse abriter les cours de l’U.V.S. À défaut de la salle du centre socio – culturel de Derklé, celle de la Petite Ecole Protestante de Dieuppeul me fut accordée. Ainsi, tu démarras la première année de ce temple du savoir.
Aussi, tu encadres ta vaillante épouse Fatoumata Binetou DIA à réussir avec brio la soutenance de sa thèse de doctorat d’État en droit privé et au Concours de l’agrégation dont elle fut l’unique sénégalaise admise, à cette session. Autorise-moi de révéler cette confidence entre le président Ousmane Tanor DIENG et toi, qui t’a choisi pour la rédaction de ses mémoires.
L’année dernière, tu m’as apostrophé pour m’instruire d’une voix inhabituelle, avec un ton inédit, de cesser de penser à l’autre avant ma propre personne. Je compris, en effet ; le sens de cette injonction, résultante d’une discussion que tu as eue avec des proches. Il y’ a deux mois, tu m’as téléphoné, pour m’annoncer la reprise des rencontres du week – end, sous le manguier de la maison familiale de Dieuppeul 2 ; et cette fois – ci, chez toi, au deuxième étage, comme promis, à l’espace qui portera mon nom : Mame Abdoulaye TOUNKARA. Hélas !!!
Docteur Mouhamadou Lamine BIAYE, les rues de Dakar sont parsemées de tes effigies, l’écrivain, l’intellectuel, l’homme élégant costumé de bleu, faisant part du slogan de l’Ecole de l’ E.A.O., où tu m’as invité et où j’ai pris la parole, dans le tempo de l’Art Oratoire, en récitant notre leçon à nous deux, celle du résumé de notre commun parcours, comme tu le fis, séance tenante, dès ton retour de la salle de délibération ou lors du mariage de ma fille Ndeye Mberla, dont tu fus le parrain, devant une large assistance, le 18 décembre 2020.
Docteur Mouhamadou Lamine BIAYE, combien de générations d’élèves, d’étudiants et de séminaristes sont passés entre tes mains ? L’histoire en jugera. Tu as bien travaillé. Mission accomplie. Tu pars, certes, fier de ton oeuvre, nous rendant plus fiers, de ces fiertés démesurées enclines à verser dans le narcissisme. Point de honte, d’outre – tombe, à la rencontre de tes parents ou de nos amis, les brillants Jean Pierre DIONE, Amadou Lamine DAFFÉ, Samba FALL Bathie et j’en passe. Je ne sais pas, à quand notre prochaine rencontre ? Certainement, au paradis, in sha Allah.
Mes condoléances à ton épouse et à tes enfants, aux familles BIAYE, DIA, SADIO, SEMBENE et TOUNKARA, au groupe d’amis dont je citerai le cousin Ismaila SONKO, Lamine BEYE, Birane DIA, à la communauté universitaire, à l’Ecole de l’Art Oratoire et à tout Dieuppeul, qui perd un illustre fils ; mais aussi à nos ainés Ismaila BIAYE et Abdoulaye BOCOUM.
Que Dieu nous aide à nous unir dans l’épreuve qu’est ton absence !
À Dieu, cher frère !
« Inna lilahi wa inna ilayhi radj’oun »
Ton obligé, Mame Abdoulaye TOUNKARA, Mabs
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