Desmond Mpilo Tutu notre mentor, vade-in-pace!
A la disparition de Nelson Mandela, le Directoire National de Bes Du Ñakk avait fait une déclaration sous ma signature, intitulée : “Mandela notre amour”. Aujourd’hui, son frère jumeau, un des plus grands militants pacifistes que le monde ait connus s’est éteint et la planète entière s’incline devant sa mémoire. Le directoire national de Bes Du Ñakk magnifie le travail remarquable et glorieux de cet homme d’église. Ce géant humble a mené, toute sa vie durant, une lutte inépuisable pour la paix et l’émancipation de son peuple.
Après 27 ans de détention, lorsque Mandela est sorti de prison en 1990, il a passé sa première nuit d’Homme libre avec Desmond Mpilo Tutu, notre mentor, qui a porté la lutte pour la libération de son frère de combat.
En ma qualité de Co-président du Conseil Mondial des Religions pour la Paix, je m’associe au brillant hommage que notre Secrétaire Générale, Azza KARAM, vient de lui rendre. Desmond Tutu était un ami et un mentor pour beaucoup de membres de la famille de Religions pour la Paix. Il était un messager de l’espoir. Ces rires ouvraient nos cœurs et sa langue trempait notre conscience. Sa confiance en Dieu et son sens de l’humain ont eu raison de toutes les formes de racisme, d’intolérance et d’injustice.
Il fut également le Président de la Commission de la Vérité et de la Réconciliation chargée de faire la lumière sur les crimes et les exactions politiques commis durant l’apartheid.
Desmond Tutu continuera à inspirer nos batailles d’aujourd’hui et de demain. Oui, ce prêtre anglican était un militant engagé ; et faisait partie de cette race d’hommes religieux qui ont décidé de ne pas rester insensibles face à l’oppression et à l’injustice en jouant leur partition dans l’arène politique. A ceux qui s’en offusquaient de cet engagement, il répondait : « quand les puissants de la terre nous critiquent parce que nous faisons cette chose très “laide” qu’est mélanger la religion à la politique, nous répondions -mais quelle bible lisiez-vous ? » ; et il ajoutait « la paix implique forcément la vertu, la justice, la salubrité, la plénitude, la participation aux décisions, la joie, le rire, la compassion, le partage et la réconciliation ».
Desmond Tutu, qui fut Prix Nobel de la paix le 10 Décembre 1984, a toujours été une source d’inspiration pour moi, le religieux, qui fait l’objet parfois de critiques pour son engagement politique. Et pour rejoindre Desmond Tutu, je répondrais aussi : Quel coran lisez-vous ? Parce que dans le Livre Saint il y’a plus de versets parlant de politique sociale et sociétale que de versets parlant de prière, de jeûne, ou de pèlerinage. En effet, tout le récit portant sur la vie des prophètes et qui constitue l’essentiel du coran, est un narratif pour rappeler au pouvoir politique la grande considération due aux populations. Et la citation qui m’a toujours inspiré est celle-ci : « rester neutre face à l’injustice c’est avoir choisi son camp, soutenir le statu quo ». C’est la raison pour laquelle j’ai l’habitude de dire que quand l’essentiel est en danger, s’engager est un devoir.
Indubitablement, le sacerdoce religieux ne saurait être antinomique à l’engagement politique qui devient même un devoir, tel que l’avaient compris, Thierno Souleymane Baal, Abdul Kader Kane, El Hadj Omar Foutiyou Tall, El Hadj Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba et plus récemment Serigne Babacar Sy et Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum et bien d’autres, qui nous ont très tôt servi de boussoles comme l’ont été Tutu et plusieurs figures emblématiques de notre époque dont Barack Obama et Dalaï-lama. Comment serait-il possible de rester insensibles aux innombrables problèmes du Sénégal du fait de la précarité, du sous-développement, de la mauvaise gouvernance, de l’absence de cap et de capitaine, de la corruption. Les mêmes maux qu’a toujours décriés Desmond Tutu qui, avec la même énergie et rigueur, a combattu les présidents Zuma et Mbéki pour dénoncer leurs déviations par rapport aux principes qui ont sous-tendu la longue lutte qu’ils ont menée ensemble.
Desmond Tutu était une conscience exceptionnellement bénie. Après la libération, il déclarait : « Il n’y a pas d’avenir sans la réconciliation et le pardon dont la seule condition est l’aveu de la vérité ». Il nous appartient aujourd’hui de continuer à vivifier la profondeur de son legs.
Récemment, à une conférence internationale de toutes les religions à Abu Dabi sur le vivre ensemble, il revenait à chaque instant à l’esprit de tout le monde « la nation arc en ciel » que l’archevêque avait mise en place avec un courage inaltérable. Cet homme religieux nous a appris à ne pas baisser les bras, à ne jamais renoncer à l’espoir que les peuples de toutes couleurs, de toutes fois, riches comme pauvres, de toutes les générations, se soulèveront un jour.
Bës Du Ñakk, dès sa naissance, a pris l’option d’un rassemblement à l’instar de cette prestigieuse structure qu’est l’ANC (African National Congress ) qui a su regrouper des forces idéologiques socialement autonomes, mais partageant des objectifs communs essentiels. L’expérience de l’Afrique du Sud a guidé la réflexion de Bës Du Ñakk pour le mode d’organisation et de leadership, tout en l’adaptant à la situation du Sénégal au moment où l’Afrique souffre tragiquement de l’absence de leaderships sérieux et d’éthique : c’est-à-dire porteurs d’idées novatrices, ayant les aptitudes intellectuelle et scientifique pour décliner une telle vision en stratégie opérationnelle.
Un célèbre homme politique français Jacques Lang disait de Nelson Mandela : « le grand homme politique du 20ème siècle celui qui a devancé, de par sa sagesse, tous ses contemporains, s’appelle Nelson Mandela. Il fut élu président au terme de plus d’un siècle de luttes multiples pour mettre un terme à la domination raciste et impitoyable des blancs sur ce pays d’Afrique australe. Mandela est l’archétype de l’homme politique tel qu’on aimerait en fréquenter un peu plus, le meilleur dans tous les domaines : la conviction, la sincérité, le courage. Il démontre une étonnante capacité de s’améliorer en tirant les leçons de la vie qui nourrit et fortifie, ce qu’on appelle le sens de la politique ». Nous pouvons en dire autant de Desmond Tutu. Nous souhaitons ardemment la même orientation pour les politiques d’aujourd’hui, afin d’éviter ce que Platon, cité par Jacqueline de Romilli appelait la théâtrocratie « ce stade d’évolution de la démocratie où tout le monde se croit compétent sur tout sans avoir rien appris. Chacun acquiert alors une assurance qui se transforme bientôt en impudence, refuse toute autorité et, finalement, cherche à désobéir aux lois, ne respectant plus ni serment, ni engagement ». L’archétype vivant de cette théâtrocratie est le pouvoir actuel du Sénégal. Ce tintamarre indigeste et obscène que nous avons subi sur le TER (Train Express Régionale) la semaine dernière en est un exemple éloquent : projet inabouti sans pertinence cachant beaucoup de non-dits. Un autre exemple, le non-respect des engagements du pouvoir actuel (mandat cinq ans et sept ans …).
Il n’y a pas de doute que ce samedi 1er janvier, au moment de l’inhumation de Desmond Tutu, des milliers d’hommes et de femmes ont eu les yeux rivés sur cet icône mondiale : Desmond Tutu. La qualité qu’il incarnait sans doute mieux que quiconque demeure indubitablement la sagesse. Et cette fierté inflexible qu’il portait en eux était chez Mandela comme chez Desmond Tutu, une vertu héritière. Ils ont tous les deux étés formés dans les écoles des missionnaires à la fin du 19ième siècle comme la plupart des membres de la Direction de l’ANC.
Tutu, un creuset de leçons pour la jeunesse africaine, leçons d’endurance, de fermeté, de conviction, de don de soi, d’oubli de soi, du sens de l’élévation au profit de la mère patrie qui se résument en un seul mot : le Patriotisme ! Un sacerdoce qui continuera d’inspirer Bes Du Ñakk dans ses batailles. Nous nous inspirerons toujours de ces deux exemples de patriotisme que sont Nelson Mandela et Desmond Tutu, pour chanter la poésie des générations futures.
Par-dessus tout, on aimerait voir les dirigeants sénégalais prendre exemple sur eux. A ces dirigeants, présents et futurs, nous rappelons que trois raisons guident l’engagement politique :
-être élu,
-être réélu
-laisser son nom dans l’histoire
Le Président Macky SALL a été élu et « réélu » ; il lui reste de laisser son nom dans l’histoire comme l’ont fait Desmond Tutu et Mandela, toute proportion gardée. Mais nous lui souhaitons qu’il puisse prendre exemple sur eux. Il peut également laisser son nom dans l’histoire comme Blaise Compaoré, Idi Amin Dada et Yahya Jammeh. Nous ne le souhaitons ni pour lui ni pour le peuple sénégalais. C’est à lui de choisir et l’histoire sera là pour juger.
Dès maintenant, nous pouvons l’inviter à s’inspirer de cet humble prélat dont l’existence fut émaillée de combats exténuants et dantesques contre toutes les formes d’injustice provoquées par les hommes, toujours vêtu de son éternel surplis pourpre. Les éléments qui, à la faveur du destin, font des hommes et des femmes ordinaires des figures tutélaires, étaient tous réunis chez cet homme, dont la vie a pu s’épanouir au-delà des risques incalculables, soutenue par une énergie toujours renouvelée. Quand nous entendons le Président Macky Sall dire qu’il va réduire l’opposition à sa plus simple expression ou voir la cour suprême invalider sans raison acceptable les listes de la coalition Yewwi Askan Wi à Pikine, à Kédougou etc…, et quand le Président choisit ses adversaires à toutes les élections, nous constatons que le pouvoir provoque le peuple sénégalais au-delà du supportable. Et ce constat nous renvoie à la fameuse profession de foi de Desmond Tutu qui guidera la philosophie d’un apôtre profondément engagé contre toutes formes d’injustice, de discrimination et de répression : « vous provoquez nos noirs au-delà du supportable. Voulez-vous nous pousser au désespoir ? Les gens poussés à bout, sont amenés à recourir à des moyens désespérés. Nous serons libres un jour, Vraiment libre, tout, noir et blanc, dans une Afrique du Sud libre. Et je répète : rien n’arrêtera notre libération. Nous ne voulons pas de Violence. Nous ne voulons ni la mort, ni la destruction. Nous voulons la paix, la justice et l’ordre. Nous sommes des êtres humains et nous croyons que vous en êtes également. Je vous prie au nom de Dieu ; ne nous poussez pas au désespoir. Et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour détruire ce système diabolique, quel que soit le prix demandé, rien ne m’arrêtera ». Cette sagesse devrait inspirer les dirigeants africains y compris ceux du Sénégal d’aujourd’hui.
Cette profession de foi de Tutu donne une explication très claire des évènements de Mars 2021 et nous pouvons clamer avec lui « nous ne voulons pas de violence ni de la mort ni de la destruction. Ce que nous voulons c’est la paix, la justice et l’ordre ». Non Monsieur le Ministre de l’intérieur, nous ne sommes pas des terroristes… Au nom d’Allah, je demande de ne pas pousser le peuple au désespoir. Il ne lâchera rien.
Adieu Desmond Tutu ! Vade-in-pace ! « La voix tendre et rieuse jamais effrayée restera à jamais celle des sans voix » prophétise à propos de lui son frère jumeau de combat Nelson Mandela. Cette voix s’en est allée aujourd’hui mais sa résonance continuera au Sénégal et dans le monde entier à inspirer nos luttes avec espoir et détermination.
Sénégal demain un autre pays, ëllëg ay dàq !
MANSOUR SY DJAMIL
PRESIDENT BES DU NIAK
CO-PRESIDENT DU CONSEIL MONDIAL DES RELIGIONS POUR LA PAIX
DEPUTE A L’ASSEMBLEE NATIONALE DU SENEGAL
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