La forte mobilisation des guinéens pour user leur semelle sur l’asphalte de Conakry le jeudi 24 octobre, à peine quelques jours après les tueries des 14 et 15 octobre, est l’expression d’un sursaut salvateur de la société guinéenne.
Sevrés du droit de manifester pacifiquement pendant plusieurs mois en dépit de son inscription dans la Constitution, les partisans du FNDC avec l’aval des autorités gouvernementales soumises à d’énergiques pressions de la communauté internationale, ont démontré le rejet par une majorité des guinéens du projet « d’une nouvelle Constitution ». Les mouvances FNDC, « amoulanfé », et brassards rouges qui toutes, militent pour la défense de la Constitution, ont pu converger facilement car la réussite de ce projet gouvernemental signifierait la perpétuation du blocage de la société guinéenne.
La société guinéenne a connu d’importantes mutations durant cette décennie. L’explosion du nombre des radios privées sur la bande Fm dans une bonne partie du territoire national a contribué à libérer la parole par le biais de débats interactifs sur tous les sujets où domine la politique. Les centres urbains et les zones rurales sont impactés par la libéralisation des ondes qui a progressivement fait émerger une conscience critique. Mais ce sont surtout les réseaux sociaux tels que Facebook et dans une moindre mesure Twitter qui ont littéralement bouleversé le mode de pensée des guinéens. Les plateformes WhatsApp pullulent et abolissent les distances en permettant aux ressortissants des collectivités rurales de créer de nouveaux moyens de socialisation et de discussions.
Les clubs de débats, les radios-internet, les blogs et les sites ont changé notre environnement mental. La société de type archaïque, féodale et machiste est battue en brèche par l’émergence d’une nouvelle société décomplexée, décloisonnée, ouverte et virtuelle. La tranche d’âge des moins de 45 ans qui constitue plus de 80 % de la population guinéenne est active dans les réseaux sociaux et s’est libérée des pesanteurs sociologiques d’avant. Le monopole de l’information a volé en éclats. Ainsi de nouvelles idées ont pu émerger. Les catégories sociales comme l’ethnie, la famille, les liens lignagers ne sont plus les seules qui déterminent une opinion ou un code comportemental. Chaque individu urbain est ainsi à la fois attaché aux relations virtuelles qu’aux liens traditionnels. Cette Guinée qui se déploie sous nos yeux est différente de la Guinée des années 80 et 90.
Cette Guinée majoritaire qui entend croquer la vie en pleine dents est frustrée et elle nourrit un grand sentiment d’insatisfaction du fait du retard du pays dans maints domaines. Elle souhaite être à l’image des pays émergents qui progressent comme le Ghana, le Sénégal où la Côte-d’Ivoire. Elle est déçue et elle est en colère. Elle est choquée de constater avec amertume, que les jeunes guinéens sont légions dans la migration clandestine vers l’Europe. Nul ne peut dire avec certitude le nombre des nôtres qui sont morts dans le désert du Sahara ou noyés au fond de la Méditerranée. Ils sont plusieurs centaines qui sont actuellement bloqués dans le bourbier libyen. En France et en Belgique, le nombre des demandeurs d’asile originaires de la Guinée est parmi les plus élevés. C’est la banale réalité qui hante les esprits.
Les dizaines de milliers des manifestants pacifiques du 24 octobre sont massivement sortis pour exprimer leur amertume vis-à-vis de l’ordre politique actuel qui semble les avoir abandonnés et qui reste sourd à leurs cris de colère. Ils aspirent à voir la Guinée gouvernée autrement où les valeurs de vertu, de compétence, d’équité, de transparence et de solidarité sont les déterminants d’une société à construire. Au-delà du rejet de la « nouvelle constitution », les guinéens désespèrent de patauger dans le dénuement et la misère. Ils veulent enfin l’avènement d’une « nouvelle société » où les différences ethniques disparaissent pour céder la place à l’émergence de la communauté des citoyens. Il est important que cela soit compris. Un ancien monde se meurt et le nouveau, rencontre pour son éclosion, des obstacles et des contraintes qui tentent de freiner son essor. Etre de son temps c’est avoir l’attitude politique de ne pas s’y opposer mais surtout de l’accompagner. C’est ce que nous attendons du Président de la République M. Alpha CONDE.
BAH Oury
Ancien Ministre de la Réconciliation Nationale
Président de l’UDD
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