« Nous sommes une génération d’idées ». Abdourahmane Diouf, le sémillant leader du parti Awalé, est le porte-étendard d’une nouvelle génération d’hommes politiques qui revendique un positionnement en rupture avec les pratiques de ses devanciers. Pour nombre de politistes, en effet, « il y a génération politique lorsqu’un groupe d’âge historique se mobilise pour œuvrer au changement social et politique ». Cette nouvelle génération donc, voudrait marquer son époque. Ils sont souverainistes en ce sens qu’ils prônent une « indépendance réelle », une « plus grande autonomie » ou, tout au moins, « un surcroît d’autonomie » vis-à-vis des puissances économiques. Pour ce faire, ils professent une diplomatie ouverte et un partenariat équilibré avec, toujours, la défense farouche des intérêts nationaux. Le préalable pour Déthié Fall, Thierno Bocoum, Bougane Guèye Dany, Abdourahmane Diouf, Thierno Alassane Sall, Ousmane Sonko et d’autres, moins connus, c’est de « débarrasser » le pays de ceux qu’ils qualifient de « politiciens ».
La lutte contre ce que Sonko appelle « système » est au cœur de leur engagement. Dans leur embardée contre l’ordre ancien, ils voudraient faire comme une fameuse marque de lingettes qui vante la destruction de 98 % des germes et des bactéries. Ils feront avec les 2% restant en leur distribuant des certificats de virginité. C’est le sens de certaines alliances. Khalifa Sall qui soutient qu’il faut être à l’intérieur du système pour le corriger ou le combattre, comprend-il que ces jeunes loups voudraient l’utiliser comme marchepied dans leur quête de renouvellement ? Abdourahmane Diouf et Déthié Fall qui ont été sondés sur une possibilité de retrouver Idrissa Seck, leur ancien mentor, sont formels : « Nous sommes l’avenir, c’est à lui de nous soutenir en souvenir des efforts que nous avons consentis pour lui ». On a compris que pour eux, le leader de Rewmi est à ranger aux rayons des vieilleries. Exit donc les héritiers des quatre courants de Senghor ! Macky Sall, Idrissa Seck, Khalifa Sall, Karim Wade, Malick Gackou… devront repasser.
Cette nouvelle dynamique d’affirmation générationnelle, à la fois politique, et identitaire a été déjà observée dans le passé. L’élection présidentielle de 1988 a consacré de façon manifeste une irruption contestataire de la jeunesse dans l’espace public, venant perturber les meetings du candidat sortant Abdou Diouf et descendant dans la rue pour dénoncer physiquement l’issue du scrutin. Mais au-delà, il s’est surtout agi de l’émergence d’une nouvelle génération, qui n’a pas connu les « soleils des indépendances » et qui commençait alors à s’émanciper de ce que Jean-François Havard a qualifié de « régime d’assignation politique » hérité de ses aînés. Cette jeunesse prendra une part importante dans la survenue de la première alternance en 2000. Cette nouvelle « génération d’idées » voudrait, sans doute, rééditer l’exploit, elle qui conteste le saut générationnel opéré en 2012 avec l’élection de Macky Sall à la tête de l’Etat du Sénégal. Si le quatrième président sénégalais est le premier parmi ceux qui sont nés après l’indépendance à accéder à cette fonction, il lui est reproché de n’avoir pas opéré de rupture dans la conduite des affaires. La jeunesse, cependant, n’a jamais été suffisante pour réussir en politique. Car la démocratie n’est pas un régime d’apprentissage, mais de compétence. L’autre nom de l’expérience. Mais ce qui touche à la jeunesse est toujours explosif et c’est l’un des thèmes où la démagogie porte plus que la pédagogie.
Le pouvoir aux jeunes ?
En 2007, l’historien Mamadou Diouf posait déjà le débat : « J’ai toujours été harcelé par le fait que des sociétés où 70% de la population a moins de 25 ans soient dirigées par des hommes qui ont plus de 50 ans. Il faut trouver une représentation de ceux qui font la société ». Il n’y a guère, la faible représentation des jeunes dans le système politique sénégalais frisait la discrimination. De modiques quotas leur étaient réservés dans les partis à l’instar des femmes et il y avait toujours des apparatchiks pour leur rappeler que la politique est l’affaire des vieux. Le président Wade, au moment de nommer Idrissa Seck à la primature ne s’était pas privé de l’avertir : « Je te considère comme mon fils. Je ne voudrais pas que tu te présentes comme un homme du présent en faisant de moi un homme du passé ». Ailleurs, le choix d’Abdou Diouf porté sur un jeune de 52 ans pour en faire le Premier secrétaire du PS lui a coûté son fauteuil. En effet, parce qu’ils n’étaient pas d’accord sur la place faite à Ousmane Tanor Dieng, Djibo Kâ et Moustapha Niasse ont préféré claquer la porte pour créer respectivement l’URD et l’AFP.
L’accession du pouvoir du Président Macky Sall a fait bouger les lignes et enclenché la fin de cette crise de représentation de la jeunesse. Un mouvement qui s’est accentué avec l’irruption d’Ousmane Sonko sur la scène politique. Il serait intéressant de dresser la liste des jeunes investis lors des dernières élections. Une chose est certaine, le rajeunissement de l’élite politique est en marche. Mais, il faut en convenir, les notions de « jeunesse » et de « vieillesse » sont éminemment relatives. Le sociologue Pierre Bourdieu, dans un article intitulé « La jeunesse n’est qu’un mot » souligne que l’âge est « une donnée biologique socialement manipulée et manipulable », que « les divisions entre les âges sont arbitraires » et que « la frontière entre la jeunesse et la vieillesse est dans toutes les sociétés un enjeu de luttes ».
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