Et si le duo Diomaye-Sonko optait pour le compromis pragmatique avec l’opposition ? (Par le Dr Mamadou Bodian)

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Le rejet par l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle visant à supprimer le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT), le 2 septembre, expose indéniablement une faille dans la structure du régime de Bassirou Diomaye Faye. Ce revers apparent laisse entrevoir une fragilité qui, mal gérée, pourrait constituer un obstacle majeur pour la stabilité d’une mouvance présidentielle déjà affaiblie au parlement. Les autorités doivent saisir l’ampleur des enjeux soulevés par cet épisode et entreprendre une révision en profondeur de leurs stratégies, en privilégiant une approche fondée sur le compromis (et non la compromission) plutôt que sur une confrontation politique inopportune. Cette crise, loin de sceller le sort du régime, doit être vue comme une opportunité de repenser les fondements mêmes du contrat social liant le pouvoir au peuple. Elle exige des choix pragmatiques et audacieux, orientés vers la satisfaction des aspirations populaires. Le véritable défi ne réside plus seulement dans la préservation des équilibres du pouvoir, mais dans la construction d’une nouvelle dynamique moins conflictuelle. Celle-ci devra reposer sur un dialogue constructif et une lucidité stratégique, conditions indispensables pour instaurer une stabilité durable, permettant ainsi la mise en œuvre sereine des réformes nécessaires à la crédibilité et à la pérennité du régime.

1-La fragilité parlementaire peut devenir une opportunité stratégique

Tout gouvernement, pour asseoir son autorité, doit s’appuyer sur deux piliers : une légitimité populaire robuste et une majorité parlementaire cohérente et stable. Bien que le nouveau régime conserve encore un soutien substantiel de l’opinion publique depuis l’élection de Bassirou Diomaye Faye au premier tour en mars dernier, il fait face à un défi majeur : l’absence d’une majorité législative dans un contexte de polarisation politique exacerbée. L’enjeu est de sortir de cette impasse avant que le bras de fer entre une ancienne opposition aujourd’hui au pouvoir et un Ancien Régime retranché dans l’opposition ne se prolonge, avec des conséquences lourdes sur la stabilité (institutionnelle) du pays manifeste dans notre parlement qui donne l’apparence d’une chambre sans fenêtre.

Loin de s’enliser dans une critique moralisatrice de la performance trop souvent médiocre de nombre de nos députés, dont l’efficacité est fréquemment compromise par des attitudes peu honorables, il faut constater l’érosion progressive du Parlement en tant qu’espace de débat constructif. La proposition de supprimer le CESE et le HCCT en est une illustration flagrante. Ce projet aurait pu offrir l’opportunité d’un débat serein et éclairé, non seulement pour justifier la réduction des dépenses publiques en général, mais également pour évaluer l’apport réel de ces entités dans l’architecture institutionnelle du Sénégal. Pour l’année 2024, le budget cumulé du HCCT, créé en 2016 avec 150 membres (80 élus au suffrage indirect et 70 nommés par le président de la République), et du CESE, assemblée consultative de 120 membres, dépasse les 15 milliards de FCFA. Le HCCT dispose d’un budget de 7,81 milliards, tandis que le CESE reçoit 7,54 milliards de FCFA. Dans un contexte de pressions croissantes sur les finances publiques, il est impératif de s’interroger sur l’efficience et la contribution de ces institutions aux politiques publiques.

Au-delà de ces considérations empiriques, la suppression de ces deux institutions superflues et budgétivores se justifie pleinement en tant qu’engagement de campagne, même si le timing de la soumission du projet de loi constitutionnelle paraît incongru. Dans la configuration actuelle du parlement, l’absence de concertation avec l’opposition majoritaire, combinée à un manque évident de manœuvres pour rallier les 99 voix nécessaires, a abouti à un échec prévisible : 83 voix contre 80, révélant la fragilité de la mouvance présidentielle et ouvrant un nouvel épisode de blocage institutionnel dans un système politique de plus en plus fragmenté. Dans ce contexte, le manque de dialogue sincère avec l’opposition fait craindre que chaque initiative gouvernementale ne bute sur des obstacles insurmontables. Il devient alors impératif de chercher un « compromis salvateur » où gouvernement et opposition, conscients de leurs responsabilités respectives, pourront converger vers un terrain d’entente. Dans ce schémas, l’opposition ne peut se limiter à un rôle de blocage systématique ; elle doit s’engager de manière constructive, proposer des alternatives réalistes et exercer son rôle de contre-pouvoir avec rigueur, tout en veillant à l’efficacité et à la transparence de l’action publique au nom du peuple.

2- Confrontation ou compromis ? Le temps presse et l’opinion s’impatiente

En politique, l’escalade des tensions s’apparente à un engrenage périlleux, où chaque action appelle inévitablement une réaction, créant l’illusion d’une victoire immédiate mais superficielle. À chaque nouvelle étape, ce processus ronge insidieusement les fondements du jeu démocratique, affaiblissant la cohésion sociale et laissant tous les acteurs en proie à une érosion collective. Cette dynamique est le reflet fidèle de la situation politique actuelle, où la confrontation devient le moteur principal des interactions entre camps rivaux. Chaque initiative est perçue comme une attaque directe, entraînant une réplique toujours plus virulente.

La motion de censure agitée par l’opposition est symptomatique de cette bataille de pouvoir, déclenchant en retour la contre-attaque de la majorité présidentielle qui cherche à verrouiller son contrôle à travers un usage habile des mécanismes institutionnels. La convocation d’une session extraordinaire le 5 septembre, accompagnée du limogeage des présidents du CESE et du HCCT, illustre la stratégie présidentielle visant à maintenir son autorité tout en temporisant. En parallèle, l’opposition, en fixant la Déclaration de politique générale au 11 septembre, exacerbe les tensions au sein de l’Assemblée nationale, une manœuvre perçue comme une provocation destinée à tester la solidité du pouvoir législatif, au moment où la dissolution de l’Assemblée devient une éventualité tangible à partir du 12 septembre. Bien que cette option soit prévue par la Constitution, elle comporte des risques évidents. Organiser des élections anticipées (dans l’intervalle de trois mois) dans un climat de polarisation accrue et sans les réformes électorales promises pourrait non seulement intensifier l’instabilité, mais aussi remettre en cause la légitimité des institutions. Une telle démarche offrirait à l’opposition une opportunité inespérée de mobiliser ses partisans, exacerbant davantage les clivages politiques déjà profonds.

Ce cycle de ripostes et contre-ripostes, alimenté par des calculs politiques à court terme, menace la stabilité institutionnelle du pays. Pourtant, des alternatives existent. Un compromis pragmatique et des réformes concertées pourraient apaiser les tensions et répondre aux attentes du pays, tout en évitant que cette confrontation incessante ne laisse des séquelles durables qui affaibliraient irréversiblement les deux camps. Il offrirait une chance de restaurer la confiance, d’abord au sein du Parlement, par le biais de discussions ouvertes avec les partis minoritaires et les factions modérées de l’opposition. Loin d’être un signe de faiblesse, ce compromis témoignerait d’une maturité politique accrue, renforçant la crédibilité du régime. La réintroduction de consultations préalables sur les projets de loi sensibles, comme la réforme des institutions ou celle de la justice, pourrait amorcer ce processus de dialogue. En créant un cadre de concertation régulier entre les groupes parlementaires, des experts indépendants et des représentants de la société civile, le gouvernement pourrait faciliter les discussions autour des réformes structurelles indispensables.
En fin de compte, les autorités doivent comprendre que l’adversaire réel du régime n’est ni l’opposition ni ses tentatives de déstabilisation, mais bien le temps qui s’écoule et l’opinion publique qui s’impatiente. Face à l’urgence des défis économiques, sociaux et sécuritaires, prolonger l’inaction ou le recours aux manœuvres dilatoires risque d’affaiblir irréversiblement le pouvoir. Chaque jour sans avancée concrète dans la mise en œuvre des réformes promises érode progressivement la confiance des citoyens, et si cette confiance se dissipe, elle risque de ne jamais être récupérée. La clé réside donc dans une action rapide, concrète et visible, pour combler l’écart entre les attentes populaires et la réalité des réformes, avant que cet écart ne se transforme en gouffre.

Dr Mamadou Bodian
Laboratoire des Études Sociales
Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN-UCAD)
Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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