Excès de zèle ou tentative de travestissement du Magal ? Le Magal est-il finalement un jour, une semaine ou un mois ? C’est la question qu’on est en droit de se poser en observant cette fureur quotidienne et intempestive qui s’est emparée depuis quelques semaines de toutes les rues du pays.
Des haut-parleurs dans tous les coins de rue, une rivalité en décibels, des danses endiablées, etc. : c’est quoi tout ce bruit et ce désordre ? On ne peut plus vaquer convenablement à ses occupations : partout des tentes, des cuisines à ciel ouvert et énormément de débris laissés sur place. Depuis quand un Talibé mouride peut-il inventer des choses et le mettre en concurrence avec le NDGIGUEL du Cheikh ? D’où vient cette innovation qui consiste à fêter tout le mois de Safar et à obliger tous les citoyens à suspendre leur vie et leurs occupations pour sacrifier à une tradition qui n’a aucun fondement dans le mouridisme ? La voie de Serigne Touba n’est pas du folklore, elle est même aux antipodes des pratiques qu’on veut y greffer. Et c’est à nous, ses disciples, de nous battre pour que son sa vision, on ne peut plus claire et humaniste, ne soit pas travestie par des entrepreneurs religieux occultes, de faux dévots et autres charlatans. Des jeunes de Thiès ont montré la voie : ils ont peint la façade nord-est du champ de course (Hippodrome Ndiaw Macodou) en blanc, effaçant du coup tous les graffitis insolents et immondes qui maculaient le mur. À la place de ces graffitis, ils ont peint les saints de presque toutes les confréries ; mais le plus important, c’est qu’ils ont assaini les alentours. Ce mur qui est d’habitude un urinoir pour badauds a été récupéré et rendu salubre : ils ont remballé le sol, mis de la terre blanche et bordé un espace de plus trois mètres à partir du mur par des pneus peints en blanc.
Par ce geste salutaire, ils ont sauvé leur environnement jadis souillé et ont donné aux pèlerins en route pour Touba un espace où ils peuvent prier ou se reposer. Ces jeunes nous ont lancé un message fort : on n’a pas besoin de bloquer la circulation par un MAADIAL agressif et irrespectueux pour préparer 18 Safar ; on n’a pas besoin d’arraisonner les citoyens pour les forcer à donner des sous dont ils ignorent la destination. Le message que ces jeunes ont donné à tous leurs condisciples est clair : la meilleure façon de préparer le 18 Safar, c’est de rendre le Sénégal salubre, comme il ne l’a jamais été auparavant, un Sénégal plus agréable à vivre. Il faut refuser que tous les quémandeurs professionnels, les bandits et autres déviants, prétextent de cette journée de grâce pour donner une apparence de licéité à leurs desseins obscurs. Dans ce pays où le folklore l’emporte sur tout, rester dans l’orthodoxie devient une mission quasi impossible, mais il faut y aller avec pédagogie, courage et fermeté. C’est toujours dans le silence coupable du Maslaha que les malfaiteurs orchestrent leurs forfaits et finissent par l’imposer à la communauté. Il faut arrêter ce massacre. Il faut du respect et de la considération pour l’espace public, pour la vie en communauté. Nul n’a le droit de se taire et de laisser faire cette comédie religieuse qui cherche plutôt à ternir l’image du Cheikh.
Ce gaspillage dans les rues n’est rien d’autre qu’une entreprise rusée de profaner le Ndiguel du Cheikh en l’assujettissant à ses propres fantaisies. Si on en arrive à une situation où chacun peut faire son cirque et le mettre sous le compte du mouridisme, ce sera le début d’une désacralisation incompatible avec la voie de l’ascèse. L’aspirant ne devrait jamais, sous quelque prétexte que ce soit, sacrifier le travail et le gain licite par l’institutionnalisation d’un « MAADIAL » qui le dispenserait justement du devoir de tirer des fruits de son propre labeur les moyens de sa jouissance. Il faut arrêter l’imposture ! Ces innovateurs n’ont reçu aucune bénédiction de la part du marabout pour fonder leur entreprise : c’est de l’arnaque. Serigne Touba est allé en exil « TRAVAILLER » pour notre rédemption et nous, nous contentons de quémander à tout vent ! Il faut refuser que des ignorants et des incultes imposent leur loi et leur « foi » à des gens raisonnables. La religion n’est pas une affaire de Logique, c’est vrai, mais ce serait une illusion de croire qu’on peut être croyant en congédiant complètement la raison.
Alassane K. KITANE Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack de Thiès
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