Drame de Tivaoune, après l’émotion (Cheikh Dieng)

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Nous sommes encore une fois secoués par la mort horrible de 11 nouveaux nés dans les services de néonatalogie de Tivaoune. Ce drame s’ajoute à une longue série de défaillances du système sanitaire dont les derniers épisodes se sont déroulés dans les hôpitaux de Kaolack, de Louga et de Linguère avec chaque fois, un lot de mortalités douloureuses et … d’irresponsabilités. Pas de coupables, L’Etat gère nos émotions collectives passagères et joue sur l’épuisement de nos capacités dindignation.
J’imagine le désarroi des mamans et des familles des victimes. Je compatis à leur douleur et leur présente mes condoléances.
Devons-nous encore continuer à subir les défaillances du système de santé et compter les morts ? Assurément, une réaction s’impose pour mettre en place des conditions de sécurité durables dans nos espaces hospitaliers à travers une série d’audits dont la finalité sera une réforme profonde du système :
i) Audit de la carte sanitaire : l’examen de la carte sanitaire nationale révèle d’une part, un déficit criard des infrastructures par rapport aux normes établies par l’OMS pour une offre de santé de qualité, et d’autre part, de fortes disparités selon les milieux et les habitats. Le cas du département de Pikine est illustratif à ce propos. Quand les normes de l’OMS recommandent 1 hôpital pour 150.000 habitants, Pikine en compte un seul (hôpital de Thiaroye) pour 980.000 habitants. L’OMS recommande 1 centre de santé pour 50.000 habitants, Pikine n’en compte que 3 et attend que 17 !! autres voient le jour pour combler le gap. L’exemple du département de Pikine peut être multiplié à l’infini pour les 14 régions et les 46 départements du Sénégal.

Audit des installations physiques et des équipements : Quel exemple plus pertinent que le court-circuit qui a causé l’incendie à l’origine de la mort des 11 enfants à Tivaoune pour illustrer le manque de sérieux dans la gestion de notre santé ? Ce drame signifie que le matériel électrique acheté à la quincaillerie du coin est de mauvaise qualité, que les coupe-circuits ne fonctionnent pas, que les détecteurs d’incendie sont hors services (s’ils existent ?), que les extincteurs ne sont pas entretenus et que le personnel de garde est absent.
Cela signifie surtout que le Ministre de la Santé n’a tiré aucune leçon du drame similaire à l’hôpital de Linguère le 26 avril 2021, pour prendre les mesures concrètes pour prévenir un tel drame dans les autres structures hospitalières. Est-il surprenant dès lors que cela se soit reproduit à Tivaoune ? A qui le tour ?
Nous avons vécu il y’a peu, une scène tragi-comique à l’hôpital Le Dantec où toutes les interventions chirurgicales ont été annulées par la faute …. d’une coupure d’eau. Dans cet hôpital certains bâtiments sont d’ailleurs en état de désaffectation pour cause de vétusté. Les responsables ne cessent d’alerter sur l’urgence de réfectionner les bâtiments coloniaux qui croulent sous le poids des âges. Outre de vagues promesses du Chef de l’Etat, la seule proposition concrète qui leur est faite est de vendre 3 ha de leur patrimoine foncier pour construire de nouveaux bâtiments. A-t-on eu besoin de vendre le stade Léopold S. Senghor pour construire le nouveau stade A. Wade de Diamniadio ?
Il reste évident qu’en l’absence d’audits de sécurité suivis de mesures de prévention, d’autres structures sanitaires connaitront des incendies ou d’autres types de drames, et nous continuerons à invoquer la volonté divine. Injustement. Les sanctions contre les directeurs des hôpitaux ou les pauvres infirmières désignés comme boucs émissaires et trainés dans la boue pour calmer la clameur populaire n’apporteront pas une solution durable. La vétusté des installations et l’absence d’entretiens réguliers posent un véritable problème de fonctionnalité et de sécurité des installations hospitalières.
Par ailleurs, il n’est pas rare de voir des centres et postes de santé passer de longs jours sans une goutte d’eau pour des pannes mineures où parce que le débit est tellement faible que l’eau n’est disponible que durant la nuit ; la corvée d’eau au milieu de la nuit fait alors partie des tâches des infirmières de garde. SEN’EAU ne se gêne point pour suspendre la fourniture d’eau pour les postes de santé qui accusent le moindre retard dans le paiement des factures, peu lui importe la santé et l’hygiène des malades dont la vie est ainsi mise en péril. Des solutions structurelles doivent être trouvées à ce problème pour une fourniture d’eau et d’électricité sans aucune interruption.
S’il est une question essentielle sur laquelle l’Etat a démissionné, il s’agit bien du plateau médical. Des médecins bien formés et compétents et des infirmiers dévoués se trouvent totalement inopérants devant les malades qui souffrent. Le peu d’appareils existants sont souvent en panne s’ils ne datent pas du siècle dernier. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que nos autorités politiques se soignent, même pour un simple rhume, en France ou au Maroc où les médecins sont pourtant formés à l’université Cheikh Anta Diop.
Pour les postes et centres de santé, le Ministre de la Santé s’est totalement désengagé des équipements, laissant les Maires se débrouiller comme il peuvent. Les plus débrouillards parviennent à dégoter par-ci, par-là du matériel vétuste réformé en Europe, qui retrouve fièrement une nouvelle jeunesse sous nos cieux. Cette politique de désengagement a poussé le Ministère de la Santé de mettre en place des Comités de développement Sanitaire (CDS) soit disant pour impliquer la communauté dans la prise en charge sanitaire. Les CDS doivent être évalués quant à la valeur ajoutée qu’ils apportent à l’amélioration du fonctionnement des postes de santé.
ii) Audit du fonctionnement, en particulier des services d’accueil et d’urgence. Le Chef de l’Etat a annoncé un audit des services de néonatologie lors de sa visite-éclair à Tivaoune. Au-delà de l’émotion légitime, il faut lui rappeler que les services d’accueil et des urgences sont aussi les nœuds gordiens d’un système sanitaire malade. Au demeurant, les services de néonatologie sont une partie intégrale des services d’urgence.
Ces services qui sont le point d’entrée dans les structures sanitaires et qui sont essentiels pour le pronostic vital des malades manquent de tout. Les services d’urgence ont en effet besoin de personnels disponibles et bien formés, d’une radiologie, d’un laboratoire d’analyses fonctionnels H24 et de médicaments et lits d’hospitalisation pour les premiers soins. Dans la plupart des hôpitaux et postes de santé, ils se réduisent en un résidu ridicule si ce n’est une simple salle de pansements.
L’indigence des services d’urgence oblige des médecins pourtant conscients de la situation critique des malades à les déférer d’un hôpital à un autre jusqu’à ce que mort s’en suive. Ils savent en âme et conscience qu’ils auraient pu sauver le malade, mais savent que le malade mourrait entre leurs mains faute d’un minimum d’équipements adéquats à leur disposition.
L’exigence des tickets d’entrée pour accéder aux soins doit également être revue, surtout dans les cas d’urgence. Des malades en situation critique sont systématiquement refoulés, accouchent dans la rue ou finissent tristement leur vie dans les abords des hôpitaux. L’administration de l’hôpital est sans pitié face aux médecins que leur serment d’Hippocrate interpelle.
Devons-nous faire le choix d’exclusion des plus démunis ou demander au Ministre de la Santé de prévoir dans le budget des structures de santé, le fonctionnement des services d’urgence ?
A cette situation chaotique s’ajoute l’état d’insalubrité extrême de nos structures de santé et l’absence de traitement des déchets biomédicaux qui exposent les visiteurs à des maladies nosocomiales certaines. Les déchets solides se mélangent aux seringues contaminées et autres restes humains dans les poubelles de l’UCG. Aucune politique et aucune initiative à moyen ou long terme ne sont envisagées pour améliorer l’état de salubrité de nos centres et postes de santé.
iii) Audit des personnels : C’est connu, nos structures de santé souffrent d’un déficit criard de personnels. En quantité et en qualité et surtout en spécialités. Cette situation est aggravée à l’intérieur du pays par l’absence de mesures incitatives visant à maintenir les médecins dans les régions. Le rythme de recrutement est bien en deçà des besoins exprimés par les médecins chefs de district qui doivent se contenter de ‘‘stagiaires permanents’’ et de matrones dont l’âge de la retraite est dépassé depuis de très nombreuses années, mais qui sont les véritables chevilles ouvrières pour le fonctionnement des postes et centre de santé. Cette situation de déficit de personnels compétents n’empêche cependant pas le Ministre de la Santé de procéder à des recrutements fantaisistes de quotas de politiciens sans aucune utilité pour la structure de santé, pendant que des médecins, infirmiers et sages-femmes qualifiés sont snobés et se tuent dans des stages sans fin. Saviez-vous que ces ‘‘stagiaires permanents’’ se retrouvent avec un salaire que Quinze Mille Francs (15.000 F !!) et parfois moins, payés par le Comité de Développement Sanitaire ?
Le choix d’une politique de santé qui réponde aux exigences de qualité des sénégalais passe nécessairement par le recrutement d’un personnel suffisant et de qualité, suivant des règles transparentes qui garantissent l’accès équitable à la profession de toutes les sénégalaises et tous les sénégalais qui répondent aux critères de sélection.
En conclusion,
Le choix du Président Macky Sall de limoger son Ministre de la Santé au lieu de lui proposer la voie plus honorable de la démission répond d’une démarche toute politicienne ‘‘ d’offrir sa tête’’ au peuple pour juguler notre colère toute légitime suite au drame de Tivaoune. Le choix d’une d’enquête confiée à l’IGE en lieu et place d’une commission ouverte à des professionnels du secteur, à la société civile et aux familles des victimes est symptomatique d’une volonté d’étouffer l’affaire, comme dans le cas de Linguère dont on attend encore les conclusions. Entre-temps, les élections législatives, puis la coupe du monde, puis la prochaine élection présidentielle se chargeront bien de distraire notre attention sur d’autres enjeux, … jusqu’à ce qu’un autre drame similaire se reproduise ?
Dr Marie Khémesse Ndiaye qui hérite du Ministère de Santé bénéficie d’une présomption de compétence en raison de son parcours professionnel et syndical qui la met en situation de bonne préhension des enjeux que nous avons évoqués plus haut. Sera-t-elle seulement en situation d’apporter l’expertise attendue pour administrer les réponses pertinentes à même de redorer le blason d’une santé en état de coma, à travers ces audits sans complaisance, ou sera-t-elle happée par le système de jouissances et de prébendes que nous connaissons tous ?
L’histoire et les circonstances la mettent devant ses collègues et devant le peuple sénégalais.
DrCheikhDIENG

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