
Une lecture de l’impatience populaire et de l’amnésie politique
Dans le sillage des récents bouleversements politiques qu’a connus le Sénégal, et à l’aube des premières actions du nouveau gouvernement, certaines voix se sont élevées, exprimant leur mécontentement face au rythme des réformes engagées. Très vite, les appels à des résultats immédiats ont envahi l’espace public, comme si l’État pouvait se mouvoir au seul rythme des revendications populaires, oubliant au passage que le changement véritable n’est pas une décision ponctuelle, mais un processus long et structuré.
L’un des pièges les plus redoutables pour tout gouvernement fraîchement élu — en particulier lorsqu’il succède à une période d’attentes populaires intenses — est cette confrontation précoce avec la logique des « résultats instantanés ». Une logique séduisante en surface, mais qui révèle, en profondeur, une compréhension limitée de la complexité institutionnelle, ainsi qu’une ignorance des lourds héritages administratifs que l’on ne saurait effacer d’un trait de plume ni réparer du jour au lendemain.
Dans ce contexte, il est bon de méditer l’exemple intemporel de l’expérience islamique. La mission prophétique a commencé dans la discrétion, puis s’est poursuivie au grand jour, sous les coups de l’oppression. Ensuite est venue une longue période de patience, sans riposte. Non par faiblesse, mais conformément à un ordre divin inscrit dans les lois universelles : progression, épreuve, préparation. Et ce n’est qu’une fois les conditions mûries que l’ordre d’agir fut donné, et que les victoires se succédèrent, bâties sur des fondations solides. Imagine-t-on ce qu’il serait advenu si les Compagnons avaient cédé à l’impatience, ou douté du chemin ? Point de Badr, point de conquête.
De la même manière, il incombe au citoyen conscient de distinguer le discours politique responsable du simple enthousiasme émotionnel. Critiquer est légitime — et même nécessaire dans une démocratie — mais le péril surgit lorsque la critique devient destruction, ou que les revendications populaires deviennent un feu qui consume les chances mêmes du changement avant qu’elles n’éclosent.
Le nouveau gouvernement, malgré les défis, apporte avec lui un souffle d’espoir et une volonté sincère de transformation. Mais cet élan est fragile : il pourrait se diluer si la conscience collective ne s’accorde pas à la réalité que bâtir prend plus de temps que détruire, et que la confiance ne signifie pas un chèque en blanc, mais ne saurait non plus être conditionnée à l’impossible.
Nous vivons une conjoncture historique décisive. Soit nous instaurons une patience stratégique fondée sur le suivi, la vigilance et la redevabilité ; soit nous cédons à l’empressement stérile, et reproduisons les erreurs du passé… sous de nouveaux visages.
Par : Abdoul Ahad Al kadiory
Spécialiste en Histoire et Civilisation
Président de la Commission scientifique du Mouvement Moddap
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