Diomaye, SONKO et l’écueil de la diplomatie parallèle (Par Ibrahima Anne)

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Dans les années 90, l’hebdomadaire satirique Le Cafard Libéré avait titré : «Diouf décrète ; Collin arrête». Ceux qui ont vécu cette époque se souviennent certainement du contexte de ce titre et de l’ambiance de l’époque. Pour ceux qui sont nés au milieu des années 90-début 2000, une piqûre de rappel s’impose. Le Sénégal était, dans la pratique, sous la double direction de deux hommes nommés Abdou Diouf et Jean Collin.

L’un était devenu président de la République par la courte échelle de l’article 35 de la Constitution de 1963 puis élu et réélu en 1983, 1988 et 1993. Son prédécesseur, Léopold Sédar Senghor, lui avait légué, dans le dossier de passation un nommé Jean Collin, formaté à la coloniale, au pedigree qui en imposait. Il fut, entre autres, ministre de l’Economie, ministre de l’Intérieur puis tout puissant ministre d’Etat, Secrétaire général de la Présidence de la République, surnommé «le Sheriff» par le même canard satirique de la Rue Tolbiac.

De cette station, il faisait et défaisait les carrières. De sorte que des fan clubs essaimaient de partout pour en rajouter à sa gloire déjà à son paroxysme. On peut citer l’association «Les amis de Jean Collin» dirigée par Mme Aïda Ndiongue. C’était à l’époque du socialisme triomphant. Collin était tellement puissant que d’aucuns l’assimilaient à un Président-bis.

Cette époque de l’évolution institutionnelle de notre pays est assimilable, à peu de choses près, à celle que nous vivons depuis l’élection de Bassirou Diomaye Faye comme président de la République. Porté à la magistrature suprême, celui-ci a jeté son dévolu sur son mentor politique, Ousmane Sonko, rendu inéligible par une décision de justice et qui, auparavant, l’avait désigné comme son candidat de substitution. On est, par conséquent, face à une situation où l’élu se retrouve avec une dette morale envers le nommé. Humainement, cela offre à ce dernier certaines libertés.

Comme celle-ci consistant à se frayer un chemin dans la diplomatie, réputée domaine réservé du président de la République. La Constitution, en son article 46, alinéa 1er, octroie au chef de l’Etat une prérogative exclusive dans cet espace. Cet alinéa dispose que «le président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères. Les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui». 

Ce qui résume son statut de pivot central dans la définition et la mise en œuvre de la politique étrangère du Sénégal. Tous ceux qui le font, à sa place, le font, à son nom, avec son onction et à titre de simples délégataires ou, pour utiliser le jargon des diplomates, de plénipotentiaires.

Dans une lettre publiée sur sa page Facebook, le Premier ministre a annoncé un programme de visite qui cible les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (Aes). Le plan de vol vise le Mali, la République de Guinée, le Niger et le Burkina Faso. Dénominateur commun à ces quatre pays : ils sont tous dirigés par des juntes militaires. Et ont tous, ou presque, une certaine affection pour la Russie du Tsar Vladmir Poutine. En parallèle, le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, poursuit ses visites officielles de proximité qui ont débuté avec la Mauritanie et qui se sont poursuivies avec la Gambie, la Guinée Bissau et, récemment, la Côte d’Ivoire.

En définitive, même si les visites programmées de Sonko sont à ranger dans la rubrique politique et non étatique, il reste que sa casquette de PM donne à lire qu’on est en face d’une diplomatie du tango ou à deux temps : celle orchestrée par le président de la République, ce qu’il y a de plus officiel, ciblant les pays démocratiques et l’autre managée par le Premier ministre et qui vise des pays où les dirigeants ont la particularité d’être arrivés au pouvoir après un coup de force militaire.

Une division du travail qui a l’inconvénient de brouiller les cartes quand il s’agit d’analyser l’option diplomatique des nouvelles autorités enrobée sous le vocable «panafricanisme de gauche». Surtout que, comme le souligne un diplomate cité par Seneweb«le Premier ministre ne doit pas avoir une politique extérieure qui comme la défense, relève du domaine réservé du président de la République».

Le régime précédent avait pris l’option de ne pas commercer avec ces Etats, hors des canaux autorisés par la Cedeao. Le nouveau régime qui veut ménager la chèvre et le chou fait visiblement pari de la souplesse avec les Etats parias que sont les pays de l’AES tout en gardant le curseur sur ceux à régime démocratique.

Une telle option peut mettre une douce pression sur les alliés traditionnels occidentaux du Sénégal qui pourraient craindre de le voir se rapprocher davantage de la Russie, via ses «amis» de l’Aes, forts de l’adage qui dit que «les amis de mes amis sont mes amis». Mais, attention aux effets secondaires !

Ibrahima ANNE

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